De quelques réactions à la guerre en Palestine

(«le prolétaire»; N° 553; Mai-Juin-Juillet 2024)

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Le soutien ouvert au Hamas

 

Il n’existe pas en France à notre connaissance de groupe qui soutienne ouvertement et publiquement le Hamas après son attaque du  9 octobre 2023. Le NPA de Besancenot avait dans un communiqué du 7/10 déclaré «son soutien aux PalestinienNEs et aux moyens de luttes qu’ils et elles ont choisi pour résister», mais 2 jours plus tard à la suite d’une «campagne» contre lui, il faisait machine arrière: «Le projet politique et idéologique, la stratégie et les moyens de lutte du Hamas ne sont pas ceux du NPA. Dans ce cadre, nous dénonçons les tueries de civils menées par le Hamas» (1).

C’est au-delà des frontières qu’il faut trouver des soutiens ouverts du Hamas, en Grande Bretagne par exemple.

 C’est en effet le cas du Socialist Workers Party (SWP), le plus important groupe d’extrême gauche de ce pays. Sa position vis-à-vis du Hamas est «soutien inconditionnel mais pas sans réserves». Ils affirment en effet ne pas être d’accord avec le Hamas sur «les questions de classe, des droits des femmes, des personnes LGBT et beaucoup d’autres questions»; mais ces broutilles n’empêchent pas leur soutien inconditionnel à l’organisation islamiste car sinon cela reviendrait à «tomber dans le pro-impérialisme» (2) !

On trouve un autre exemple en Argentine où le Partido Obrero (Parti Ouvrier) critique le PTS (Parti des Travailleurs Socialistes, auquel est lié le groupe français Révolution Permanente) avec qui il fait partie d’une alliance électorale (le FIT); le PO accuse le PTS de se réfugier dans des déclarations génériques de soutien au peuple palestinien tout en critiquant les méthodes et l’action du Hamas  pour des raisons électoralistes, alors que: «C’est une obligation révolutionnaire élémentaire de soutenir inconditionnellement – c’est-à-dire sous sa direction actuelle – la lutte de libération libanaise et palestinienne» (3). Comme, quoi que l’on pense de ses orientations politiques, le Hamas dirige aujourd’hui la résistance palestinienne, si la solidarité avec les Palestiniens ne veut pas être un mot creux, elle doit se traduire par un soutien au Hamas à ses actions et ses méthodes – et même par la participation à la lutte «sous ses ordres» (4)!

Le SWP précise : «nous ne soutenons pas le Hamas contre le sionisme et l’impérialisme à la condition qu’il adopte une  position socialiste sur ces sujets [questions de classe, droit des femmes, etc. -NdlR]».

La position communiste est exactement l’inverse; elle a été définie lors du Deuxième Congrès de l’Internationale Communiste (juillet-août 1920) de la façon suivante: «l’Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu’à la condition que les éléments des plus purs partis communistes – et communistes en fait – soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique» (5).

L’Internationale affirmait la valeur révolutionnaire des luttes anticoloniales et de libération nationale dans les colonies bien qu’elles soient inévitablement de nature bourgeoise. Elle insistait sur la nécessité pour les prolétaires d’y participer pour les pousser jusqu’au bout et si possible d’en prendre la tête, la règle fondamentale étant quoi qu’il en soit de conserver «toujours le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire».

C’est faute d’être restée fidèle à cette position en paralysant le jeune PC chinois par son adhésion au front constitué par le parti nationaliste bourgeois Kuomintang, que l’Internationale stalinisée fut responsable de la défaite de la révolution en Chine, lorsque le KMT se tourna contre les prolétaires.

Le SWP et tous ceux qui soutiennent le Hamas, s’inscrivent dans cette tradition stalinienne antiprolétarienne.

 

Révolution Permanente, Lutte Ouvrière et le «Bordiguisme»

 

Dans sa réponse au PO, le PST fait référence à la critique des positions de Lutte Ouvrière sur la Palestine par leurs camarades de Révolution Permanente.

Ces derniers reprochent à LO un «internationalisme abstrait», la «négation de la question nationale» (6). Dans la guerre actuelle LO refuse de choisir «un camp militaire» (alors que lors des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, elle appelait à soutenir les Etats arabes en dépit de leurs régimes réactionnaires) et elle met sur le même plan «les opprimés arabes palestiniens et israéliens» face «aux dirigeants d’Israël et des grandes puissances, mais aussi ceux des États arabes, du Hamas et même de l’Autorité palestinienne».

RP conclut: «une position abstraite de «neutralité» qui dénie l’opposition évidente entre d’un côté, l’État d’Israël (...) et, de l’autre, le peuple Palestinien résistant à la colonisation et à l’occupation». Et elle écrit un peu plus loin: «Cette position, présentée par LO comme la fidélité la plus orthodoxe au trotskysme, relève en réalité davantage du bordiguisme – avec lequel LO entretient ou a entretenu des rapports idéologiques, politiques et organisationnel»! Les militants de LO ont dû être bien surpris d’apprendre l’existence de tels «rapports» avec un courant qu’ils ont combattu à maintes reprises...

