Histoire de la Gauche communiste

(«programme communiste»; N° 104; Mars 2017)

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La question du Front Unique (3)

 

(Les chapitres précédents de cette étude sont parus sur les n°102 et 103 de Programme Communiste)

 

 

LA CONFERENCE DES TROIS INTERNATIONALES

 

La Conférence se déroula à Berlin, les 2, 4 et 5 avril 1922; il s’agissait d’une réunion préliminaire qui devait préparer un «Congrès ouvrier mondial». La proposition en avait été faite par l’ «Union des Partis Socialistes» (UPS), dite Internationale de Vienne (ou, sur un mode ironique: «Internationale deux et demi»), le 15 janvier 1922 et accepté par la Deuxième Internationale et l’Internationale Communiste (IC) Mais en fait dès le 12 décembre 1921 la centrale du KPD avait adopté une résolution demandant l’organisation d’une session publique du Comité Exécutif de l’IC à Berlin ou à Vienne ayant à son ordre du jour l’action commune avec les autres Internationales.

L’UPS regroupait les partis qui s’étaient séparés de la IIe Internationale, trop engagée aux yeux de larges couches de travailleurs dans la collaboration ouverte entre les classes, le soutien sans faille au capitalisme qu’elle prétendait seulement réformer, et l’hostilité déclarée à la révolution; mais cette position plus à gauche en apparence de l’UPS ne devait pas faire illusion; selon la formule des bolcheviks les partis qui la composaient étaient révolutionnaires en paroles, mais opposés à la révolution dans les faits: ils en avaient déjà fait la démonstration dans leur activité politique. Les principaux membres de l’UPS étaient le Parti Social-Démocrate Autrichien, l’USPD (Parti Socialiste Indépendant d’Allemagne) (1), le Parti Socialiste français et le Parti Socialiste Suisse. L’USPD et le PS français étaient constitués des tendances minoritaires de droite des vieux partis socialistes qui avaient combattu l’adhésion à l’Internationale Communiste. La IIe Internationale avait envoyé des représentants du SPD (Allemagne), du Labour Party (Grande-Bretagne), du Parti Socialiste belge et des Socialistes Mencheviks russes et géorgiens. La délégation de l’IC était dirigée par Radek et Boukharine; Bordiga, représentant le PC d’I, ne put être présent qu’à la dernière journée à cause de problèmes de passeport. En fin le Parti Socialiste italien qui n’appartenait à aucune Internationale était également présent à Berlin.

Etaient ainsi réunis autour d’une même table les représentants de partis qui se situaient de part et d’autre de la tranchée sociale: le SPD avait écrasé les mouvements révolutionnaires en Allemagne, les Mencheviks s’étaient opposés à la révolution en Russie, le PS, participant aux gouvernements d’«Union sacrée», avait entraîné les prolétaires français dans la boucherie de la guerre mondiale, etc.

La déclaration liminaire de la délégation de l’IC, par la voix de Clara Zetkin, vieille militante du mouvement socialiste allemand, rappela donc que «certains éléments du prolétariat se sont trouvés avoir une communauté temporaire d’intérêts avec les Etats impérialistes; de là l’attitude contre-révolutionnaire de beaucoup de partis et d’organisations ouvrières. (...) nous déclarons qu’une unité organique des groupements internationaux du prolétariat, orientés différemment dans leurs principes, serait tout à fait utopique et nuisible»; mais «il faut cependant reconnaître que toute la situation mondiale exige impérieusement que la classe ouvrière, malgré toutes les profondes contradictions qui la séparent, s’unisse pour le combat définitif contre l’offensive du capital mondial» (2).

 Concrètement, la délégation de l’IC demandait que soient invités au prochain Congrès les partis et groupes en dehors des Internationales - organisations anarchistes et syndicalistes-révolutionnaires - ainsi que les organisations syndicales; une Conférence des Trois Internationales devrait se tenir le 20 avril, à la même date que la Conférence de Gênes, décidée par les grands Etats capitalistes pour régler entre eux les problèmes internationaux, afin de «faire entendre la voix de la classe ouvrière internationale et (...) demander des comptes aux délégués du capitalisme mondial».

Le futur Congrès devrait avoir à l’ordre du jour la préparation de la lutte contre le traité de Versailles et la politique des Réparations (3), contre le pillage des colonies, contre l’offensive capitaliste, contre la réaction, contre les préparatifs de guerre et pour le soutien à l’oeuvre de reconstruction de la République des Soviets.

Vandervelde, dirigeant de la IIe Internationale, manifesta la plus vive résistance à ces propositions et il posa ses conditions en préalable à toute action commune. Radek répondit dans un discours incisif qu’il refusait les conditions posées (4), mais finalement c’est la délégation de l’IC qui fit d’importantes concessions aux réformistes: engagement que lors du procès des socialistes-révolutionnaires qui avaient lutté les armes à la main contre le pouvoir bolchevique il n’y aurait pas de condamnations à mort, sans que de l’autre côté il y ait eu le moindre engagement sur les militants communistes et anti-coloniaux arrêtés, acceptation de fournir tout le matériel demandé sur la Georgie (où le gouvernement bourgeois-social démocrate avait été renversé par l’Armée Rouge), abandon de certaines revendications comme la lutte contre le traité de Versailles, etc.

Boukharine eut beau protester dans une réunions interne de la délégation de l’IC contre ces concessions acceptées par Radek, il ne s’y opposa pas, la délégation étant prisonnière de sa politique de front unique. Sur ce plan, elle pouvait se féliciter de la décision d’organiser des manifestations ou des réunions communes le 20 avril et/ou le premier mai «pour la journée de 8 heures, pour la lutte contre le chômage, pour l’unité d’action contre l’offensive capitaliste, pour la révolution russe et la reprise des relations diplomatiques et économiques de tous les Etats avec la Russie des Soviets, pour la reconstitution du front unique du prolétariat, dans chaque pays et dans l’Internationale» (résolution finale), et de mettre sur pied un organe permanent (le «comité des neuf», soit 3 délégués par Internationale) pour décider des futures actions communes et de l’organisation du Congrès mondial.

