Propriété et capital (4)

Encadrement dans la doctrine marxiste

des phénomènes du monde social contemporain

(«programme communiste»; N° 100; Décembre 2009)

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Nous commençons ici la publication de la deuxième partie de cette étude d’Amadeo Bordiga sur Propriété et Capital. Elle était parue, anonymement comme tous les textes du parti, sur la deuxième série (1950 - 1952) de «Prometeo», alors l’organe théorique du parti. Contrairement à la première, les différents points de cette deuxième partie n’ont pas pu être l’objet d’une rédaction complète et achevée, et restent à l’état schématique. Les raisons données alors étaient «les graves difficultés que rencontre la publication de la revue» qui imposaient de terminer au plus vite la publication de l’étude. Ces difficultés étaient d’ordre politiques: la crise en cours dans le Partito Comunista Internazionalista entre une tendance activiste (qui conservera les vieux titres des publications grâce précisément au droit de propriété!) et une tendance regroupée autour de Bordiga qui estimait prioritaire le travail de restauration programmatique du marxisme (sans pour autant refuser l’activité, mais en liant étroitement celle-ci aux principes et au programme). La crise débouchera sur une scission et la fondation en 1952 de l’organisation dont nous nous revendiquons.

Les parties précédentes de cette étude ont été publiées sur «Programme Communiste» n° 97, 98 et 99.

 

 

Deuxième partie

 

 

VII la propriété des biens mobiliers

 

Le monopole capitaliste sur les produits du travail

 

Les biens mobiliers créés par la production ne sont pas l’objet de propriété titulaire, ils sont utilisables et échangeables selon le bon vouloir de leur possesseur. Voilà quelle est la formule juridique dans la société bourgeoise.

En substance, avec la production de masse, l’entrepreneur capitaliste a la possession et la disponibilité de tous les bien mobiliers, produits, marchandises, résultant du travail dans son entreprise.

La revendication socialiste de l’abolition du monopole de classe des entrepreneurs capitalistes sur les moyens de production - présentée sous le forme de l’abolition de la propriété privée titulaire sur les lieux et les installations des entreprises - a en réalité comme signification l’abolition du monopole des entrepreneurs individuels et de la classe capitaliste sur la masse des produits.

Toute mesure qui, tout en limitant les droits de propriété du possesseur du lieu de travail, des installations ou des machines, maintient le monopole direct ou indirect, des personnes, des entreprises ou de la classe des capitalistes sur les produits, leur destination et leur répartition, n’est pas du socialisme.

 

 

VIII L’entreprise industrielle

 

Le système d’entreprise basé sur l’exploitation des travailleurs et le gaspillage du travail

 

L’entreprise productive capitaliste a pour titulaire un entrepreneur qui peut être un personne physique ou juridique (entreprise, société, compagnie anonyme par actions, coopérative, etc.). Même dans le cas où l’entreprise a un siège et des installations fixes, l’immobilier, voire les machines et l’équipement, peuvent appartenir à un propriétaire qui n’est pas l’entrepreneur.

Dans l’économie bourgeoise classique, la valeur d’échange de toute marchandise se mesure en temps de travail humain; mais elle affirme que dans l’achat et la vente des marchandises et dans la rémunération du travail fourni par les employés de l’entreprise, jouent l’équilibre du marché et de droit. Le profit récompenserait une organisation technique meilleure des divers facteurs.

Avec la doctrine de la plus-value, Marx a démontré que le salaire, ou prix payé pour la force de travail, est inférieur à la valeur que celle-ci ajoute à la marchandise, quand toute valeur est exprimée par le temps de travail. Le profit du capital représente le travail non payé des ouvriers.

La technique productive moderne qui impose le remplacement de l’activité individuelle par l’activité sociale, est emprisonnée dans les formes de l’entreprise privée afin de garantir l’extorsion de la plus-value. La classe industrielle qui en tire avantage maintient et défend grâce au pouvoir politique qu’elle détient, le système de production qui assure le profit et l’accumulation maximum, alors que les produits socialement utiles et bénéfiques (que ce soit pour la classe laborieuse ou pour toutes les classes) sont réduits au minimum par rapport à la quantité énorme de travail dépensé.

