Histoire de la Gauche communiste

(«programme communiste»; N° 103; Janvier 2016)

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La question du Front Unique (2)

 

 

La tactique du front unique politique fut théorisée dans des Thèses adoptées par la séance de l’Exécutif de l’Internationale Communiste du 18/12/1921; une première discussion le 4 décembre avait suscité des critiques des représentants français Bestel et Souvarine ainsi que du représentant suisse Humbert-Droz: «il serait très difficile de faire comprendre aux grandes masses pourquoi les communistes ont fait la scission [d’avec les partis socialistes – NdlR] si ensuite on vient à l’improviste avec le front unique sous cette forme» déclara ainsi Bestel (1). Ces thèses furent publiées dans les premiers jours de 1922 avec un appel: de l’IC et de l’Internationale des Syndicats Rouges: «Pour l’unité du front prolétarien!».

Dans ce dernier texte on pouvait lire au chapitre «Le Front unique est indispensable»:

«Les expériences qui ont eu lieu jusqu’à maintenant auraient dû montrer même aux aveugles combien l’Internationale Communiste avait raison quand elle disait que la classe ouvrière ne peut se libérer qu’en brisant le pouvoir de la bourgeoisie et en érigeant le sien propre, en s’associant internationalement pour déblayer les ruines de la guerre et commencer l’oeuvre de reconstruction. Nous savons cependant quelle est la force des liens du passé, les influences de l’école, de la presse et des églises capitalistes. Nous n’ignorons pas combien les grandes masses ouvrières redoutent encore la prise du pouvoir et d’avoir à se forger elles-mêmes leur propre destinée. Nous savons combien les grandes masses ouvrières ont été intimidées par les défaites que les minorités communistes ont essuyées dans leur lutte contre la mise en esclavage du prolétariat. Nous connaissons les menées de la presse capitaliste internationale, qui cherche à vous impressionner en montrant les blessures que le prolétariat russe isolé a reçues dans son duel inégal avec le capitalisme international. Et c’est justement parce que nous savons tout cela que nous vous crions: vous n’osez pas encore engager une nouvelle bataille, vous n’osez pas encore prendre les armes pour la dictature du prolétariat et donner l’assaut aux forteresses de la réaction mondiale. Rassemblez-vous au moins dans la défense de votre existence quotidienne, dans la lutte pour le pain et la paix! Unissez-vous pour cette lutte dans un front unique de combat, unissez-vous comme classe prolétarienne contre la classe des exploiteurs et des traîtres du monde entier! Détruisez les obstacles qu’on a dressés entre vous! Communistes, social-démocrates, anarchistes et syndicalistes, rangez-vous dans un même rang pour combattre la misère et le besoin!».

Si on se limite à ces phrases, l’appel concordait pleinement avec l’action menée par le Parti Communiste d’Italie au sein de la classe ouvrière.

Quant aux Thèses sur le front unique, elles reconnaissaient à leur point 12: «En Italie, le jeune parti communiste commence à mener son agitation sur le mot d’ordre du front unique prolétarien contre l’offensive des capitalistes, bien qu’il ait eu une attitude extrêmement intransigeante envers le parti socialiste italien réformiste et la Confédération du  Travail social-traître, qui ont récemment mené jusqu’à son terme leur trahison ouverte de la révolution prolétarienne. L’Exécutif de l’Internationale Communiste considère entièrement juste cette agitation des communistes italiens et demande seulement qu’elle soit encore intensifiée. L’Exécutif de l’Internationale Communiste est convaincu que le parti communiste italien, s’il fait preuve d’une perspicacité suffisante, pourra fournir à toute l’Internationale un modèle de combativité marxiste, capable de démasquer impitoyablement les hésitations et les trahisons des réformistes et des centristes qui se sont camouflés sous le manteau du communisme, et de conduire en même temps une campagne infatigable, toujours plus intense, parmi les masses toujours plus larges, pour le front uni des travailleurs contre la bourgeoisie. Il va de soi que le parti ne devra rien négliger pour gagner à l’action commune les éléments révolutionnaires de l’anarchisme et du syndicalisme».

Evoquant l’exemple du mouvement ouvrier en Russie, le point 19 expliquait que les Mencheviks, peu avant la guerre, s’appuyaient sur la tendance des masses ouvrières, surtout celles fraîchement entrées dans la lutte, à vouloir l’unité des différents partis, pour s’opposer à la lutte politique menée contre eux par les bolcheviks, qu’ils présentaient comme des diviseurs. «Pour contrebalancer le jeu diplomatique des chefs mencheviks, les bolcheviks posèrent le mot d’ordre de l’unité à la base, c’est à dire de l’unité des masses ouvrières dans l’action révolutionnaire pratique contre la bourgeoisie. La pratique a montré que c’était la seule tactique exacte». Et le point 23 des Thèses affirmait: «Par Front unique ouvrier il faut entendre l’unité de tous les travailleurs désireux de combattre le capitalisme».

Dans un article «Anciens buts, nouvelles voies», où par ailleurs il citait en exemple l’action du Parti Communiste en Italie, Zinoviev avertissait: «Plus nos accords pratiques avec les ouvriers appartenant aux autres organisations seront nombreux, et plus notre lutte idéologique contre le réformisme devra être ferme, nette et accusée. Sinon la gangrène dont se meurt le réformisme pourrait infecter notre organisme» (2).

Mais à côté de ces déclarations à laquelle la Gauche communiste dirigeant le PC d’I ne pouvait que souscrire parce qu’elle les mettait déjà en pratique, on trouve dans ces textes des déclarations qui leur sont parfaitement contradictoires, sans parler de positions ou mots d’ordre plus qu’ambigus, comme le «contrôle de la production» (3).