Amadeo Bordiga, qui, comme nous l’avons dit, n’avait pu être présent que le dernier jour, tout en se comportant «de façon disciplinée dans les séances plénières» tint à faire noter dans le procès-verbal de la délégation communiste son opposition à la constitution de cet organe et à la politique du front unique politique (5); il s’abstint lors du vote au sein de la délégation sur la résolution finale, suivi par Cachin, représentant du parti français, parce que l’alternative était la motion présentée par l’UPS (6).

Dès qu’il eut connaissance des résultats de la Conférence, Lénine publia sur la Pravda un article intitulé «Nous avons payé trop cher» (7). Il y écrivait: «Ce qui est une question, c’est (...) le fait que l’Internationale communiste a fait une concession à la bourgeoisie internationale sous la pression des délégués des Internationales II et II et demi, et qu’en échange nous n’avons obtenu aucune concession».

Mais selon lui, ce n’était pas une raison pour rompre l’accord: «il vaut mieux payer cher (...) que renoncer à la possibilité d’exposer nos idées aux ouvriers qui, jusqu’à présent, étaient le “patrimoine exclusif”, si je puis dire, des réformistes, c’est-à-dire des amis les plus fidèles de la bourgeoisie. (...)

Il se peut que les communistes italiens et une partie des communistes et des syndicalistes français qui étaient opposés à la tactique du front unique, tirent des considérations ci-dessus la conclusion que la tactique du front unique est erronée. Cette conclusion serait évidemment fausse. (...) Du moins nous avons ouvert une brèche dans ce local fermé. Du moins le camarade Radek a réussi à dénoncer, ne serait-ce que devant une partie des ouvriers, la Ile Internationale qui a refusé de faire figurer parmi les mots d’ordre de la manifestation l’annulation du traité de Versailles.

La plus grande méprise des communistes italiens et d’une partie des communistes et des syndicalistes français, c’est qu’ils se contentent de leur savoir acquis. (...) Mais les militants et les ouvriers qui savent [que les sociaux-démocrates sont les plus habiles porte-paroles de la bourgeoisie et les promoteurs de son influence] vraiment bien, et qui en comprennent vraiment la signification, sont à coup sûr une minorité à la fois en Italie, en Angleterre, en Amérique et en France. Les communistes ne doivent pas cuire dans leur propre jus, mais apprendre à agir, sans s’arrêter devant certains sacrifices et sans craindre les erreurs inévitables (...) de façon à pénétrer dans le local fermé où les représentants de la bourgeoisie exercent leur influence sur les ouvriers. Les communistes qui ne voudront pas le comprendre et qui ne voudront pas apprendre cela ne peuvent pas espérer conquérir la majorité parmi les ouvriers ou, en tout cas, ils rendent plus difficile et ralentissent la conquête de cette majorité. Or c’est là une chose tout à fait impardonnable pour des communistes et pour tous les partisans véritables de la révolution ouvrière. (...)

C’est pour aider ces masses à lutter contre le capital, pour les aider à comprendre le “mécanisme ingénieux” des deux fronts dans toute l’économie internationale, et dans toute la politique internationale, c’est pour cela que nous avons accepté la tactique du front unique et que nous l’appliquerons jusqu’au bout».

Mais ce n’était pas par refus des sacrifices, par crainte des erreurs ou par volonté de rester entre soi, que les «communistes italiens» s’opposaient à la tactique du front unique politique, mais parce que c’était cette tactique qui gênait l’accroissement de l’influence communiste parmi les masses, facilitant au contraire la persistance de l’influence réformiste; l’épisode de la Conférence des trois Internationales en donna une preuve vivante, au-delà des concessions faites lors de la Conférence. En effet si le 20 avril il y eut en Allemagne de grandes manifestations à l’appel du KPD et de l’USPD, les partis de la IIe Internationale boycottèrent ces manifestations (9), refusèrent d’organiser des manifestations unitaires le premier mai, et au lieu de lutter pour le rétablissement des relations diplomatiques et économiques avec la Russie soviétique, ils s’opposèrent au traité de Rapallo signé entre ce pays et l’Allemagne! Quant au Comité des neuf il était réduit à l’impuissance par le blocage des sociaux-démocrates, au point que les délégués de l’IC soient contraints de s’en retirer fin mai - au risque d’être dénoncés comme des diviseurs par la propagande social-démocrate.

L’historien trotskyste Broué qui est évidemment partisan indéfectible du front unique ne trouve pour défendre l’initiative que le fait qu’elle ait «aidé au rapprochement des Internationales de Vienne et de Londres qui fusionneront en 1923» et qu’en Allemagne «elle aura puissamment contribué et, dans l’immédiat, à familiariser les travailleurs avec la pratique du front unique» (8). De fait la Conférence des Trois Internationales ouvrit la voie à la réintégration en Allemagne de l’USPD dans le SPD (en septembre) et de la réunification de l’Internationale deux et demi et la Deuxième Internationale, c’est-à-dire à un renforcement des adversaires de l’Internationale Communiste et de la révolution!

Le 24 mai le Comité Exécutif de l’IC (CEIC) publia un communiqué après la dissolution du Comité des neuf:

«Ce que l’Internationale Communiste craignait est arrivé. Les chefs de la Deuxième Internationale ont empêché la tenue du Congrès ouvrier mondial (...). Selon eux, un tel Congrès ne pourrait être convoqué que si les partis communistes s’abstenaient de critiquer la politique des chefs sociaux-démocrates et de la bureaucratie syndicale et si en même temps le Gouvernement des Soviets laissait aux mencheviks et aux SR la possibilité d’organiser en toute impunité des révoltes (...).

En réponse aux assertions démagogiques des représentants de la Deuxième Internationale selon lesquelles l’Internationale Communiste appelait à un Congrès mondial uniquement pour accrocher le prolétariat mondial au wagon de la politique extérieure de la Russie soviétique, l’International Communiste a déclaré, à la demande du Parti Communiste Russe, qu’elle était prête à accepter que la question de la défense de la Russie soviétique ne soit pas à l’ordre du jour du Congrès ouvrier mondial (...)»