Le rapport entre l’excès, le gaspillage du travail social de la classe prolétarienne et la quantité des produits utiles à la consommation, est des dizaines de fois pire que le rapport entre travail payé et travail non payé, ou taux de plus-value, pour un salarié individuel.

Par conséquent, les thèses selon lesquelles le socialisme consisterait dans le paiement intégral du travail, l’exploitation des salariés disparaîtrait avec l’abolition du surtravail et de la plus-value, , une économie sans plus-value serait une économie socialiste, il serait possible de comptabiliser en unités monétaires l’économie socialiste, l’économie socialiste consisterait dans la comptabilisation des temps de travail, sont toutes des thèses inadéquates.

Le socialisme est l’élimination sociale et historique du capitalisme, du système de production dirigé par l’initiative des entreprises ou de la fédération d’entreprises constituée par la classe et l’Etat bourgeois.

Même avant la phase «supérieure» où chacun prélèvera selon ses besoins, il sera possible de dire qu’on se trouve dans une économie et une comptabilité sociale uniquement dans les secteurs où ne figureront plus la comptabilité en partie double et les bilans d’entreprises, et où les seules unités physiques de mesure (comme les unités de poids, de force et d’énergie mécanique) seront utilisées pour les calculs de prévision et d’organisation de la production.

 

 

IX Les associations entre entreprises et monopoles

 

Le monopole conséquence nécessaire de la prétendue libre concurrence

 

La position fondamentale de l’économie bourgeoise est que la sélection des entreprises les plus utiles socialement est assurée par les phénomènes du libre marché et de l’équilibrage des prix selon les disponibilités et les besoins des produits.

Le marxisme a démontré que même en admettant un moment cette fiction bourgeoise et illusion petite-bourgeoise que serait une économie de libre concurrence, production et échange libres, les lois de l’accumulation et de la concentration qui agissent en son sein la conduisent à d’épouvantables crises de surproduction, de destruction de produits et de misère générale. C’est à travers les vagues successives de telles crises que s’approfondit l’antagonisme entre la puissante et riche classe capitaliste et la misère des masses occupées ou sans travail, poussées à s’organiser en classe et à se révolter contre le système qui les opprime.

En tant que classe dominante la bourgeoisie a trouvé dès le début la base suffisante à son unité dans l’Etat politique et administratif qui, malgré la fiction des institutions électorales, était son «comité d’intérêts». Elle y gouvernait au moyen des partis d’opposition révolutionnaire qui avaient mené la révolution contre le féodalisme. La force de ce pouvoir fut immédiatement dirigée contre les premières manifestations de la pression de classe des travailleurs.

L’organisation économique des ouvriers en syndicats reste dans les limites de la lutte pour diminuer le taux de plus-value; l’organisation ultérieure en parti politique exprime leur capacité à se donner, en tant que classe, l’objectif du renversement du pouvoir de la bourgeoisie, de la suppression du capitalisme, avec la réduction radicale de la quantité de travail, l’augmentation de la consommation et du bien-être général.

De son côté, la classe bourgeoise ennemie, ne pouvant accélérer l’accumulation du capital, s’efforça d’affronter les l’énorme dispersion des forces productives, les conséquences des crises périodiques, les effets de l’organisation ouvrières en adoptant à un certain moment du développement capitaliste les formes (liées à l’histoire de l’accumulation primitive) des ententes, des accords, des associations et alliances entre entrepreneurs. Au début ces formes se limitaient aux rapports de marché, que ce soit dans la vente des produits ou dans l’acquisition de la main-d’oeuvre, avec des engagements chiffrés à respecter pour éviter la concurrence; ensuite elles se sont étendues à toutes les phases de la production: monopoles, trusts cartels, syndicats d’entreprises qui fabriquent les mêmes produits (associations horizontales) ou qui réalisent les transformations successives qui aboutissent à des produits donnés (associations verticales).

La description de cette phase du capitalisme, comme confirmation de la justesse du marxisme «qui a démontré comment la libre concurrence détermine la concentration et comment celle-ci (...) conduit au monopole» est classique chez Lénine: l’Impérialisme.

