Algérie :

De la révolution anticoloniale à la révolution prolétarienne

(«le prolétaire»; N° 559; Novembre-Décembre 2025 )

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Toussaint 1954. Début de la révolution algérienne

 

Lors du vingtième anniversaire de l’insurrection de la Toussaint 1954 en Algérie, pour rendre hommage aux insurgés, nous écrivions ce qui suit, sur les colonnes du prolétaire :

« Peu de révolutions anticoloniales auront vu les masses populaires, au premier rang desquelles un jeune prolétariat bouillonnant de courage et de décision, faire leurs premiers pas sur la scène de l’histoire avec autant de ténacité, d’héroïsme et d’instinct révolutionnaire : quand la deuxième guerre mondiale affaiblit cet impérialisme français, cynique et brutal, stupidement bouffi d’une « culture » immonde dont les racines plongent dans l’exploitation et l’oppression séculaire du prolétariat métropolitain et des peuples coloniaux, les masses algériennes se lancèrent dans les émeutes et les soulèvements de Sétif et de Constantine, que la démocratie, à peine victorieuse du fascisme, réprima par les plus épouvantables massacres. À la défaite militaire imposée à l’État français par les combattants indochinois à Diên Biên Phu, elles répondirent par la révolte dans les Aurès, et l’embrasement révolutionnaire de toute l’Algérie. Il a fallu ensuite huit ans de guerre et plus d’un million de morts pour que l’ennemi haï, hier encore tout puissant, soit enfin battu » (1).

La révolution anticoloniale en Algérie fut attendue par le marxisme dès la fin du XIXe siècle. En 1882 Engels, répondant à une question de Kautsky sur ce qui adviendrait des colonies en cas de victoire du prolétariat en Europe, écrivait : « L’Inde, fera peut-être, et même probablement, une révolution [...]. Il pourrait en être de même dans d’autres lieux, par exemple en Algérie et en Egypte, et, pour nous [souligné par Engels], c’est sans doute ce qui pourrait arriver de mieux. » (2). Mais par la suite la croissance du réformisme dans les partis socialistes européens, se traduisit par un abandon croissant de l’opposition au colonialisme. Alors qu’en 1896 la Deuxième Internationale avait adopté une motion présentée par Kautsky pour l’ « autodétermination de toutes les nations » (3), lors du Congrès de 1907, le courant dit « opportuniste » mena campagne pour l’« adaptation » des positions anticolonialistes : sa motion en faveur d’un « colonialisme socialiste » ne fut repoussée que par une courte majorité. Si la majorité des socialistes de la Deuxième Internationale était opposée au colonialisme, cette opposition était cependanr souvent plutôt de type humaniste et entremêlée de l’intérêt national bien compris qui aurait été compromis par le colonialisme.

C’était en France le cas de Jaurès qui, après avoir été partisan de la colonisation de l’Algérie, devint un critique ardent des massacres coloniaux et s’opposa à la conquête du Maroc. La campagne qu’il mena alors se limita à des réunions publiques du Parti Socialiste et à des interventions parlementaires en défendant l’alternative d’une « pénétration pacifique » de la France (4)...

Bien différente fut la position de l’Internationale Communiste (IC) créée après la guerre mondiale qui avait vu la faillite de la Deuxième Internationale complètement tombée entre les mains de l’opportunisme. Parmi les conditions d’admission à l’IC la huitième stipulait que : « Dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de “ses” impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux ».

Mais dans les jeunes partis communistes, les traditions et les influences héritées des vieux partis socialistes dont ils étaient issus étaient encore vivaces. Il était donc inévitable en France que le Parti Communiste qui avait réuni l’écrasante majorité du Parti Socialiste imbu de patriotisme colonialiste, ait eu le plus grand mal à mettre en œuvre cette condition. En septembre 1922 le « Congrès interfédéral communiste d’Afrique du Nord » votait à l’unanimité une résolution condamnant la huitième condition. Selon cette résolution, qui reprenait les thèses de la section de Sidi Bel Abbès (la plus importante d’Algérie), « La propagande communiste directe auprès des indigènes algériens du bled est actuellement inutile et dangereuse. Elle est inutile parce que ces indigènes n’ont pas atteint encore un niveau intellectuel et moral qui leur permette d’accéder aux conceptions communistes. Elle est dangereuse parce qu’elle ne manquerait pas de faire déclencher par la bourgeoisie [...] une offensive assurée d’un succès d’autant plus certain que la masse indigène, veule et vénale, n’hésiterait pas à dénoncer et à sacrifier les meilleurs de ses membres. Elle est dangereuse parce que, faite sans préparation préalable du prolétariat européen, imbu de préjugés contre l’indigène, elle nous aliénerait la sympathie de ce prolétariat et provoquerait la désertion de nos regroupements » !