Mais «La Deuxième Internationale ne voulait à aucun prix du Congrès ouvrier mondial (...). La résistance des chefs de la Deuxième Internationale a fait échouer la tentative d’organiser le front uni prolétarien par en haut. Cela nous fait un devoir de rassembler toutes les forces pour organiser le prolétariat pour la lutte commune en opposition aux chefs de la Deuxième Internationale.(...)

Ouvriers communistes, c’est votre devoir de diffuser la leçon de cette première tentative de constituer le front unique parmi les larges masses des classes ouvrières.

Ouvriers des partis de la Deuxième Internationale et de l’Internationale Deux et demi! C’est votre devoir de tout faire, de ne rien omettre pour montrer aux chefs de vos partis qui ont oublié leur devoir, que vous ne tolérerez plus longtemps le sabotage du front unique, que vous voulez vous unir aux ouvriers communistes dans la lutte contre l’offensive capitaliste. (...)

Le mot d’ordre du Congrès ouvrier mondial sera le mot d’ordre de la lutte future, mais l’expérience de cette première tentative a montré que pour qu’il devienne possible il est nécessaire de briser la résistances des chefs sociaux-démocrates, particulièrement ceux d’Allemagne et d’ Angleterre; que dans ces pays il est nécessaire d’organiser les masses ouvrières dans leurs luttes pratiques quotidiennes, indépendamment de leur appartenance de parti, dans un front uni qui s’étendra ensuite dans tous les pays. (...)

A bas le front unique des sociaux-démocrates et de la bourgeoisie! Luttez contre les chefs de la Deuxième Internationale, qui divisent la classe ouvrière! Construisez le front unique par en bas!» (10).

Le PC d’I ne disait pas autre chose; toutes les concessions aux réformistes ne servent à rien, comme le dit Bordiga au Congrès de Rome du PC d’I, il est absurde de leur demander ce qu’ils ne savent, ne peuvent ni ne veulent faire, le pire étant que cette manoeuvre n’aboutit qu’à égarer les travailleurs qui nous suivent. Malheureusement cette leçon des faits fut très vite oubliée comme nous allons voir.

 

L’assassinat du ministre Rathenau et la «défense de la République» en Allemagne

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Le 24 juin un commando d’extrême droite assassinait le ministre allemand des Affaires Etrangères, qui venait de signer un mois auparavant un traité diplomatique avec la Russie (traité de Rapallo du 16/4/1922). Rathenau, ex-président du trust AEG et représentant de certains intérêts industriels intéressés par des négociations avec les impérialistes vainqueurs de l’Allemagne et la reprise des relations économiques avec la Russie, était un dirigeant du Parti Démocratique Allemand (DDP). Sa politique d’accommodement avec les impérialismes rivaux, comme aussi les (timides) concessions sociales du gouvernement dont il faisait partie, rencontrait l’opposition des industriels regroupés autour du magnat de l’industrie lourde Hugo Stinnes qui prônaient au contraire la dénonciation du traité de Versailles, un renforcement de l’exploitation des prolétaires, de sévères limitations du droit de grève et des avantages sociaux; Rathenau était aussi dénoncé avec virulence par l’extrême droite nationaliste comme Juif et révolutionnaire (!). Son assassinat venait après de nombreux autres meurtres et attentats (quelques jours ou quelques semaines auparavant le dirigeant social-démocrate Scheidemann puis le dirigeant communiste Thälmann avaient été l’objet de tentatives d’assassinat) perpétrés par l’extrême droite pour déstabiliser le régime dans le but de permettre l’installation d’un régime autoritaire.

Les partis de la coalition au pouvoir (11) redoutant un putsch du genre de celui de Kapp deux ans auparavant - et la formidable mobilisation prolétarienne qui avait entraîné son échec (12), le gouvernement décréta des mesures d’urgence «pour défendre la République». La Confédération syndicale qui était en Congrès appela à des manifestations et à une grève générale d’une demi-journée en défense de la République le 27 juin. Au bout de quelques heures à peine le KPD s’était adressé au SPD et à l’USPD pour leur demander une réunion afin de décider d’actions communes: plus question de construire le front unique par en bas et de combattre les chefs sociaux-démocrates!

La réunion se tint le soir du 24 juin et elle décida d’appeler à des manifestations pour le lendemain. Ce jour-là une délégation du KPD, du SPD, de l’USPD et des représentants syndicaux fut reçue par le chancelier; celui-ci refusa de modifier la loi d’urgence (préparée par le ministre SPD de la justice!) qui allait être présentée au parlement; mais il promit de la compléter conformément aux revendications qui lui étaient présentées. D’autres réunions eurent lieu entre ces partis dans les jours qui suivirent pour arrêter les revendications à mettre en avant et à présenter au parlement, notamment à propos de la future loi contre l’extrême droite monarchiste; les propositions du KPD d’une grève générale illimitée et de l’armement des prolétaires furent vite écartées et celle d’une amnistie des travailleurs arrêtés à la suite de la grève des cheminots (13) et la Marzaktion repoussée à plus tard.

Si le KPD refusa de signer un engagement écrit de n’attaquer la république «ni en actes, ni par la parole, ni par écrit» et de ne pas critiquer les autres partis, comme le demandait le SPD, il accepta de ne pas avancer des revendications différentes de celles décidées en commun et il signa le 28 juin l’«accord de Berlin» qui scellait l’accord entre les différents partis et organisations syndicales (14).

Après l’important succès de la grève et des manifestations du 27 juin, devant les lenteurs du gouvernement à adopter des mesures contre l’extrême droite, ces partis et organisations décidèrent d’une nouvelle manifestation pour le 4 juillet afin d’accentuer la pression sur le gouvernement.

La participation aux manifestations du 4 sera encore plus massive et elle sera marquée par des affrontements violents avec la police dans plusieurs villes.

Mais le 8 juillet le KPD était exclu de «l’unité d’action» par les autres organisations qui lui reprochaient de ne pas respecter son engagement à ne pas présenter d’autres revendications.