Pour enfoncer le clou RP insère à ce point de son article une note sur l’attaque par des militants de Lotta Comunista, «qui développe des positions similaires», d’étudiants occupant des universités à Rome et Milan en solidarité avec les Palestiniens. A ce propos nous avons diffusé un texte pour condamner ces attaques et la position des pseudo-léninistes de LC qui nient l’existence d’une oppression nationale des Palestiniens et qui accusent les étudiants demandant l’arrêt de la collaboration des universités italiennes avec leurs homologues israéliennes de «nationalisme» (7).

Selon RP les conceptions politiques de LO «s’inscrivent dans un logiciel global ouvriériste et économiciste, bien plus propre au bordiguisme qu’au trotskysme et à la IV° Internationale, (…) incapable d’articuler lutte contre l’exploitation, lutte contre les oppressions, question nationale et question démocratique». Taxer un adversaire politique de «bordiguisme » est une accusation dont on ne se relève pas pour des trotskystes bon teint : la fidélité au programme communiste est condamnée comme du schématisme, la défense intransigeante des positions de classe dénoncée comme du dogmatisme, le refus du manoeuvrisme sans principe comme du sectarisme. A cet égard nous pouvons rassurer RP : LO n’est en rien coupable de tels péchés contre le « trotskysme » ! Sa position sur la question palestinienne est critiquable dans la mesure où elle tend à mettre sur le même plan Israéliens et Palestiniens, tous deux victimes de l’impérialisme (8), comme s’il n’y avait pas une population opprimée et une autre qui, à des degrés sans aucun doute divers selon sa classe sociale, bénéficie de cette oppression ; et où elle rend également responsable de la situation « les politiques nationalistes » des deux côtés, « oubliant » la différence fondamentale comme l’expliquait Lénine entre le nationalisme des oppresseurs et celui des opprimés (9). Appeler dans ces conditions à l’union des prolétaires palestiniens et israéliens (juifs) sans prendre en compte l’oppression nationale des premiers ne peut sonner que comme une phrase creuse : cette union ne sera jamais possible tant que les prolétaires israéliens ne se désolidariseront pas de l’oppression nationale exercée en leur nom par « leur » Etat, tant qu’ils n’admettront pas le droit des Palestiniens à l’autodétermination (10).

Par opposition RP veut montrer qu’elle sait « articuler lutte nationale et lutte révolutionnaire » : elle parle de « la défense d’une politique d’indépendance de classe qui permette la “ transcroissance ” de la lutte pour l’autodétermination nationale en révolution ouvrière » mais sans préciser ce que cela signifie et sans expliquer comment elle pourrait avoir lieu.

 Dans un autre article RP écrit de façon un peu plus précise : « Nous défendons le projet d’une Palestine ouvrière et socialiste, dans laquelle les Arabes et les Juifs puissent vivre en paix. Un objectif qui implique dès maintenant que les travailleurs et classes populaires arabes et palestiniennes portent un programme défendant le retrait de l’ensemble des troupes impérialistes de la région, l’expropriation de leurs grands groupes économiques sous contrôle des travailleurs, ou encore la lutte pour l’ouverture des frontières, notamment depuis l’Égypte » (11).

Leur objectif serait réalisable avec un programme s’en prenant, non au capitalisme et aux Etats bourgeois de la région, mais seulement aux troupes et aux grands groupes impérialistes ? Donc un programme, non de révolution sociale, mais d’anti-impérialisme bourgeois ? Un programme qui laisserait de côté le rôle déterminant du prolétariat des pays impérialistes qui soutiennent à bout de bras Israël et sa guerre ?

 L’« articulation » de RP n’est autre qu’un bavardage creux…

 

Le CCI et « le cadre théorique obsolète des groupes bordiguistes »

 

Dans un article sous ce titre (12), le CCI commence par distribuer un bon point à la TCI (Tendance Communiste Internationale) dont Battaglia Comunista est l’un des deux principaux groupes. BC est connue depuis toujours pour son indifférentisme par rapport aux luttes de libération nationale et anticoloniales qui pour elle n’étaient que des moments d’affrontements inter-impérialistes : l’accord est sur ce point complet avec le CCI.

Ce dernier nous reproche à l’inverse d’appeler « à lutter contre l’oppression nationale des Palestiniens » : au lieu de « promouvoir auprès des ouvriers le rejet de tout mouvement de “libération nationale” car “les prolétaires n’ont pas de patrie” , Le Prolétaire appelle tout d’abord à une lutte pour mettre fin à «l’oppression par Israël des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie», ce qui exclue, par la suite toute solidarité avec la classe ouvrière d’Israël qui est «prisonnières des avantages immédiats et complice de cette oppression ».

Remarquons, tout d’abord, que les Palestiniens n’ont pas attendu un appel de notre part pour lutter contre leur oppression ! Et ensuite que la solidarité entre prolétaires palestiniens et israéliens dépend de ce que ces derniers se libèrent de toute complicité avec cette oppression, qu’ils rompent avec l’union nationale juive ; c’est la condition pour que les prolétaires palestiniens puissent de leur côté rompre avec leur sujétion aux forces bourgeoises et petites bourgeoises nationalistes, et donc que les appels à l’union de tous les prolétaires ne soient pas d’écœurantes  phrases vides. Mais pour le CCI « les prolétaires ne doivent en aucun cas soutenir les mouvements contre l’oppression nationale » !