C’est ainsi que le point 18, tout en insistant sur la condition indispensable de «l’autonomie absolue et l’indépendance complète de tout parti communiste» qui y participait, admettait des accords avec des partis de la IIe Internationale et de l’Internationale deux et demi au nom du «mot d’ordre de la plus grande unité possible de toutes les organisations ouvrières dans chaque action pratique contre le front capitaliste»: On est là bien loin de l’unité à la base, «par dessus la tête des chefs mencheviks», comme l’avaient préconisée les bolcheviks selon ce qu’écrivait Zinoviev dans l’article cité plus haut!

 Il y a pire encore; au point 9, des Thèses il est écrit que «le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste approuve sans réserve la décision du Parti Communiste Allemand de soutenir un “gouvernement ouvrier unitaire” qui serait disposé à combattre sérieusement le pouvoir capitaliste». Comment un soi-disant «gouvernement ouvrier», en fait un gouvernement constitué par les partis Socialiste Indépendant et Social-Démocrate (dits «Majoritaires»), pourrait-il combattre sérieusement le pouvoir capitaliste, alors que ces partis ont fait à de nombreuses reprises la démonstration qu’ils étaient au service de l’ordre capitaliste?

Les dirigeants de l’Internationale ne l’ignoraient évidemment pas, mais ils répondaient qu’il s’agissait là d’une habile tactique. Mais en voulant arracher les prolétaires à l’influence de ces partis en «démasquant» ces derniers, on répandait en réalité des illusions sur ces mêmes partis.

Lors de la réunion des 16 et 17 novembre 1921, le Comité Central du PC Allemand (KPD) avait voté des Thèses sur le gouvernement ouvrier prônant le soutien à d’éventuels gouvernements socialistes dans les länders (les provinces, qui dans le cadre de l’Etat fédéral allemand, jouissaient d’une certaine autonomie): «dans la mesure où il dépend des communistes que soit élu un gouvernement purement bourgeois, un gouvernement de coalition ou un “gouvernement purement socialiste”, ils faciliteront l’élection d’un “gouvernement purement socialiste”. Ils auront le devoir de le soutenir dans toutes les mesures qu’il prendra dans l’intérêt de la classe ouvrière».

 Ces Thèses excluaient cependant la participation du parti à de tels gouvernements car ceux-ci «ne sauraient jouer leur rôle révolutionnaire que si les communistes se tiennent à l’extérieur et travaillent à les pousser en avant par leurs critiques» (4).

Mais le mal était fait avec l’admission que de tels gouvernements pouvaient avoir un rôle révolutionnaire; et il ne faudra attendre que quelques semaines pour que la centrale, dans une circulaire du 8/12/1921, affirme: «le parti doit dire aux travailleurs qu’il est prêt à appeler à la formation d’un gouvernement ouvrier socialiste avec tous les moyens parlementaires et extraparlementaires, qu’il est également prêt à entrer dans un tel gouvernement s’il a la garantie qu’il représente les intérêts et les revendications de la classe ouvrière contre la bourgeoisie» (5).

 

La grève des cheminots allemands

 

Cependant l’évolution de la lutte des classes en Allemagne mettait concrètement la tactique du Front Unique à l’épreuve.

Selon le rapport du dirigeant allemand Talheimer à l’Exécutif Elargi de février 1922 à Moscou, il y avait eu une certaine amélioration de la situation économico-sociale en Allemagne avec une baisse du chômage à la fin de l’année 1921; mais l’augmentation de l’inflation due à la chute du Mark provoquait une forte hausse des prix, alors même que les patrons et le gouvernement continuaient leur offensive antiouvrière: allongement de la journée de travail, baisse des salaires, restrictions au droit de grève, etc.

 La première réaction prolétarienne d’ampleur, qui sera suivie un peu plus tard par des grèves et mouvements de lutte dans la métallurgie (contre l’instauration de la semaine de 48 heures!), l’agriculture, etc., eut lieu au début de l’année 1922: le premier février 1922 les employés des chemins de fer se mirent en grève, à l’appel d’un petit syndicat indépendant. C’était une catégorie de travailleurs qui entrait en lutte pour la première fois et cette grève de fonctionnaires déchaîna la colère de tous les secteurs réactionnaires qui affectaient d’y voir une «insurrection» ou une attaque directe contre la toute-puissance de l’Etat.

 Le président social-démocrate du Reich s’empressa de suspendre le droit de grève des cheminots et le préfet de police de Berlin, lui aussi social-démocrate, prit des mesures sévères contre les grévistes.

Cette attitude de briseurs de grèves n’empêcha pas le KPD de lancer, conformément à sa tactique unitaire, un appel non seulement aux grands syndicats, mais aussi au Parti Social-Démocrate («Majoritaires») et aux Socialistes Indépendants pour une action commune en défense du droit de grève des employés de l’Etat.

 Bien évidemment les Majoritaires refusèrent tandis que les Indépendants faisaient une réponse évasive, et les deux Confédérations syndicales qui leur étaient liées appelèrent à reprendre le travail! La grève continuant néanmoins, le syndicat des cheminots qui en était à l’origine, sur les indications du KPD (6), demanda au Parti Social-Démocrate et aux Indépendants, s’ils étaient prêts à former un gouvernement ouvrier pour défendre les intérêts des travailleurs. Devant leur réponse évidemment négative, il appela le 7 février à la reprise du travail, après que les travailleurs aient seulement obtenu la promesse (qui ne sera pas tenue) qu’il n’y aurait pas de sanctions contre les grévistes. C’est ainsi que se termina un mouvement qui tendait spontanément à s’étendre à d’autres secteurs (notamment aux employés municipaux de Berlin dont la lutte en mai sera durement réprimée par la police: 4 morts) et qui aurait touché plus de 200.000 prolétaires...