Il aura beau appeler à la constitution de comités à la base pour l’application des accords de Berlin (le KPD n’entendait pas rompre le pacte avec les sociaux-démocrates), puis lancer la revendication de «gouvernement ouvrier» (entendu comme la formation parlementaire, après de nouvelles élections, d’une coalition des partis dits ouvriers et socialistes), il se retrouvait en définitive plus isolé à l’issue de cette nouvelle tentative de «front unique» qui, en théorie, aurait dû lui permettre d’arracher les masses qui suivaient le SPD et l’USPD à l’influence de ceux-ci. En fait ces partis sortirent renforcés de cette opération dont les communistes firent les frais: en effet le SPD et l’USPD,, intéressés en outre surtout par les tractations parlementaires, profitèrent de l’épisode pour faire les premiers pas vers leur unification, tandis que les dirigeants syndicaux qui redoutaient d’être entraînés par le KPD vers des luttes qu’ils auraient du mal à contrôler, pouvaient rompre sans dommage l’unité d’action en faisant retomber cette rupture sur le KPD

Il n’y aura donc plus de nouvelle manifestation et, lorsque la loi contre l’extrême-droite (qui était l’une des revendications des dits accords de Berlin), appelée significativement «loi de défense de la république» parce qu’elle était dirigée aussi (et surtout!) contre les prolétaires révolutionnaires, finira, après de nombreuses discussions et modifications, par être présentée le 18 juillet au parlement, le KPD se retrouvera à voter contre, en compagnie de l’extrême-droite...

Après ces événements, le Comité Exécutif de l’IC envoya à la centrale du KPD une «lettre confidentielle» où il était fait les critiques suivantes à la politique du KPD:

«Autant que nous ayons ou en juger à travers Die Rote Fahne, votre tactique au cours des premiers jours nous a semblé à tous plutôt médiocre. On n’aurait pas dû crier “République! République!” dans une situation telle que celle qui existait alors. On aurait dû bien plutôt, dès la première minute, mettre sous les yeux des masses le fait que l’Allemagne actuelle est une République sans républicains. Dans ce moment d’excitation il fallait montrer aux larges masses ouvrières - qui ne sont pas tant concernée par la République que par leurs intérêts économiques - que la République bourgeoise non seulement n’offre aucune garantie aux intérêts de la classe prolétarienne, mais que, surtout, dans de telles circonstances, elle offre au contraire la forme la meilleure pour l’oppression des masses ouvrières. Il ne fallait pas emboucher la même trompette que les sociaux-démocrates ou l’USPD. Le front unique ne doit jamais, jamais, porter atteinte à l’indépendance de notre agitation. C’est pour nous une condition sine qua non.

Nous sommes prêts à entrer en pourparlers avec les gens de l’USPD et du SPD, mais pas en parents pauvres, en tant que force autonome conservant toujours sa physionomie propre et exprimant toujours devant les masses et de A à Z l’opinion du parti» (15).

La direction de l’IC jugeait que la conduite fausse du KPD ne remettait pas en cause la justesse de la tactique du front unique; mais il est clair que cette tactique, au lieu d’en prémunir les partis, laissait grande ouverte la porte à toute une série d’erreurs de ce genre: l’alliance même limitée et temporaire avec d’autres partis, en outre plus puissants, entraîne inévitablement non seulement une limitation de l’autonomie propre des partis communistes; mais une forte incitation à se porter sur le terrain du réformisme; c’est là moins une «erreur» d’analyse ou de conduite politique que la conséquence du rapport des forces qui risque d’entraîner le plus faible à la remorque du plus fort.

Pour reprendre l’image de Lénine, non seulement le KPD avait payé très cher, non seulement il n’avait pu ouvrir une brèche significative dans le local fermé où les «représentants de la bourgeoisie» tenaient les masses sous leur influence, mais il avait contribué à renforcer non seulement ces représentants, mais même la République bourgeoise présentée aux yeux des prolétaires comme un bien à défendre y compris en commun avec un gouvernement et des autorités bourgeoises!

 

La lutte pour le Front Unique syndical et l’«Alliance du Travail» en Italie

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Les critiques du PC d’I dirigé par la Gauche voyaient et voient dans sa critique du Front unique politique, dans son opposition à des accords avec les partis réformistes et opportunistes, un refus d’oeuvrer à la «conquête» des larges masses prolétariennes; ce refus serait causé par un souci «puriste» de préserver les positions théoriques et programmatiques justes, par une réticence «élitiste» à de se salir les mains en travaillant au contact des masses politiquement encore inconscientes.

Rien de plus faux!

A ceux qui reprochaient au parti d’être trop soucieux de théorie, de ne pas comprendre que le front unique politique n’excluait pas la lutte contre les réformistes, et que si ces derniers refusaient le Front unique, leur refus était une arme très efficace pour les communistes, Amadeo Bordiga répliqua, lors des discussions du Congrès de Rome du PC d’I (mars 1922):

«Ce n’est pas le théoricien qui parle en nous (...). Ceux qui parlent ici ce sont les organisateurs, ceux qui sont en contact quotidien avec les masses, qui en connaissent ainsi les besoins comme la psychologie. Ils nous disent franchement et clairement que ces subtiles distinctions ne peuvent avoir de prise sur l’état d’esprit des travailleurs qui, lorsqu’ils prennent connaissance de notre position, ne se précipitent pas pour lire les commentaires et les explications que nous en donnons dans nos congrès, dans nos revues, dans nos journaux, etc. Les travailleurs, nous l’avons déjà dit, nous jugent à ce que nous faisons. Et nous avons dit aussi que se faire promoteur du front unique politique signifierait démoraliser les masses, qui ne pourraient voir dans notre geste qu’un appel au secours désespéré» (16).