L’IC dénonça avec véhémence « la mentalité de possesseurs d’esclaves et qui souhaitent que Poincaré les maintienne sous les bienfaits de la civilisation capitaliste » des auteurs de cette résolution, ajoutant qu’elle ne pouvait « tolérer deux heures ni deux minutes leur présence dans le parti » (5).

Il fallut que l’IC exerce des pressions réitérées pour que le PC rompe avec les traditions social-impérialistes héritées du Parti Socialiste et entreprenne une activité internationaliste contre le colonialisme français.

 

La victoire du stalinisme et le retour du social-impérialisme

 

La victoire du stalinisme changea tout ça et fit de la défense de l’impérialisme tricolore la ligne directrice du PCF. Sur la question algérienne cela se traduira d’abord par la rupture dès 1928 avec « l’Étoile Nord-Africaine » (ENA) ; première organisation de prolétaires immigrés elle avait été constituée en 1926 par des militants communistes algériens.

 La victoire électorale du Front Populaire en 1936 suscita l’espoir parmi les travailleurs algériens ; l’ENA, qui avait adhéré au Front Populaire, avait rassemblé un cortège de plusieurs milliers de prolétaires lors de la manifestation unitaire du 14 juillet 1935, tout en critiquant le vide du programme sur la question des colonies. La désillusion ne tardera pas. Le projet de loi Blum-Viollette (décembre 1936) montrait la réalité de la politique du Front Populaire : réaliser des réformes cosmétiques pour consolider la domination française. Le gouvernement qui prévoyait d’accorder les droits civiques à 20 - 25 000 algériens (sur une population de 6 millions), retira même son projet de loi sous la pression des milieux coloniaux, alarmés par ces terribles concessions ! Le 26 janvier 1937 l’ENA était dissoute par le gouvernement du Front Populaire qui utilisa pour cela la loi instituée officiellement contre les ligues fascistes. Alors que le PCF avait vivement protesté contre la première dissolution de l’ENA en octobre 1934 par un gouvernement de droite, cette fois-ci il ne dit mot et il approuva l’arrestation de 5 dirigeants fin août du Parti du Peuple Algérien qui avait pris la relève de l’ENA en les accusant d’être « des auxiliaires du fascisme » coupables de mener « une œuvre de division du peuple algérien, qu’ils voulaient dresser contre le peuple de France ». Deloche, le responsable du PCF pour les questions coloniales expliqua que : « ceux qui n’ayant rien compris ou rien voulu comprendre à la situation politique en France et dans le monde, voudraient voir se dresser, aujourd’hui même, les peuples coloniaux dans une lutte violente contre la démocratie française, sous le prétexte de l’indépendance, travaillent en réalité à la victoire du fascisme et au renforcement de l’esclavage des peuples coloniaux » (6). La boucle était bouclée : le PCF s’était définitivement rangé du côté de l’impérialisme, comme son ancienne section de Sidi Bel Abbés !

Il ne changera plus dans les années suivantes, participant à la défense du colonialisme français ; directement lorsqu’il fera partie des gouvernements d’après-guerre ; et indirectement quand il sera dans l’opposition, en paralysant la classe ouvrière, en divisant les prolétaires français et algériens et en s’opposant aux manifestations spontanées contre la guerre d’Algérie.