 Mais cela ne suffisait pas à faire douter la direction du parti allemand de la justesse de sa tactique de front unique politique et du mot d’ordre de gouvernement ouvrier, comme le montrera s’il le fallait le compte-rendu sur la grève au «Comité Exécutif Elargi» (EE) de février..

 

L’Exécutif Elargi de février 1922

 

 L’adoption de la tactique de Front Unique par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste (CEIC) avait pris au dépourvu les différentes sections nationales, au point de susciter parmi elles des réactions d’incompréhension ou d’hostilité. Même si des compte-rendus d’activité de différents partis d’Allemagne, de France, de Tchécoslovaquie, d’Italie, d’Angleterre, des Etats-Unis, de Pologne et des Balkans, nouvelle devaient occuper les premières séances, si la question de la NEP (la «Nouvelle Politique Economique» suivie en Russie) fut abordée, ainsi que celle du courant d’opposition dans le parti russe, «l’opposition ouvrière» (7), si la question française occupa également une partie des débats, c’est essentiellement pour la question du front unique et pour répondre aux doutes que cette tactique provoquait, que le CEIC avait convoqué une réunion à Moscou du 24 février au 4 mars 1922, où les différentes sections nationales envoyèrent des délégations (8).

Le PC d’I avait donné son avis sur les questions soulevées par la nouvelle tactique dans une série d’articles de Bordiga publiés au début du mois de janvier: «La tactique de l’Internationale Communiste», que nous publions in extenso en annexe; il prépara plus particulièrement l’EE avec un «résumé» du point de vue du parti «devant servir de normes» à l’intervention de la délégation italienne (9), que le lecteur trouvera également en annexe. D’autre part le parti avait fait parvenir à l’Internationale les «Thèses sur la tactique» qui allaient être présentées à son Congrès de Rome.

Les premières séances de cet Exécutif Elargi, furent consacrées aux rapports d’activité des différents partis.

Au nom du parti allemand, Clara Zetkin fit un rapport sur la grève des cheminots. Elle y déclarait notamment: «Le Parti Communiste (...) fit comprendre aux masses que la grève avait sa source principale dans la décomposition de l’économie capitaliste de l’Etat bourgeois et devait se changer en une lutte contre le gouvernement et contre l’Etat lui-même. Nous avons indiqué que le droit de grève ne pouvait être conquis que dans un combat contre le pouvoir, et après la chute du gouvernement qui serait remplacé par un gouvernement ouvrier. Nous avons souligné et répété que la condition primordiale d’un combat victorieux était l’unité du front prolétarien».

Fixer le renversement du gouvernement et l’établissement d’un gouvernement ouvrier, comme condition du succès d’une grève défensive, même de grande ampleur et dans une situation «bourrée de matières inflammables» comme l’affirmait Zetkin, c’est où se payer de mots, ou faire dépendre cette victoire de la bonne volonté des partis qui auraient constitué (de quelle manière sinon parlementairement?) ce gouvernement, ceux-là même qui s’opposaient à la grève au nom de la défense de l’Etat!

Auparavant, Thalheimer, dans son rapport d’activité générale du KPD, avait exposé que le parti allemand avait adopté lors de la réunion de novembre de son Comité Central, le principe de la «saisie des valeurs réelles» et la possibilité de participer sous certaines conditions à un gouvernement ouvrier. Les Socialistes Majoritaires avaient décidé de passer un accord de gouvernement avec le Parti Populaire («le parti de l’industrie lourde» selon l’orateur), mais dans certains Länder cette ligne n’avait pas été suivie; Thalheimer informa les délégués que: «En Saxe et en Thuringe, le Parti Communiste fut mis en présence du problème du gouvernement ouvrier: il décida d’appuyer un gouvernement ouvrier [provincial– NdlR]».

 Ce rapport était ainsi l’annonce publique que le Front Unique tel qu’il était mis en pratique en Allemagne, s’était développé jusqu’au soutien à un gouvernement des partis réformistes – les agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier, selon l’expression classique de Lénine – dans le cadre de l’Etat bourgeois, voire à la participation à un tel gouvernement!

On trouve un exposé plus clair des positions du parti allemand dans un article de Brandler – le président du KPD – de la même époque. Brandler y explique que «le problème fondamental qui domine la politique et l’économie allemandes toutes entières est la recherche des ressources nécessaires au paiement des réparations de guerre». Mais jamais un gouvernement de collaboration avec les partis de droite ne pourra rejeter sur la bourgeoisie le fardeau de ces réparations; par conséquent «seul un gouvernement ouvrier s’appuyant sur une classe ouvrière prête au combat pourra, dans les intérêts du prolétariat, mobiliser contre la bourgeoisie tout l’appareil du pouvoir étatique [il serait donc possible de mobiliser l’appareil d’Etat bourgeois contre la bourgeoisie!]; seul il sera en mesure, par l’organisation du contrôle sur la production, de faire une telle pression sur les entrepreneurs que tout le poids des dépenses publiques sera rejeté sur les classes possédantes».

Mais, continuait Brandler, il existe dans le KPD, à côté d’éléments droitiers proches de Paul Lévi, expulsé quelques mois plus tôt et qui avait formé un petit rassemblement, la KAG (Communauté de Travail Communiste), «des tendances d’extrême-gauche qui (...) empêchent le parti d’appliquer les décisions de la dernière assemblée plénière du Comité Central. Dans la question fiscale, dans la question de l’imposition des valeurs réelles, on observe chez certains camarades une appréhension inexplicable [!] du capitalisme d’Etat et de l’étatisation de la grande industrie. (...) Ils ne comprennent pas ce que signifie dans les conditions actuelles le contrôle ouvrier sur les prix et la production, ils ne comprennent pas comment ce contrôle peut être réalisé “isolément” (...). Rejeter sur la bourgeoisie le poids des réparations et des dépenses consécutives à la guerre au moyen d’une lutte générale pour la formation d’un gouvernement purement ouvrier [c’est-à-dire d’un gouvernement composé uniquement des partis «socialistes»] et pour l’instauration du contrôle ouvrier sur la production et la répartition de tous les biens matériels, tel est le but vers lequel doit être dirigé toute l’activité pratique des communistes et des partisans de l’Internationale Syndicale Rouge en Allemagne» (10).