L’insistance sur la constitution d’un front uni sur le plan syndical «qui était l’objectif fondamental du PC d’I depuis août 1921» (17) ne correspondait pas à une lubie théorique, mais à la nécessité, pour résister à l’offensive capitaliste, d’aller vers l’union la plus large dans la lutte des prolétaires, quelles que soient par ailleurs leur appartenance politique ou leurs croyances, religieuses ou autres. Cette union, dans la saine conception défendue par le PC d’I, ne pouvait être obtenue par des accords conclus au sommet entre partis politiques aux programmes distincts et opposés; les compromis passés entre réformistes et révolutionnaires ne pouvaient pas ne pas avoir comme conséquence d’altérer la physionomie du parti de classe ou au moins de brouiller aux yeux des prolétaires ce qui le distingue radicalement des partis sujets aux influences de la classe ennemie - pour ne pas dire vendus à cette classe. L’histoire a montré en tout cas qu’ils rendaient objectivement plus difficile la lutte politique contre les faux partis ouvriers, que la tactique du front unique entendait précisément démasquer.

Tour différent est le terrain syndical, celui des luttes immédiates auxquelles sont poussés à participer tous les prolétaires soucieux de se défendre. L’union des prolétaires ne peut se réaliser et se développer qu’à la base et dans les luttes; à la différence des partis, organisations fermées définies par leur programme politique particulier, les organisations de type syndical, par principe ouvertes à tous les travailleurs sans préalable, sont les outils naturels de cette union sans préalable des travailleurs sur le terrain de la lutte. Bien entendu les syndicats ne sont pas des organisations «neutres», imperméables aux influences politiques et aux la pressions bourgeoises.

 La classe dominante cherche en permanence à les domestiquer, à les contrôler, à les détourner des luttes pour les amener sur le terrain de la collaboration entre les classes; si elle n’y arrive pas, elles les réprime ou les interdit, elle crée des syndicats patronaux, des syndicats jaunes - quand ce n’est pas, sous les régimes autoritaires et de type fasciste, des syndicats d’Etat à adhésion obligatoire qui ont pour fonction d’enrégimenter les prolétaires.

Le Front unique syndical préconisé par le PC d’I n’était envisageable que parce que, à la différence de la situation actuelle, on était en présence d’authentiques syndicats de classe, même si l’influence bourgeoise et collaborationniste s’y exprimait par l’intermédiaire des dirigeants acquis aux thèses réformistes. Il était dans ces conditions non seulement légitime mais indispensable de se donner comme objectif d’en conquérir la direction, ce qui serait impossible aujourd’hui où ces organisations sont indissolublement liées aux structures et institutions de la collaboration entre les classes; de même les syndicats jaunes ou chrétiens existant alors, dont la fonction était d’empêcher les luttes, était à l’évidence exclues des appels au front unique syndical.

Les faits montrèrent que si la propagande incessante du parti pour une front unique sur cette base rencontrait l’indifférence ou l’hostilité des dirigeants de la CGL, elle reposait cependant sur un besoin ressenti par de nombreux travailleurs; ne pouvant faire ici une histoire détaillée de la naissance et de l’histoire de l’Alliance du Travail, nous nous contenterons de rappeler certains faits qui éclairent notre sujet, en renvoyant le lecteur à une autre étude parue sur cette revue (18).

Une série de grèves, laissés isolées entre elles par les directions syndicales, comme par exemple la grève générale des métallos en Vénétie, malgré les appels du PC d’I à la généralisation des luttes, avait marqué l’automne 1921. Elle avait été suivie d’un reflux en même temps que la crise économique s’aggravait dans le pays jusqu’à atteindre son maximum au début de 1922.

A la suite de fermetures d’entreprises et de la baisse de la production, le chômage augmenta rapidement. Le nombre de chômeurs officiellement recensés, qui ne représentait qu’une fraction du chiffre réel, était d’un peu plus de cent mille à la fin de 1920; il atteignait un peu plus de 500 000 à la fin de 1921 (soit une augmentation de près de 500% en un an!) et 607 000 en janvier 1922 (19).

Les attaques patronales se concentraient sur les baisses de salaire, sur l’augmentation du temps de travail des ouvriers occupés, sur l’intensification du travail et le renforcement de la discipline (ce que le marxisme appelle le despotisme d’entreprise); cela avait comme corollaire la remise en cause des contrats collectifs de branche signés au niveau national pour les remplacer par des «pactes du travail» variables suivant les régions ou même les entreprises. Cette offensive patronale, soutenue par l’Etat bourgeois était aussi appuyée par les exactions des bandes fascistes.

Début février, le SFI (Syndicat des cheminots), organisation syndicale autonome à direction anarcho-syndicaliste mais où existait une forte minorité (estimée à 30%) de travailleurs suivant les orientations communistes, et dont de nombreux membres avaient victimes de la répression après les grèves de novembre, s’adressa aux autres centrales syndicales pour constituer une «Alliance du Travail» contre les attaques capitalistes. Il convoqua à une réunion préparatoire différents partis considérés comme «ouvriers»: le PSI, le PC d’I, le Parti Républicain et l’Union Anarchiste. Le PC d’I ne participa pas à cette réunion - ce qui lui fut reproché par l’IC - tout en envoyant une lettre assurant qu’il était prêt à engager toutes ses forces sur le terrain, pour la réalisation d’un véritable front unique syndical; il demandait en outre qu’à la réunion constitutive puissant participer des représentants des différents courants existant dans les syndicats (ce qui fut bien sûr refusé) (20).

C’est donc seulement une réunion des instances dirigeantes du SFI, de l’UIL (21) et de la CGL qui décida le 20 février la constitution de l’Alliance. A la suite de sa constitution, le PC d’I engagea une vaste campagne pour que «à l’accord des chefs» suive «l’accord des masses», pour la constitution d’un réseau de comités locaux de l’Alliance «dans tous les centres où la classe ouvrière et paysanne lutte pour son existence et pour la liberté»; ces comités locaux élus par les travailleurs auraient dû ensuite se réunir en congrès national pour définir le contenu réel de l’Alliance: le «Congrès de l’alliance prolétarienne».

En même temps le PC d’I faisait campagne pour la préparation d’une grève nationale de toutes les catégories; à la suite de cette vigoureuse campagne de nombreuses Bourses du Travail (Turin, Naples, Bologne, Imola, Vérone, Savone, Novare, etc.), des syndicats provinciaux et des Ligues (syndicats d’ouvriers agricoles) se prononcèrent en ce sens dans les semaines et mois qui suivirent, alors que l’Alliance du Travail restait passive.