Certes ces « mouvements » et même ces luttes sont par nature interclassistes car cette oppression touche toutes les classes; mais les prolétaires, qui sont les plus touchés, ne peuvent pas ne pas y participer, ils ne peuvent pas s’en détourner comme le voudrait le CCI avec sa conception livresque d’une révolution pure mettant aux prises seulement bourgeois et prolétaires. Pour donner plus de poids à son raisonnement le CCI produit une citation de Lénine contre le nationalisme tirée de ses Thèses d’avril (1917) ; mais il « oublie » de citer le chapitre préconisant dans la question nationale « avant tout » le droit d’autodétermination « pour toutes les nations et nationalités opprimées par le tsarisme » (13), sans parler des dizaines d’articles et des centaines de pages consacrées par Lénine à combattre ceux qui contestent la lutte contre les oppressions nationales.

Le problème est que la lutte contre l’oppression nationale est orientée depuis des décennies dans un sens bourgeois ; c’est là un phénomène inévitable en  l’absence d’un mouvement prolétarien combattant dans les pays oppresseurs cette oppression et montrant donc en pratique la possibilité et l’efficacité de lutte indépendante de classe. Il n’est pas possible dans les conditions terribles auquel il est réduit que le prolétariat palestinien trouve à lui seul la force d’emprunter cette voie, et ce n’est pas davantage possible de la part du prolétariat des pays arabes voisins sous le joug de régimes autoritaires.

 C’est en définitive le prolétariat des grands pays capitalistes qui a le plus de possibilités de changer cette situation et de venir en aide à ses frères de classe, non par un soutien platonique et une indignation morale (et encore moins en dédaignant leurs luttes « impures »), mais en reprenant son combat historique de l’intérieur contre les forteresses de l’impérialisme mondial.

Ce n’est pas là un « cadre théorique obsolète », mais la perspective de l’avenir que les interminables massacres actuels rendent toujours plus pressante.

 


 

(1) https://npa-lanticapitaliste.org/communique/offensive-de-gaza-les-solidarites-du-npa-vont-la-lutte-legitime-du-peuple-palestinien

(2) https://socialistworker.co.uk/features/free-palestine-why-we-say-by-any-means-necessary/

(3) https://prensaobrera.com/internacionales/cual-debe-ser-la-posicion-de-la-izquierda-frente-a-la-estrategia-y-los-metodos-de-hamas

(4) Le PO s’appuie ici sur la position de Trotsky lors de la guerre sino-japonaise: «Participer à la  lutte militaire sous les ordres de Tchang Kaï-chek, car malheureusement, c’est lui qui a le commandement dans la guerre d’indépendance, c’est préparer politiquement le renversement de Tchang Kaï-chek... ce qui est la seule politique révolutionnaire». https://www. marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1937/09/lt_23091937.htm. Rappelons qu’à peine dix ans plus tôt Tchang Kaï-chek et le KMT avaient écrasé la révolution chinoise et massacré les communistes.

Cette funeste position a servi à justifier le suivisme des courants trotskystes vis-à-vis des organisations nationalistes bourgeoises dans les pays colonisés, en abandonnant toute perspective d’indépendance de classe que prétendait malgré tout conserver Trotsky.

(5) https://www.marxists.org/francais/inter_com/1920/ic2_19200700f.htm

(6) https://revolutionpermanente.fr/A-nouveau-sur-Lutte-ouvriere-la-Palestine-et-la-question-nationa

(7) http://pcint.org/40_pdf/01_Positions-pdf/01_02_it-pdf/240526_lotta-comunista-w.pdf

(8) http://www.lutte-ouvriere.org/portail/editoriaux/israeliens-et-palestiniens-dans-le-piege-sanglant-cree-par-limperialisme-726960.html

(9) voir par exemple https://www. marxists.org/francais/lenin/works/1922/12/vil19221231.htm

(10)  Notons au passage que LO reprend la perspective mensongère d’une solution à 2 Etats que fait miroiter l’impérialisme (sans vouloir l’imposer à Israël) :

 https://www.lutte-ouvriere.org/portail/multimedia/interventions-publiques-manifestation-paris-contre-les-massacres-de-larmee-israelienne-gaza-727243.html

(11)https://www.revolution perma nente.fr/Lutte-ouvriere-le-NPA-C-et-la-lutte-pour-l-auto-determination-de-la-Palestine#nb3

(12) Révolution Internationale n°501, mai-août 2024. L’article s’en prend aussi aux positions des groupes Il partito comunista et Il programma comunista.

(13) https://www.bibliomarxiste.net/auteurs/lenine/les-taches-du-proletariat-dans-notre-revolution/programmes-agraire-et-national/

 

 

Parti Communiste International

Il comunista - le prolétaire - el proletario - proletarian - programme communiste - el programa comunista - Communist Program

www.pcint.org

 

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