Le 10 janvier 1922, dans une lettre à la centrale du KPD, le CEIC avait donné son aval à l’action du KPD: «Par le fait d’avancer la revendication de rejeter la charge des dettes fiscales sur les possédants par la confiscation des valeurs réelles, et d’avoir étendu ce mot d’ordre jusqu’à la revendication du contrôle de la production grâce à l’influence ainsi obtenue par l’intermédiaire de l’Etat, d’avoir présenté le mot d’ordre du gouvernement ouvrier comme la seule voie pour que les revendications ci-dessus puissent être réalisées, le Parti Communiste Allemand sera capable de rassembler autour de lui, sur le plan de l’agitation et sur celui de l’organisation, de larges masses ouvrières, et de contraindre les autres partis qui se basent sur le prolétariat, ou à s’aligner ouvertement et clairement du côté de la bourgeoisie, ou à engager la lutte contre la coalition capitaliste» (11). Mais les faits se chargeront de montrer l’échec complet de cette tactique qui signifiera malheureusement aussi la défaite du mouvement prolétarien en Allemagne.

Ce n’est pas ici le lieu de faire la critique des positions confuses du courant de gauche, qui accusait la majorité du KPD d’avancer des positions opportunistes et réformistes; il exprimait néanmoins une réaction saine des éléments prolétariens du parti aux déviations opportunistes de la majorité, déviations qui avaient leur écho jusque dans la direction de l’Internationale.

 

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Revenons à l’Exécutif Elargi. L’activité du parti italien y fut exposée par Terracini; il déclara que le parti avait entamé depuis plusieurs mois une activité vigoureuse parmi les masses ouvrières en faveur d’un front unique de combat dont le premier résultat était la création d’un embryon de front unique syndical sous la forme de «l’Alliance du Travail» sur l’initiative du syndicat des cheminots (qui n’appartenait pas à une Confédération syndicale). Mais fidèle à son hostilité à tout front unique politique, le Parti, tout en déclarant soutenir l’initiative de constitution d’un front syndical, refusa de participer à la réunion préparatoire du 2 février où avaient été convoqués, non seulement les grandes organisations syndicales, mais aussi le Parti Socialiste, l’Union Anarchiste et le Parti Républicain (parti bourgeois de gauche).

Terracini repoussa aussi l’idée que le Parti avait commis une faute dans la question des «Arditi del Popolo». Le refus de participer à ce mouvement antifasciste avait été et sera par la suite régulièrement invoqué pour accuser le PC d’I dirigé par la Gauche, de sectarisme impénitent. Cette condamnation de la politique du PC d’I envers les AdP atteignit évidemment un sommet au moment de la politique des unions antifascistes de la Résistance pendant la deuxième guerre mondiale, dans laquelle les Staliniens lièrent complètement les éléments prolétariens aux intérêts bourgeois. Elle fait partie aujourd’hui encore de l’arsenal politique de tous les pseudo-révolutionnaires contre notre courant. Arrêtons-nous donc pour dire quelques mots à ce sujet.

Les AdP étaient une scission d’un mouvement d’anciens combattants, les Arditi d’Italia (les Arditi – «hardis» – étaient les troupes de choc de l’infanterie pendant la guerre). Leur chef, Secondari, personnage trouble qui avait tenté en 1920 d’entraîner les Arditi dans un simili coup d’Etat, déclara qu’au début les AdP sympathisaient avec les fascistes car ils voyaient en eux un mouvement patriotique constituant un «rempart contre les violences rouges»; mais qu’ayant constaté finalement que c’était les fascistes qui détenaient «le monopole du brigandage politique», ils avaient conclu que c’était leur devoir de s’opposer à eux au nom du «rétablissement de l’ordre et de la normalité de la vie civile» (12).

Dès lors les AdP multiplièrent les déclarations démagogiques contre la «bourgeoisie ploutocratique» et pour «l’émancipation des travailleurs»; ils appelèrent cers derniers à les rejoindre pour s’opposer à quiconque tente de «semer le désordre dans l’organisme social».

Dans la situation de l’époque, marquée par le renoncement à la lutte contre le fascisme du Parti Socialiste et des dirigeants syndicaux (signataires d’un «pacte de pacification» avec les fascistes), les AdP rencontrèrent un écho certain parmi les prolétaires, et pas seulement anarchistes, comme le démontra le succès de leur grand rassemblement en juillet 1921 à Rome. Il était donc urgent pour le Parti Communiste d’éviter que y compris ses militants et sympathisants se laissent embarquer dans une entreprise équivoque où ils auraient été soumis à la discipline d’une organisation militant en fait pour la défense de l’ordre établi. Il aurait été d’autant plus inconcevable pour le parti de consacrer ses forces et son énergie à développer les AdP (comme l’auraient voulu certains dirigeants de l’Internationale), qu’il s’efforçait de constituer et de développer ses propres formations armées! Sur le plan militaire même à un niveau embryonnaire, sur le plan de la lutte armée qui est la forme suprême de la lutte politique, le critère de l’indépendance politique absolue du parti est encore plus vital que dans les autres domaines. Indépendance absolue signifiait refus de se fondre dans une organisation se prétendant, comme les AdP, «au-dessus des partis» pour mieux décider de son activité en dehors de tout contrôle. Cela ne signifiait pas refus d’actions ponctuelles sur des objectifs précis n commun avec les AdP (ou autres).