 

 

X Le capital financier

 

Entreprises de production et de crédit et renforcement du parasitisme de classe

 

En plus de l’usine et des machines, l’entrepreneur a besoin d’un capital monétaire liquide qu’il avance pour l’acquisition des matières premières et le paiement des salaires et qu’il récupère ensuite lors de la vente des produits. Comme pour l’établissement et les installations, l’entrepreneur peut très bien ne pas être propriétaire de ce capital: celui-ci est alors prêté par les banques à un certain taux d’intérêt annuel, sans que pour autant l’entrepreneur ou la société perde son titre de propriété sur l’entreprise, protégé par la loi.

Le bourgeois arrivé à sa forme idéale se présente à nous désormais dépouillé et sans propriété mobilière ou immobilière, sans argent et surtout sans scrupules. Il n’investit et ne risque plus rien qui soit à lui, mais il détient légalement tout ce qui est produit, et donc le profit. La propriété il se l’est ôtée lui-même en obtenant de cette façon de nombreux autres avantages; c’est sa position stratégique de bourgeois qu’il faut lui arracher. C’est une position sociale, historique et juridique, qui ne disparaît qu’avec la révolution politique, prémisse de la révolution économique.

A travers la séparation apparente du capital industriel et du capital financier, la classe bourgeoise en réalité resserre ses liens. La prédominance des opérations financières fait que les grands syndicats d’entreprises contrôlent les petits et les entreprises plus faibles pour les engloutir ensuite, sur le plan national comme sur la plan international.

L’oligarchie financière qui concentre entre quelques mains d’immenses capitaux, les exporte et les investit d’un pays à l’autre, fait partie intégrante de la classe des entrepreneurs dont le centre d’activité se déplace toujours davantage de la technique productive aux opérations affairistes.

Par ailleurs avec le système des sociétés par actions, le capital de l’entreprise industrielle constitué par des immeubles, des équipements et du numéraire est propriété en titre des actionnaires qui prennent la place de l’éventuel propriétaire foncier, du loueur de machines et de la banque prêteuse. Les loyers divers et l’intérêt des prêts prennent la forme d’un modeste «dividende» distribué aux actionnaires par les gestionnaires, c’est-à-dire l’entreprise. Celle-ci est un organisme en soi, qui inscrit le capital actionnaire au passif de son bilan et roule ses créditeurs par diverses combines: c’est la véritable forme centrale de l’accumulation. Les manoeuvres bancaires, à leur tour avec le capital d’actionnaires, rendent aux groupes industriels et affairistes ce même service de dépouillement des petits possesseurs d’argent.

La production de surprofits s’accroît à mesure qu’on s’éloigne de la figure du chef d’industrie qui, par sa compétence technique apportait des innovations utiles socialement.

 Le capitalisme devient toujours plus parasitaire: au lieu de gagner et d’accumuler peu en produisant beaucoup et en faisant consommer beaucoup, il gagne et accumule beaucoup en produisant peu et en satisfaisant mal la consommation.

 

 

XI La politique impérialiste du capital

 

Les conflits entre groupes et états pour la conquête et la domination du monde

 

Dans les pays industriellement les plus avancés, la classe des entrepreneurs rencontre des limites à l’investissement du capital accumulé dans le manque de matières premières locales, dans le manque de main d’oeuvre ou dans l’étroitesse des marchés.

La conquête de marchés extérieurs, le recrutement de travailleurs étrangers, l’importation de matières premières ou enfin le transfert de l’entreprise capitaliste à l’étranger avec des éléments et facteurs locaux, sont des processus qui ne peuvent pas s’accomplir dans le monde capitaliste avec de simples moyens économiques tels que le jeu de la concurrence; ils impliquent la tentative de réguler et de contrôler les prix de vente et d’achat, et peu à peu les privilèges et les protections par des mesures étatiques ou des conventions entre Etats. L’expansion économique devient donc colonialisme ouvert ou dissimulé, appuyé par de puissants moyens militaires. C’est par la force que se règlent les rivalités pour l’accaparement des colonies et la domination sur les Etats petits et faibles, qu’il s’agisse de contrôler de grands gisements de matières premières, des masses à prolétariser ou des couches de consommateurs capables d’absorber les produits de l’industrialisme capitaliste. Mais ces derniers sont dans le monde moderne constitués en grande partie non seulement des prolétaires et capitalistes des pays avancés, mais aussi des couches moyennes comme les paysans ou les artisans et des populations des pays à économie non encore capitaliste, qui sont aujourd’hui autant d’îlots encerclés dans le tissu général de l’économie capitaliste internationale et qui émergent les uns après les autres d’un cycle économique local et autarcique. D’où la situation générale difficile de la reproduction et de l’accumulation du capital, des crises de surproduction, de la saturation des possibilité d’écouler les produits dans le monde sur la base de la distribution mercantile et monétaire.