En réalité les dirigeants réformistes de la CGL - de loin la principale centrale syndicale - n’avaient accepté sa constitution que comme un moyen de pression, dans les manoeuvres parlementaires en cours, en faveur de la constitution d’un gouvernement de gauche ou un moins d’un gouvernement de coalition avec une participation socialiste. Ils n’avaient aucune intention d’aller plus loin.

On pourrait citer de nombreux exemples; limitons-nous aux incidents du premier mai 1922; les manifestations furent interdites ou attaquées en de multiples endroits par les forces de police ou les fascistes, faisant plusieurs morts. Le Comité syndical communiste fit parvenir immédiatement un appel aux dirigeants de la CGL pour les inciter à appeler à une grève générale en riposte: il n’y eut aucune réponse (22).

Mais les 20 et 21 mai le Comité directeur de l’AdT, devant la montée de la répression et des attaques fascistes et face au mécontentement croissant parmi les prolétaires face sa léthargie, convoqua à une réunion à Rome les divers partis (PSI, PC d’I, Républicains, Anarchistes). Le porte-parole de l’AdT leur déclara que celle-ci était tombée unanimement d’accord sur le fait qu’il était impossible d’apporter une «solution à la situation d’esclavage du prolétariat et aux diverses luttes» sans résoudre d’abord le problème d’un changement de régime; et l’AdT demandait donc aux partis présents s’ils étaient prêts à soutenir un «mouvement de caractère insurrectionnel» dirigé par elle!

Les anarchistes furent évidemment d’accord, de même que les Républicains (pour qui un changement de régime n’était rien d’autre que l’instauration de la République). Les délégués du PS répondirent de façon contradictoire mais à un moment le secrétaire du parti qui faisait partie de la délégation, déclara finalement qu’il était prêt «à risquer le tout pour le tout»...

 Ce sont les représentants du PC d’I qui défendirent la seule position réaliste en expliquant qu’on ne pouvait jouer à l’insurrection; et ils proposèrent un mouvement de lutte d’ensemble pouvant aller jusqu’à la grève générale. Sachant qu’un tel mouvement d’ensemble ne pouvait pas ne pas comporter «le risque de heurts entre le prolétariat et les forces ennemies», le PC se déclarait prêt à accepter la formation d’un comité «technique» commun de militants de confiance à la disposition de l’Alliance sous deux conditions: «que cesse immédiatement de la part de tous les groupes impliqués toute forme de propagande contre les deux critères suivants: a) la nécessité de la guérilla armée et d’un équipement adapté; b) la nécessité que la victoire prolétarienne se consolide dans un encadrement de forces armées». Pour qu’un mouvement d’insurrection ait un minimum de chance de succès il fallait au préalable une préparation adéquate; ils demandèrent si les partis présents étaient d’accord pour la constitution d’un «comité directeur» chargé de préparer cela et auquel ils devraient se discipliner?

Les anarchistes répondirent qu’ils ne pouvaient se lier à aucune discipline et les Socialistes d’une part qu’ils ne pouvaient pas engager leurs militants «qui ne peuvent pas être gouvernés par la discipline», et d’autre part qu’ils se réservaient le droit de se contenter d’un résultat qui pourrait ne pas être le changement de régime. En fin de compte il fut décidé seulement de mettre sur pied un comité technique composé des représentants des divers partis pour étudier à fond la situation en vue d’interventions qui seront définies le moment voulu. Ainsi finit la fantaisie du déclenchement d’un «mouvement insurrectionnel» avec l’appui de ceux qui désarmaient les prolétaires ou voulaient les entraîner dans des impasses (23)...

Quelques jours plus tard, le 24 mai, date anniversaire de l’entrée en guerre de l’Italie, les fascistes voulurent organiser une démonstration de force à Rome et parader dans les quartiers ouvriers. L’Alliance du Travail décréta la grève générale - dans la ville! - qui fut largement suivie; les prolétaires organisés en groupes de combat, soutenus par les habitants, chassaient de la ville les fascistes (qui, aidés par les Carabiniers, ne s’attendaient pas à un tel accueil.) au bout de deux journées d’affrontements, surtout dans le quartier populaire San Lorenzo.

Mais l’Alliance du Travail, qui cinq jours auparavant parlait de se mettre à la tête d’un mouvement insurrectionnel, appelait, à la demande du gouvernement, à cesser la grève, à cause de la présence et de l’action de «provocateurs»!

Le quotidien central du PC d’I consacra sa première page aux événements de Rome sous le titre: «Le prolétariat de Rome défend par les armes sa vie et sa liberté». On pouvait y lire:

«(...) Malheur au travailleur qui croit nécessaire une “provocation” pour justifier sa colère et sa vengeance. Nous sommes tous provoqués. Nous sommes tous en état de légitime défense. Nous sommes tous des combattants et nous ne croyons pas qu’il faille retenir ses coups. Il est bon que cela ait été rappelé à tout le prolétariat italien, au moment où se répand parmi lui l’espoir de la rescousse. Il est bon que des travailleurs aient eu le courage froid et résolu de la lutte, il est bon qu’ils se soient souvenus que désormais on ne peut se défendre qu’en passant à l’attaque. Il est bon que tous les travailleurs d’une ville comme Rome aient avec un tel élan apporté leur solidarité aux combattants. Face à l’ennemi livide de rage pour avoir trouvé face à lui une volonté ferme de résistance et de lutte, mais face aussi au faux ami hypocrite et veule qui au moment de la bataille s’efforce d’en freiner l’ardeur (...), face au fasciste et au traître et devant les masses prolétariennes qui se préparent pour la lutte, le Parti Communiste est fier de lancer encore une fois son cri de rassemblement et de combat, et il est en même temps fier de constater que ses militants ont su tenir leur rang avec honneur.

Vive le prolétariat révolutionnaire de Rome!

Vive la lutte armée des ouvriers et des paysans pour leur liberté!

Vive la victoire complète des travailleurs sur les ennemis et les traîtres à leur classe!» (24).