En octobre 21, Secondari était remplacé à la tête de son mouvement par un député socialiste, tandis que les AdP étaient soutenus par le quotidien de l’ancien président du Conseil Nitti, homme politique incontestablement bourgeois, mais adversaire des fascistes. A la fin de l’année 1921, les AdP avaient pratiquement disparu, non cependant sans avoir affronté en différents endroits les fascistes les armes à la main, notamment à Rome et à Parme aux côtés des communistes.

Fortichiari, membre du comité exécutif du PC d’I et dirigeant de son «Ufficio Primo» (Premier Bureau, chargé du travail illégal), écrit dans ses mémoires:

«En tant que responsable du Premier Bureau, et avec l’accord du Comité Exécutif du PC d’I, j’intervins plusieurs fois en faveur d’ententes entre les Arditi del Popolo et les brigades d’action organisées par nous. On se décidait à chaque fois pour des objectifs définis, dans des situations déterminées par des exigences particulières et dans ces cas l’accord avait des limites locales et les mousquetaires de Rome (c’est ainsi que nous les appelions) Secondari et Ambrosini n’avaient pas la possibilité d’interférer. (...) La légende de l’intransigeance «bordiguiste» envers les Arditi del Popolo a été une grossière manoeuvre contre la ferme politique de notre Parti» (13).

 

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Fermons cette parenthèse. Au cours des séances de discussion à l’EE, Walecki, qui avait été, avec Bordiga, le représentant de l’Internationale au Congrès de Marseille du parti français, expliqua qu’en Pologne le parti communiste n’appliquait la tactique du front unique que sur le plan syndical, son Comité central s’étant opposé à des ententes avec les dirigeants sociaux démocrates (Radek répondit: «plus la social-démocratie est infâme, plus la tactique du front unique est justifiée»); mais cela ne l’empêcha pas de critiquer la position du PC d’I et d’approuver les thèses du CEIC, en disant que la position suivie jusqu’ici par le parti polonais n’était pas définitive.

Le délégué autrichien fit part des craintes de son parti sur la capacité de la social-démocratie autrichienne, qui jouissait d’une solide organisation, d’une forte implantation et d’une grande habileté politique lui permettant de tenir des discours révolutionnaires à destination des ouvriers tout en maintenant sa collaboration avec la bourgeoisie, à utiliser à son profit la tactique du front unique politique. La proposition émise par l’Internationale deux et demi, dont le siège était à Vienne, d’une réunion de toutes les Internationales en vue d’une action commune, en était d’ailleurs la démonstration. D’autres délégués émirent des doutes, plus ou moins prononcés. Zinoviev, Radek, Trotsky, Losovsky, Lounatcharsky (14) et d’autres s’employèrent à convaincre les participants de la justesse de la politique du front unique.

De son côté, Thalheimer répondit aux critiques émises par les délégués français et italiens contre l’attitude du KPD envers les gouvernements socialistes: «Les conditions sont telles qu’en ce moment en Saxe et probablement aussi en Thuringe, les majoritaires seraient prêts à entrer avec plaisir dans un gouvernement coalitionniste bourgeois et que justement, l’appui donné par nous au gouvernement des majoritaires et des indépendants, constitue la bride qui les retient».

Ainsi donc la tactique du front unique qui devait en principe servir à démasquer aux yeux des masses les sociaux-démocrates, était maintenant invoquée pour empêcher que ces derniers se démasquent dans une collaboration ouverte avec les bourgeois! Déjà en juin 21, en Saxe, les députés communistes avaient voté les mesures économiques du gouvernement social-démocrates pour éviter la chute de ce dernier.

On ne peut pas ruser avec les faits: donner son «appui» à un gouvernement socialiste pour éviter un gouvernement plus à droite, signifie concrètement donner son appui à une politique que les communistes dénoncent et combattent. Il n’est donc pas étonnant que la décision de la centrale du KPD de soutenir en septembre 21 la formation d’un gouvernement des Majoritaires et des Indépendants en Thuringe, dût être imposée aux communistes locaux qui y opposaient une «résistance acharnée» (15). Suivre une politique contradictoire avec la ligne politique du parti dans l’espoir de gagner en influence sur les masses, a comme premier résultat d’affaiblir le parti en ébranlant sa cohésion interne.

C’est fondamentalement le sens des interventions de Terracini lors des séances de discussion. Il commença sa première discours de cette façon:: «il faut désormais poser ainsi la question: allons-nous pour conquérir les masses sacrifier précisément les principes auxquels nous devons notre existence? Nous considérons qu’il sera peut-être possible de conquérir les masses grâce aux moyens que l’Exécutif propose aux partis d’adopter, mais alors nous n’aurons plus de partis communistes. Nous aurons des partis qui ressembleront comme deux gouttes d’eau aux vieux partis socialistes» (16).

Il réfuta ensuite la possibilité que les partis sociaux-démocrates puissent réellement lutter pour des objectifs prolétariens; les propositions qui leur seront faites en ce sens n’auront pas de résultats, comme le prouvent les expériences de l’Allemagne, depuis l’épisode de la «lettre ouverte» envoyée par le KPD aux socialistes en vue d’actions communes, jusqu’aux gouvernements socialistes régionaux; mais elles provoqueront la confusion dans les sections communistes. Après avoir rappelé que le parti italien préconisait le front unique sur le seul terrain syndical, s’opposant au front unique politique et parlementaire, il confirma son opposition logique à la tenue d’une réunion des trois Internationales.

Puis il termina par: «Avec les masses, par une action générale et unie, non pas avec les partis des traîtres par une unité formelle et stérile! Nous demandons uniquement que le problème soit posé d’une façon claire et précise, sans démagogie et sans rechercher un effet grossier».