Pour tout marxiste il est évident que les complications de ces rapports historiques entre les métropoles super-industrialisées et les pays arriérés, de race blanche ou autre, ne peuvent qu’engendrer continuellement des conflits non seulement entre colonisateurs et colonisés, mais surtout entre groupes d’Etats conquérants.

La théorie prolétarienne rejette les thèses suivantes comme contre-révolutionnaires: a) que l’on puisse et doive freiner la diffusion dans le monde de la technique industrielle et des grands réseaux organisés de communication et de transport (survivances du libéralisme et du libéralisme petit-bourgeois); b) qu’il faille soutenir socialement et politiquement les actions coloniales et impérialistes de la bourgeoisie (opportunisme social-démocrate, corruption des chefs syndicaux et d’une «aristocratie prolétarienne»); c) que le système colonial basé sur le capitalisme puisse conduire à un équilibre économique entre les puissances impérialistes ou à la constitution d’un centre impérialiste stable et unique; et qu’il puisse éviter la course progressive aux armements et au militarisme, et le renforcement des systèmes oppressifs et répressifs de police de classe (faux internationalisme et fédéralisme entre Etats bourgeois, basé sur une pseudo-autonomie et sur l’auto-décision des peuples et sur des systèmes de sécurité et de prévention des «agressions»);

«L’impérialisme (...) développe partout la tendance à la domination et non pas à la liberté».

«Dans la réalité capitaliste (...) les alliances “inter-impérialistes” ne sont autre chose qu’une “trêve” entre une guerre et l’autre, quelle que soit la forme qu’elles prennent, que ce soit celle d’une coalition impérialiste opposée à une autre, ou celle d’une ligue générale entre toutes les puissances» (Lénine).

Le seul débouché de l’impérialisme mondial et une révolution mondiale.

 

 

XII L’entreprise moderne sans propriété et sans finance

 

L’adjudication et la concession, préfiguration de l’évolution capitaliste moderne

 

Toute forme sociale nouvelle qui tend à se généraliser sous l’effet des forces productives, apparaît d’abord au milieu des formes traditionnelles par des «prototypes» ou des «modèles» de la nouvelle méthode. Aujourd’hui il est possible d’étudier la forme de l’entreprise sans propriété en analysant l’industrie de la construction des bâtiments, et plus généralement des Travaux Publics dont l’importance dans l’économie tend à s’accroître toujours davantage.

Mettons de côté la figure du «commissionnaire», le propriétaire du terrain ou des immeubles où l’on travaille qui deviendra le propriétaire de l’oeuvre terminée, car pour ce qui concerne le mécanisme économique de l’«entreprise contractante», peu importe qu’il s’agisse d’une personne privée, d’une société ou de l’Etat.

L’entreprise, ou «adjudicateur» des travaux présente les caractères suivants:

1) Elle n’a pas de bureaux, d’usine, d’établissement propres; elle installe son «chantier» et ses bureaux à l’endroit mis à disposition par le client, qui est même redevable d’une certaine somme pour ces bureaux, chantiers et constructions provisoires.

2) Elle peut posséder des équipements et même des machines, mais le plus souvent, comme elle opère dans des localités diverses et éloignées, elle les loue ou alors elle les achète et les revend sur place; ou encore elle réussit à en faire payer l’amortissement complet.

3) Théoriquement elle doit disposer d’un capital liquide pour acheter les matières premières et les salaires, mais il faut noter: a) que l’on obtient ce capital facilement auprès des banques quand on montre qu’on s’est adjugé une bonne affaire, en donnant en garantie les promesses de paiements; b) que dans les formes modernes, l’Etat , par l’intermédiaire de «lois spéciales», fournit souvent ce capital, le prête ou oblige un institut de crédit à la faire: c) que les «prix unitaires» sur les base desquels l’entreprise est payée à mesure que sont réalisés les travaux (c’est-à-dire les produits véritables de l’industrie en question, tarifés et vendus au départ en dehors de tout aléa commercial, alors que par la suite il est très facile de les augmenter dans la comptabilité), sont déterminés en ajoutant à toutes les dépenses une partie des intérêts du capital avancé, et uniquement après tout cela le bénéfice de l’entrepreneur.