 

(A suivre)

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(1) Au congrès de Halle en octobre 1920, la majorité de l’USPD avait voté pour l’adhésion à la Ille Internationale et la fusion avec le Parti Communiste Allemand (KPD): le nouveau parti s’appela VKPD (Parti Communiste Unifié d’Allemagne) avant de reprendre un son nom originel en août 1921. Mais une forte minorité avait refusé les 21 conditions d’adhésion à l’IC et décidé de maintenir l’USPD. Début 1922 l’USPD affirmait avoir encore plus de 300 000 adhérents, ce qui représentait cependant moins de la moitié qu’avant la scission. Aux élections de février 1921, l’USPD avait obtenu 6,6% des votes contre 7,4% au VKPD et 26,3% au SPD («socialistes majoritaires»).

(2) Cette citation comme celles qui suivent sont tirées de la brochure «Conférence des trois Internationales», Bruxelles 1922 (Feltrinelli reprint,1967).

(3) Indemnités de guerre imposées aux Etats vaincus dont la bourgeoisie faisait retomber tout le poids sur le prolétariat.

(4) En réponse au discours de Vandervelde qui demandait un minimum de confiance réciproque, en relevant que après avoir déclaré que les dirigeants sociaux-démocrates «servent l’intérêt de la bourgeoisie, il est au moins étrange, que l’on propose à ces mêmes hommes de concourir à la défense des intérêts prolétariens», Radek, après avoir rappelé les crimes de la social-démocratie, continuait:

«Vous êtes venus à cette conférence parce que vous y avez été forcés; vous avez été l’instrument de la réaction mondiale et vous êtes obligés, que vous le vouliez ou non, de devenir un instrument de la lutte pour les intérêts du prolétariat. (...) Si vous luttez en liaison avec nous, en liaison avec le prolétariat de tous les pays - si vous luttez, non pas pour la “dictature” [du prolétariat - NdlR], cela nous ne le croyons pas de vous, mais si vous luttez pour le morceau de pain, contre l’aggravation de la ruine du monde, alors le prolétariat se rapprochera dans cette lutte et alors nous vous jugerons, non pas en raison de ce passé terrible, mais en raison des faits nouveaux.

Tant que ceux-ci n’existent pas, c’est froids jusqu’au coeur que nous venons à ces pourparlers et nous allons à l’action commune avec une profonde défiance, pensant que dans cette lutte, vous ferez défaut dix fois!».

C’était bien dit, mais la logique n’était pas du côté de Radek: il ne faudra pas attendre longtemps pour que les sociaux-démocrates démontrent une fois de plus leur refus de la lutte en dépit des illusions que la tactique du Font unique avait contribuée à entretenir sur ce point parmi les prolétaires - et parmi les communistes eux-mêmes!

(5) Dans son ouvrage «Moscou sous Lénine», Alfred Rosmer qui était à Berlin en tant que représentant de l’Internationale Syndicale Rouge, écrit de Bordiga que «son obstination [dans ses réserves envers la tactique du front unique - NdlR], décidément irréductible, devenait de la manie». Cette remarque est sans doute caractéristique de l’état d’esprit des dirigeants de l’IC, alors même que Rosmer écrit quelques lignes plus bas que «les dirigeants de la 2e Internationale avaient fait leur choix: c’est avec la bourgeoisie qu’ils voulaient travailler». Cf. https://www. marxists. org/ francais/ rosmer/ works/msl/msl2203.htm

Quel sens y avait-il alors à chercher continuellement à travailler avec eux?

(6) Cf. l’interview de Bordiga publiée sur Il Comunista, 15/4/22, in «Storia della Sinistra Comunista», tome IV, p. 306. Ed. Il Programma Comunista 1997.

(7) Pravda, 11/4/1922. Cf. Lénine, Oeuvres, tome 33, p.336.

(8) Cf. Broué, «Révolution en Allemagne (1917-1923)», Ed de Minuit 1971, p. 372.

(9) Le PS italien s’opposa lui aussi dans les faits à l’organisation de manifestations contre la Conférence de Gênes et sabota les tentatives de constitution du front unique contre la bourgeoisie que sa délégation avait approuvée à Berlin, comme l’indique une lettre de Bordiga à la centrale du KPD le 27/4/1922, dans laquelle il écrit que «la politique du centrisme italien est beaucoup plus dangereuse pour l’Internationale Communiste et le front unique international, que la politique de la IIe Internationale». Cf. «Storia...», op. cit. p. 310-312. Etaient définis «centristes» les courants qui, tout en se prétendant communistes et révolutionnaires, s’alignaient sur les réformistes déclarés. C’était le cas du courant «maximaliste» qui dirigeait le PSI.

(10) Cf. Jane Degas, «The Communist International, 1919-1943. Documents», Oxford University Press 1956, Vol. 1, p. 343-351. Souligné par nous.

(11) La coalition gouvernementale comprenait le SPD et les «partis bourgeois» DDP, Indépendants et Parti du Centre (Zentrum), le parti catholique traditionnel. Après l’assassinat de Rathenau, le chancelier (premier ministre) Wirth (membre du Zentrum) prononça un retentissant discours au parlement où il s’écria, en désignant les partis nationalistes: «l’ennemi est à droite!».

(12) Le putsch de Kapp contre le gouvernement social-démocrate eut lieu le 13 mars 1920; le 17, alors que la grève générale paralysait le pays et que dans plusieurs endroits, surtout dans la Ruhr mais aussi à Berlin et ailleurs, les ouvriers passaient à la lutte armée, Kapp et les troupes putschistes prenaient la fuite. Dans un premier temps le KPD avait appelé les prolétaires à ne pas prendre part à la lutte.

(13) Sur cette grève, voir le chapitre précédent de cette étude, sur PC n°103.

(14) Cf. Broué, «Révolution en Allemagne. 1917-1923», Ed de Minuit 1971, pp 590-592.

(15) Zinoviev donna lecture d’extraits de cette lettre lors des discussions du IVe Congrès en novembre 1922. Cf. Broué, op. cit., p. 593.

(16) Cf. «Storia...», op. cit., pp. 447, 448.