Mais les interventions de Terracini (et de Roberto, l’autre délégué italien à prendre la parole) ne furent pas exemptes de faiblesses. C’est ainsi que Terracini présenta la tactique suivie par le PC d’I sous l’angle de l’incitation à une lutte générale du prolétariat – ce qui est évidemment non seulement correct mais indispensable – mais en donnant l’impression que le parti refusait les luttes partielles: «Evitons ces luttes quotidiennes qui n’apportent aucune solution, mais deviennent au contraire dangereuses pour le prolétariat qui doit un jour décider résolument de son sort. Le PC se rend parfaitement compte qu’il s’agit d’unir tous les ouvriers d’une catégorie ou de toutes les catégories, en un mot le prolétariat tout entier d’une nation, autour d’un mot d’ordre de lutte générale. (...) il ne faut plus mener de combats partiels, mais (...) il est nécessaire de conduire le prolétariat à une action générale».

En réalité les luttes partielles, quotidiennes, sont inévitables; elles sont même particulièrement nécessaires dans une période où il s’agit de se défendre quotidiennement contre l’offensive patronale; le rôle des révolutionnaires et du parti est, non pas de les éviter, mais d’y participer, de prendre appui sur elles pour convaincre les prolétaires de les étendre si possible et en tout cas de les convaincre de la nécessité d’une lutte générale. Comme le disait Marx: «Si la classe ouvrière lâchait pied dans son combat quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d’entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure» (17). Le PC d’I ne l’ignorait pas, comme en témoigne son intervention dans les luttes et la résistance ouvrières qui était saluée par l’Internationale. Un autre point faible des interventions de Terracini, est que sa dénonciation de la politique des sociaux-démocrates fut plutôt sommaire, se limitant pratiquement à dire qu’ils refuseraient toute proposition de gouvernement ouvrier faite par les communistes ou à dénoncer leur opposition de principe à toute action illégale et armée. Ces faiblesses permirent à Radek et Trotsky de dénoncer dans les positions des délégués italiens une «édition revue mais pas corrigée» de la théorie de l’offensive, contre laquelle les bolcheviks avaient dû combattre au IIIe Congrès.

Zinoviev (le président de l’Internationale) voulut trouver une contradiction entre les positions assumées par la délégation italienne et le fait que le PC d’I ait été le premier à lancer, en août 1921, le mot d’ordre du front unique (peut-être sans s’en rendre compte, ajouta-t-il ironiquement!) et que Bordiga ait défendu cette tactique lors du récent Congrès de Marseille du PCF (18); il déclara qu’il était «faux» de distinguer le front unique sur le terrain syndical et sur le terrain politique, sauf à préconiser, comme les mencheviks, la neutralité des syndicats. Et il affirma qu’au lieu de critiquer le parti allemand sur la question du gouvernement ouvrier, le parti italien aurait dû lancer ce mot d’ordre.

A ce sujet, il est symptomatique que lors de cet EE il n’y eut aucune discussion sur l’extension du mot d’ordre de front unique à celui de gouvernement ouvrier, si ce n’est à travers les critiques portées par la délégation italienne à la politique suivie en Allemagne. Cette absence était en elle-même suffisante pour démontrer le danger de la politique du front unique politique: l’absence de toute limite dans la «flexibilité» tactique, ouvrait la porte aux pires déviations.

Zinoviev affectait de ne pas voir de différence entre le front unique sur le plan syndical ou à la base, et le front unique politique, c’est-à-dire l’accord entre partis politiques. Il s’agit pourtant de deux niveaux différents: dans le premier les appels à l’action unie des prolétaires, quelles que soient par ailleurs leurs idées politiques ou religieuses, sont possibles et féconds parce qu’ils reposent sur le besoin, commun à tous, de défendre ses intérêts matériels de classe. S’ils étaient dirigés par des réformistes, les syndicats étaient alors des organisations réellement ouvrières, ouvertes à tous les prolétaires pourvu qu’ils soient désireux de se défendre, financées et édifiées par eux, dont la direction pouvait potentiellement être conquise par les communistes.

Rien te tel au niveau politique; basée sur des politiques et des programmes précis opposés à la lutte de classe, les partis social-démocrates et réformistes étaient des organisations qui avaient démontré leur opposition aux luttes d’émancipation prolétarienne et à la révolution; ils ne pouvaient changer de position et de programmes à la suite de discussions et d’accords, parce que leur politique était matériellement déterminée par l’influence bourgeoise prédominante en leur sein; c’est bien la raison pour laquelle les révolutionnaires avaient dû rompre avec eux, avec leur programme, leur politique et leur pratique et constituer de nouveaux partis. Certes, le problème était qu’ils conservaient encore une forte influence sur le prolétariat; mais selon la Gauche communiste, la meilleure façon d’arracher les prolétaires à cette influence n’était pas de proposer ou de passer des accords avec eux; une telle tactique revenait objectivement à semer le doute parmi les prolétaires qui suivaient les communistes sur le bien-fondé de la scission, et à légitimer les prolétaires qui l’avaient refusée, dans l’espoir que les réformistes se trahissent et se démasquent aux yeux de ces derniers. Nous avons vu plus haut en Allemagne qu’en venant dans les faits sur le terrain de l’adversaire, c’était les communistes qui au bout du compte se «trahissaient» et étaient contraints de soutenir le programme gouvernemental des réformistes.