Dans cette forme typique, l’entreprise, la plus-value et le profit, en général très élevé, subsistent alors que disparaissent la propriété immobilière, celle des équipements et même celle du numéraire. Quand tous ces aspects sont à la charge d’organismes publics et de l’Etat, c’est alors que le capitalisme respire l’oxygène le plus pur et que les taux de rémunération atteignent des sommets; les surcoûts retombent de façon indirecte sur les autres classes: pour une petite part sur la classe des petits propriétaires et des propriétaires immobiliers, et pour la plus grande part sur la classe prolétarienne des non-possédants.

De fait l’entreprise ne paye pas de taxe foncière parce qu’elle n’a pas de propriété immobilière, et les taxes sur les mouvements de richesses mobilières lui sont remboursées, y compris celles qui figurent dans la «décomposition des prix unitaires», en les incluant dans la partie «frais généraux».

Dans cette forme d’entreprise, la classe capitaliste ne paye aucun frais pour le fonctionnement de l’Etat.

La concession est analogue à l’adjudication. Le concessionnaire reçoit de l’organisme public, une aire, une construction, parfois une installation complète; il l’exploite et empoche les produits et les gains. Il a l’obligation de faire des travaux ultérieurs donnés, de construire des installations ou des perfectionnements; il paye un loyer en argent, en une seule fois ou en versements successifs. Après un nombre, toujours important, d’années, toute la propriété, y compris les nouveaux travaux et les transformations réalisées, revient à l’organisme qui l’avait concédé ou au domaine public, dont elle était toujours la propriété en titre.

Le calcul économique de ce système démontre qu’il est d’un énorme avantage pour le gestionnaire si l’on considère; les taxes foncières qu’il ne paie pas; l’intérêt ou la rente considérable qui correspond à la valeur du terrain et des installations d’origine qu’il n’a pas été obligé d’acheter; les frais d’«amortissement» pour l’usure et le vieillissement qu’il ne doit pas prendre à sa charge parce qu’il rend les installations usées et largement exploitées, et non à l’état neuf.

La concession présente une absence presque totale de risques pour les investissements, un profit aussi élevé que dans l’adjudication et elle a la caractéristique de pouvoir s’appliquer à tous les types de production et de fournitures des industries y compris à siège fixe. Avec cette forme la tendance peut donc couvrir tous les secteurs économiques, le principe du profit et de l’entreprise restant intact.

En réalité l’Etat moderne n’a jamais d’activité économique directe; il la délègue toujours par des adjudications et des concessions à des groupes capitalistes. Nous ne sommes pas en présence d’un phénomène où le capitalisme et la classe bourgeoise seraient rejeter en arrière en perdant des positions privilégiées; cet abandon apparent de positions correspond à une augmentation de la quantité de plus-value, de profits, d’accumulation et de puissance du capital - et, en conséquence, à une augmentation des antagonismes sociaux.

La quantité de capital industriel et financier accumulé à disposition des opérations d’entreprises de la classe bourgeoise, est donc beaucoup plus grande que ce qu’il semblerait en additionnant les titres de propriété, que ce soit de biens immobiliers ou mobiliers, des capitalistes ou des propriétaires individuels. Ceci s’exprime dans le théorème fondamental de Marx qui décrit le système capitaliste comme une production et un fait social, depuis qu’il s’est affirmé sous l’égide du droit personnel.

Le capitalisme est un monopole de classe; tout le capital s’accumule toujours plus comme le bien d’une classe dominante et non comme celui d’une quantité de personnes et de sociétés.

 Dès que ce principe est posé, les équations et les schémas de Marx sur la reproduction, l’accumulation et la circulation du capital cessent d’être mystérieux et incompréhensibles.

 

 

XIII L’interventionnisme et le dirigisme économique

 

La tendance moderne de l’économie contrôlée comme accroissement de la domination de l’etat par le capital

 

L’ensemble des innombrables manifestations actuelles à travers lesquelles l’Etat montre qu’il régit des faits et des activités économiques dans la production, l’échange et la consommation, est considéré à tort comme une limitation et une diminution des caractères capitalistes de la société moderne.