Les prolétaires et les paysans pauvres algériens durent se battre seuls contre l’armée française sans le soutien du prolétariat français qu’ils étaient en droit de recevoir. Le parti qui se prétendait communiste et dont l’influence était majoritaire parmi le prolétariat français avait renié toutes les directives de l’Internationale Communiste qui l’enjoignaient une trentaine d’années auparavant de « prendre en mains la cause des populations coloniales exploitées et opprimées par l’impérialisme français, soutenir leurs revendications nationales constituant des étapes vers leur libération du joug capitaliste étranger, défendre sans réserve leur droit à l’autonomie ou à l’indépendance [...] » (7).

En empêchant tout lien entre les prolétaires des métropoles impérialistes et la lutte des prolétaires et des masses colonisées, la contre-révolution stalinienne jetait ceux-ci dans les bras de forces bourgeoises ou petites bourgeoises. Elle empêchait que leur lutte ne dépasse l’horizon de la révolution bourgeoise en suivant la stratégie de la « révolution en permanence » tracée par le marxisme pour l’Allemagne de 1850 et réalisée dans la Russie de 1917, dont la condition est l’indépendance de classe du prolétariat et de son parti.

 

La dictature de la bourgeoisie

 

La révolution algérienne a brisé la domination coloniale, elle ne pouvait briser la domination bourgeoise. Elle a permis le développement d’un capitalisme national, défendu par toutes les ressources répressives d’un État policier. L’histoire récente a démontré que la répression ne peut à la longue empêcher qu’éclate le mécontentement et les explosions de colère prolétarienne. Elle a montré aussi que les mouvements de masse les plus imposants sont en définitive impuissants à modifier la situation des prolétaires et des masses prolétarisées. l’État fait le dos rond, évite de jeter de l’huile sur le feu ; il attend l’essoufflement inévitable du mouvement pour imposer à nouveau dans toute sa force la dictature de la bourgeoisie. Il n’y a pas d’alternative : seule la lutte révolutionnaire, dirigée par le parti de classe solidement arrimé au véritable programme communiste, pourra jeter bas cette dictature en détruisant l’État bourgeois et en instaurant sur ses ruines le pouvoir totalitaire, dictatorial, du prolétariat, indispensable pour mener à bien l’avènement de la société sans classes, le communisme.

La révolution nationale bourgeoise a eu lieu et elle a donné ce qu’elle pouvait donner. La révolution future sera internationale et prolétarienne ; elle unira les prolétaires de tous les pays dans une lutte commune pour balayer de la surface du globe tous les États bourgeois, le capitalisme et l’impérialisme et venger leurs innombrables victimes.

 


 

(1) cf. le prolétaire n° 184 ( 4 novembre - 17 novembre 1974).

(2) cf. https://www.marxists.org/francais/engels/works/1882/09/fe18820912.htm. Il rajoutait : « Une seule chose est sûre : le prolétariat victorieux ne peut faire de force le bonheur d’aucun peuple étranger, sans par-là miner sa propre victoire ». Toute idée d’imposer le « socialisme » aux colonies comme le soutiendront les socialistes de droite n’était  en réalité que l’expression de leur colonialisme.

(3) cf. « Under the Socialist Banner.  Resolutions of the IInd International 1889 - 1912. », https://ia6016 04.us. archive. org/18/items/526370/Under%20 the %20 socialist%20banner.pdf

(4) Voir ses discours dans « Jean Jaurès vers l’anticolonialisme. Du colonialisme à l’universalisme », Les Petits Matins, Paris 2015.

(5) Poincaré était Président du Conseil (Premier ministre). Voir le Discours de Trotsky, rapporteur sur la Question française au IVe Congrès de l’IC, 2 décembre 1922, cf. Bulletin Communiste n° 2-3 (11-18 janvier 1923) http://www.cermtri.com/system/files/Adherents/4e_annee_no2_et_3_11-18_ janvier_ 1923. pdf

(6) cf. « Le Parti Communiste Français, le Comintern et l’Algérie dans les années trente », Le Mouvement Social n° 78 (janvier-mars 1972), p. 131.

(7) cf. « Programme de travail et d’action du PCF » (point 9) décidé par le IVe Congrès de l’Internationale Communiste, 6 décembre 1922, https:// www.marxists.org/ francais/ trotsky/ oeuvres/ 1922/ 12/lt19221205.htm

 

 

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