Un autre exemple fut donné au moment de l’EE de février: la dite «Internationale deux et demi» (rassemblant une série de partis appelés «centristes» qui avaient rompu avec la réformisme ouvert des sociaux-démocrates de la IIe Internationale, mais qui étaient néanmoins opposés aux communistes et à la révolution) proposait une réunion des trois Internationales pour préparer un «Congrès ouvrier mondial». Le PC d’I affirma son opposition à une telle réunion, et avança la proposition alternative d’une réunion internationale des organisations syndicales — Zinoviev donna lecture du télégramme envoyé par Bordiga au nom du Comité exécutif du PC d’I, pour le critiquer (19). L’Exécutif de l’Internationale Communiste ne pouvait refuser une telle proposition qui correspondait à la nouvelle tactique qu’il préconisait! Trotsky reconnût dans une des ses interventions: «la conférence des trois Internationales (...) nous fut imposée (...)». Il continua: «Le fait est que Victor Adler [leader autrichien de l’Internationale deux et demi] s’est adressé à nous en ces termes: nous vous invitons pour discuter, éventuellement pour décider avec vous les moyens d’exercer en commun une pression sur la bourgeoisie et sur sa diplomatie. Si nous disions “non” les partisans de Scheidemann, Frédéric Adler, Longuet et tutti quanti, auraient beau jeu auprès de la classe ouvrière». Les réformistes savaient utilisaient la tactique du front unique pour mettre les communistes au pied du mur...

En conclusion des ces journées de discussion, la délégation italienne résuma son opposition au front unique politique dans une motion dont elle ne doutait pas qu’elle serait rejetée: «le Comité Exécutif Elargi déclare par la présente que les thèses du troisième Congrès se rapportant à l’appel aux masses et à l’union de tous les travailleurs en vue d’une action de classe pour l’obtention des revendications immédiates du prolétariat, doivent être scrupuleusement appliquées par toutes les sections de l’Internationale Communiste, en prenant pour base et en exploitant la tendance qui se fait jour parmi la classe ouvrière vers une unification de la lutte.

Elle affirme en outre que cette action nécessaire doit être menée sans aucun rapprochement avec les partis politiques car tous sont également incapables de servir même les revendications les plus pressantes de la classe laborieuse». La motion affirmait aussi le refus de la proposition d’une rencontre des 3 Internationales.

Cette motion reçu le soutien, hélas plus que douteux, de la délégation française, ainsi que de la délégation du PC espagnol. Après le vote qui vit l’adoption de la motion du CEIC reprenant les Thèses sur le FU élaborées décembre, les 3 délégations firent une déclaration disant qu’elles agiraient avec discipline conformément aux thèses votées (20).

(A Suivre )

 


 

(1) A cette séance de l’Exécutif il y eut aussi une vive discussion entre Boukharine et Radek, celui-ci proposant d’inscrire le mot d’ordre du F.U. dans le programme de l’Internationale, alors que Boukharine y était hostile parce qu’il s’agissait selon lui d’une formule tactique liée à la situation, et qui pourrait donc être abandonnée du jour au lendemain. Cf «Storia della Sinistra Comunista», Edition Il Programma Comunista, vol IV, p. 249.

(2) Article publié sur le Bulletin Communiste n°6 (7/2/1922), p. 116. Feltrinelli reprint 1967. Soulignons que Zinoviev parle ici d’accords avec des ouvriers, pas avec des partis...

(3) Dans l’Appel on pouvait ainsi lire: «Unissez-vous, Travailleurs, pour conquérir le contrôle de la production, exigé non seulement par les intérêts du prolétariat, mais encore par les intérêts des couches les plus larges de la petite-bourgeoisie, gravement atteintes, elles aussi, par la hausse continue des prix». Ce mot d’ordre de contrôle de la production avait été lancé en Allemagne par le KPD avec la revendication de la «saisie des valeurs réelles», etc.: «confiscation de l’or et des valeurs réelles; transfert des dettes de l’Etat, des gouvernements fédéraux et des communes à la charge de la classe possédante (...); au lieu de la stinnesation des entreprises étatiques, fédérales et communales, contrôle de l’industrie cartellisée; au lieu de l’exploitation à outrance, confiscation partielle des grandes fortunes; au lieu de la spéculation déchaînée, contrôle de la production par les organisations de la classe ouvrières; au lieu de l’alliance Stinnes-Scheidemann [chef social-démocrate], front unique prolétarien; au lieu du gouvernement de Stinnes, gouvernement ouvrier». Thèses sur la question des réparations, cité dans «Storia della Sinistra Comunista», Ed. Il P. C. 1996, vol IV, p. 251.

Hugo Stinnes était un grand capitaliste financier et industriel dont l’influence était considérable auprès des dirigeants du pays, sociaux-démocrates y compris; il poussait à l’accentuation des politiques anti-ouvrières, avec notamment le retour à la journée de 10 heures de travail.

(4) Cité par Broué, «Révolution en Allemagne (1917-1923)», Ed. de Minuit 1971, p.623

(5) cf Broué, ibidem, p. 625.

(6) Selon Broué, op. cit. p. 584.

(7) Apprenant qu’une réunion internationale devait se tenir sur le thème du front unique, 22 représentants de ce courant envoyèrent une lettre au CEIC; battus au congrès du parti l’année précédente, ils faisaient appel à l’Internationale de cette décision au nom du front unique: «Partisans du front unique tel qu’il est interprété par les thèses de l’Internationale Communiste, nous en appelons à vous avec le désir sincère d’en finir avec tous les obstacles mis à l’unité de ce front à l’intérieur du Parti communiste de Russie» (...). «Les forces coalisées de la bureaucratie du parti et des syndicats abusent de leur pouvoir et ignorent les décisions de nos congrès ordonnant l’application des principes de la démocratie ouvrière. Nos fractions, dans les syndicats, et même dans les congrès sont privées du droit d’exprimer leur volonté pour l’élection de leurs comités centraux» etc.