La doctrine qui refuse que l’Etat assume des fonctions économiques et intervienne dans la production et la circulation des biens, n’est qu’une couverture idéologique issue de la période où le capitalisme, en tant force révolutionnaire, devait faire son chemin en brisant la muraille des obstacles sociaux et légaux qui l’empêchaient d’exprimer toutes ses potentialités productives.

Pour le marxisme, en garantissant l’appropriation des biens et des produits par ceux qui disposent de l’argent accumulé, en codifiant le droit individuel et sa protection, l’Etat bourgeois exerce dès sa formation une fonction économique ouverte; il ne se limite pas à assister de l’extérieur à un prétendu développement spontané et «naturel» des phénomènes de l’économie privée. C’est là où réside toute l’histoire de l’accumulation primitive, berceau du capitalisme moderne.

Au fur et à mesure que le système d’organisation capitaliste se répand dans le tissu social et dans les divers pays du monde, il provoque, par la concentration des richesses et la spoliation des classes moyennes, les contradictions et les antagonismes de classe modernes, en soulevant contre lui la classe prolétarienne qui était son allié dans la lutte contre le féodalisme. Et la classe bourgeoise transforme toujours plus les liens de classe entre ses divers éléments, d’une simple solidarité idéologique revendiquée en une organisation unitaire pour contrôler l’évolution des rapports sociaux, sans hésiter à reconnaître que ces derniers se forment sur la base d’intérêts matériels et non d’opinions.

C’est donc toujours sous la pression et pour les objectifs de classe des capitalistes, des entrepreneurs d’activités économiques et d’affaires, que l’Etat se met à intervenir, sur une échelle toujours plus grande, dans le domaine de la production et de l’économie en général.

Par exemple, l’entrepreneur de Travaux Publics ou le concessionnaire, mettons de lignes ferroviaires ou d’un réseau électrique, sont prêts à payer des salaires et des contributions sociales plus élevés parce que ceux-ci entrent automatiquement dans le calcul des «prix unitaires» ou des «tarifs publics». Etant évalué sur le total, le profit s’accroît, la plus-value augmente à la fois en quantité et en taux, puisque les salariés eux-même payent les impôts et utilisent les trains et l’électricité, et l’indice des salaires retarde toujours sur les autres.

En outre ce système encourage toujours davantage les entreprises dont les réalisations et les produits manufacturés ont une utilité faible ou nulle, ou qui poussent à des consommations plus ou moins morbides et antisociales, en accentuant l’irrationalité et l’anarchie de la production, alors que l’opinion commune y voit un principe d’organisation scientifique et la victoire du fameux «intérêt général».

Nous ne sommes pas en présence d’une domination partielle du capital par l’Etat, mais d’une domination accrue de l’Etat par le capital. Et dans la mesure où il y a une subordination plus grande du capitaliste individuel à l’ensemble des capitalistes, il en résulte une force plus grande et plus puissante pour la classe dominante, et une plus grande sujétion du petit au grand privilégié.

La direction de l’économie par l’Etat répond, plus ou moins efficacement suivent les lieux et les époques, avec des avancées et des reculs, aux multiples exigences de classe de la bourgeoisie: prévenir ou surmonter les crises de sous- ou de surproduction, empêcher ou réprimer les révoltes de la classe exploitée, faire face aux terribles conséquences économico-sociales des guerres d’expansion, de conquête de lutte pour la domination mondiale, et aux profonds bouleversements des périodes qui suivent.

La théorie prolétarienne ne voit pas dans l’intervention de l’Etat une préfiguration du socialisme qui justifierait un appui politique aux réformateurs bourgeois et une atténuation de la lutte de classe; elle considère l’Etat politico-économique bourgeois comme un ennemi plus solide, plus aguerri et plus féroce qu’un Etat abstrait purement juridique, et dont il faut poursuivre la destruction. Mais elle n’oppose pas à cette évolution prévue du capitalisme moderne, des revendications libérales ou libre-échangistes ou des théories confuses fondées sur les vertus d’unités productives autonomes, sans liens avec un système centralisé mais reliées entre elles dans l’échange par de libres ententes contractuelles (syndicalisme, économie des comités d’usine).

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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