(17) Cf. Claudio Natoli, «La Terza Internazionale e il fascismo», (Rome 1982), cité dans C. Basile, A. Leni, «Amadeo Bordiga politico», Ed. Colibri 2014, p. 462. Cette appréciation a d’autant plus de valeur que l’auteur est un critique virulent de Bordiga et de la Gauche communiste.

(18) Cf. «Le PC d’Italie face à l’offensive fasciste (1921-1924), 3e partie», in Programme Communiste n°47 (janvier-mars 1970), consultable sur notre site.

(19) Ce chiffre peut sembler faible; en fait il ne s’agit pas du nombre absolu des chômeurs, mais seulement de ceux inscrits aux syndicats ou répertoriés par eux.

(20) Le PC d’I expliquait son attitude dans un éditorial de l’organe central du parti après l’annonce par un communiqué de la réunion des divers partis: «Le Syndicat des Cheminots a été conduit de par sa situation dans les conflits en cours (...) à prendre l’initiative de proposer une action unique du prolétariat et une réunion de toutes les organisations syndicales “qui se trouvent sur le terrain de la lutte de classe” pour la constitution d’un Comité unique d’agitation. Pour faciliter la préparation de celui-ci les dirigeants du Syndicat des Cheminots ont jugé opportun de convoquer à Rome une réunion des partis politiques “d’avant-garde” pour une entente préalable afin d’influer ensemble sur les organisations syndicales où ils sont représentés. (...) Le Parti Communiste n’a pas trouvé opportun d’intervenir à cette réunion de partis politiques et il ne croit pas que la voie choisie par le Syndicat des Cheminots pour la préparation du front unique syndical soit la meilleure. (...) Le front unique deviendrait une chose sans aucune valeur sans la plate-forme précise que proposent les communistes: généralisation des luttes partielles - défense intégrale du niveau de vie du prolétariat - engagement dans l’action syndicale directe jusqu’à la grève générale. Il n’y a rien de cela dans la réunion des partis dont nous parle le communiqué.

 A quoi donc se sont engagés les socialistes, les républicains et les anarchistes?».

Les «réunions entre partis, précisément parce qu’elles conduiraient à un compromis entre divers programmes politiques qui sont inconciliables, restent stériles dans leurs résultats»; à la place d’une telle réunion, il aurait mieux valu que chaque parti lance un mot d’ordre clair à ses adhérents dans les syndicats, comme le fait le Parti Communiste sans rien demander aux autres qui se prétendent partisans du front unique.

Et après avoir écrit que le parti Républicain «ne peut pas, et peut-être même ne veut pas être considéré comme un parti prolétarien», l’article indiquait que la politique des dirigeants de la CGL ne se plaçait pas sur le terrain de la lutte de classe. Il demandait en outre qu’au lieu de convoquer les partis politiques, ce qui serait une «mesure défavorable à la réussite de l’initiative», soient invités à la réunion constitutive du front des représentants des différents courants existants dans les syndicats, ce qui serait le meilleur moyen pour que soient représentés «tous les courants présents dans la camp prolétarien». Cf. «L’Alliance du Travail», Il Comunista, 10/2/1922.

(20) L’UIL (Union Italienne du Travail) était une petite centrale syndicale assez combative; elle était dirigée principalement par des éléments se réclamant du «syndicalisme révolutionnaire» dont un certain nombre rejoignit ensuite le fascisme.

(22) «Des informations venues de nombreux centres d’Italie, que ce soit directement ou par la presse, nous informent que la journée du premier mai a rencontré presque partout l’opposition violente des forces armées de l’Etat et des garde-blancs. Des travailleurs pacifiques ont été agressés, battus et tués. Dans de nombreuses villes comme Milan, Turin, Trieste, Bologne, Rome, etc., les manifestations populaires ont été interdites, ailleurs même les réunions ont été interdites, ailleurs encore (comme à Melegnano) des municipalités ont été dissoutes, au mépris de toutes les procédures légales normales, parce qu’à l’occasion de la «journée du travail» elles avaient arboré le drapeau rouge.

Nous voyons dans ces faits une violation caractérisée de ce que sont, dans la lettre et dans l’esprit, les postulats pour la défense desquels a été constituée l’Alliance du Travail. Nous croyons donc opportun de vous inviter à soumettre d’urgence au comité central de l’Alliance du Travail la proposition de la proclamation immédiate et sans limitation d’une grève générale nationale de toutes les catégories de travailleurs y compris les employés des services publics, comme riposte adéquate aux violences subies et comme seul moyen pour imposer à la classe dominante la reconnaissance et le respect des conquêtes et des droits des travailleurs». Publié sur Il Comunista, 3/5/1922.

(23) Cf. «Storia della Sinistra Comunista», op. cit., pp 328-329. On voit que tout en restant inflexible sur son opposition à des accords politiques au sommet avec les faux partis ouvriers, le PC d’I n’était pas hostile par principe à des discussions et des accords précis sur des bases bien définies et des objectifs précis. Le PSI, après qu’il ait proposé au début des discussions «un pacte d’alliance sérieuse et effective de tous les partis qui luttent sur le terrain de la lutte de classe [sic!]», fit la preuve une fois de plus que dans les faits il était opposé à l’organisation de toute action sérieuse et effective de lutte. L’historiographie de gauche courante reproche au PC d’I d’avoir seulement cherché à «démasquer» les réformistes, alors que la proposition du PSI «d’un accord inter-parti aurait été en ligne avec les indications du CEIC et à laquelle, le PC d’I se serait opposé parce qu’il ne les partageait pas» («Amadeo Bordiga Politico», op. cit., p. 455).

Rappelons que pour l’IC ces accords inter-partis n’étaient pas un but en soi, mais un moyen pour faciliter la lutte et mettre les masses en mouvement, tout en démasquant justement les réformistes; au cours de cet épisode le PC d’I put démontrer que la proposition du PSI tout comme les discours de ses représentants n’étaient que de la poudre aux yeux - nouvelle preuve que l’opposition au front unique politique reposait sur les besoins réels de la lutte ouvrière et non sur des a priori politiques abstraits.

(24) Il Comunista, 27/5/1922.

 

 

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