 Le Bureau Politique du parti russe déclara «être d’avis que les membres du Parti ont le droit de se plaindre de lui à l’organe supérieur de notre organisation, l’Internationale Communiste. Il est prêt à soumettre à la Conférence où à une commission désignée par elle tous les documents concernant la réalité des faits indiqués dans la lettre des 22 (...)»

Remarquons que la question du Front Unique portait sur la question de l’attitude à avoir par rapport aux partis et organisations non communistes, non révolutionnaires, et aux prolétaires qui suivaient ces organisations, et cela dans des pays capitalistes où la classe dominante bourgeoise menait une attaque d’ampleur contre le prolétariat; c’était un énorme contresens politique que d’évoquer cette tactique pour répondre aux problèmes de la situation en Russie et encore plus à ceux de la vie interne du parti!

Une commission composée de Zetkin (Allemagne), Cachin (France) et Terracini (Italie), après les avoir entendus de même que Trotsky, rejeta la plainte de l’Opposition Ouvrière.

 Ce fut la dernière fois que l’Internationale ait eu à s’occuper des affaires internes du parti russe. Lors des luttes internes en 1926 la direction stalinienne du parti interdit aux dirigeants de l’opposition de porter la question devant l’Internationale, qui théoriquement aurait dû être l’instance suprême du mouvement communiste mondial; Staline tenta de dissuader Bordiga d’évoquer le sujet en disant que les militants oppositionnels auraient à essuyer des représailles s’il le faisait...

(8) Toutes les citations d’interventions ou de textes produits à cet Exécutif Elargi sont tirées de la brochure: «Compte-rendu de la Conférence de l’Exécutif Elargi de l’Internationale Communiste», Librairie de l’Humanité, 1922. Feltrinelli Reprint. Disponible sur internet à: http://ia802702.us.archive.org/24/items/compterendudelac00comm/compterendudelac00comm.pdf

(9) La délégation italienne était dirigée par Terracini, membre du Comité Exécutif du Parti. Bordiga était resté en Italie, non seulement à cause de l’évolution de la situation dans le pays, mais aussi pour préparer le deuxième Congrès du PC d’I qui devait se tenir peu après, du 20 au 24 mars 1922.

(10) cf G. Brandler, «Les conditions du développement de l’Internationale Syndicale Rouge», L’Internationale Communiste n°20 (avril 1922).

(11) «Die Tätigkeit der Exekutive und des Präsidiums der E.K. der Kommunistischen Internationale vom 13. Juli 1921 bis 1. Februar 1922», Petrograd 1922, p. 375-386. Cité dans «Storia della Sinistra Comunista», tome IV, Ed Il P.C., Milan 1996, p. 252.

(12) Manifeste de juillet 1921, cf «Storia della Sinistra Comunista», ibidem, p. 124.

(13) Cité dans Corrado Basile - Alessandro Leni, «Amadeo Bordiga Politico», Ed. Colibri 2014, p. 417. Fortichiari ne faisait pas partie du courant originel de la Gauche Communiste Abstentionniste, mais il ne suivit pas la trajectoire politique des gramscistes. Lorsqu’il fut pressenti par l’Internationale pour faire partie de la nouvelle direction du parti autour de Gramsci, en remplacement de la direction de gauche, il démission en effet du Comité Exécutif en solidarité avec Bordiga et ses camarades.

(14) Selon Broué, op. cit., p. 627.

(15) Rosmer (qui était présent) écrit que le délégué italien (par erreur il parle de Togliatti) «résista aux attaques qui l’assaillaient de toutes parts; La délégation russe fit, contre lui, donner Lounatcharsky; il n’était encore jamais intervenu dans les Congrès de l’Internationale Communiste, mais il parlait italien avec aisance et put ainsi s’adresser aux Italiens dans leur langue. [Terracini] y resta insensible». cf Alfred Rosmer, «Moscou sous Lénine», Ed. Pierre Horay, Paris 1953, p. 207.  

(16) Comme nous l’avons écrit dans le recueil «Défense de la continuité du programme communiste» (Textes du PCInternational n°7, p. 61), le fait que le PC en Italie ait connu précisément ce sort et que Terracini lui-même en soit resté membre, n’est qu’une preuve supplémentaire de l’impersonnalité des processus historiques. Membre fondateur du groupe de l’Ordine Nuovo de Gramsci, Terracini suivit la trajectoire politique de ce dernier: la première période de militantisme dans le parti en parfaite cohérence avec la Gauche fut suivie d’une autre où, sous la pression de l’Internationale, Gramsci, Togliatti, Terracini et cie s’en détachèrent avant d’adopter des positions de plus en plus éloignées du marxisme.

(17) cf K. Marx, «Salaire, prix et profits», ch. 15.

(18) Sur le Congrès de Marseille, voir le n° précédent de cette revue.

(19) Ce télégramme disait: «Nous confirmons le mandat rejetant la proposition qui tend à accepter l’invitation de l’Internationale de Vienne à une conférence générale. Gardez intacte notre formule d’invitation des organisations syndicales de toute nuance et proposez en outre que chaque organisme central syndical y envoie une représentation proportionnelle de toutes ses fractions politiques (...) L’acceptation de cette proposition facilitera à l’Internationale Communiste le travail indépendant pour l’unité de front. Au cas où elle serait rejeté, la responsabilité en retomberait sur les socialistes». Pour Zinoviev cette proposition n’était pas sérieuse, c’était «un jeu de cache-cache» et le PC d’I se tenait «un pied dans le front unique et un pied en l’air».

(20) Cette déclaration fut lue par Cachin, qui était tout sauf un modèle de militantisme communiste! Le fait que la délégation italienne n’ait pas su ou pu se passer du soutien embarrassant des Français fait partie des faiblesses dont nous avons parlé.

 

 

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