Notes d'actualité

Sur la situation des sans-papiers en Belgique

(«programme communiste»; N° 105; Février 2019)

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Comme les autres pays impérialistes européens anciens colonisateurs, la Belgique connaît de longue date une présence de prolétaires immigrés, issus le plus souvent des anciennes colonies. Le racisme y est utilisé comme ailleurs pour diviser les rangs prolétariens et donc affaiblir les potentialités de résistance des ouvriers face aux capitalistes. Depuis quelques années cette situation s'est envenimée en raison de la crise capitaliste qui oblige les bourgeois à attaquer plus durement les conditions de vie et de travail des prolétaires pour sauver leurs profits, alors même que, poussés par la misère et les guerres de nombreux migrants tentent de gagner les pays européens. Nous donnons ci-dessous des extraits d’une interview d’un militant actif dans la solidarité avec les prolétaires immigrés. Cette interview est déjà parue sur divers organes de presse, mais elle nous semble intéressante par les informations qu’elle donne.

Il n’est cependant nécessaire de préciser que nous ne partageons pas du tout les positions politiques de ce militant. Nous sommes complètement en désaccord avec l’idée qu’il y aurait la possibilité de «faire payer la crise aux riches» (1). Plus précisément: «En prenant l’argent là où il est, il y a moyen de financer des politiques, sociales économiques et écologiques qui correspondent aux besoins de la collectivité». Avec une bonne politique utilisant l’argent existant il serait de satisfaire les besoins sociaux? C’est là un grossier mensonge réformiste. Certes une politique plus sociale est toujours possible dans les pays impérialistes les plus riches, même si l’heure n’est plus pour les bourgeois à la redistribution de quelques miettes pour obtenir la paix sociale; mais il n’y a pas moyen de «financer des politiques» correspondant aux besoins du prolétariat – et non de la «collectivité», ensemble interclassiste par définition – dans le cadre des structures économiques, sociales et politiques bourgeoises. Les intérêts du prolétariat sont antagoniques à ceux du capitalisme: ce n’est que par la lutte directe contre les patrons et les capitalistes qu’il est possible d’arracher des concessions; ce n’est qu’après le renversement de l’Etat bourgeois, garant de la domination capitaliste (et non par son utilisation au travers de son système électoral), qu’après l’instauration sur ses ruines du pouvoir prolétarien dictatorial nécessaire pour briser la résistances des classes possédantes et commencer à extirper le capitalisme, qu’il sera possible de répondre réellement aux besoins des prolétaires. Un «développement économique au service des besoins de l’ensemble de la population» est une pure absurdité dans une société divisée en classes aux intérêts et aux besoins opposés: sous le capitalisme le développement économique n’est pas autre chose que le développement du capital, et il profite avant tout à la classe dominante. Un développement économique profitant à l’ensemble de la population, à l’ensemble de l’humanité, sera possible seulement après la disparition de la société du capital, après la disparition du marché et de l’argent, des classes sociales, des frontières et des Etats, après donc la victoire de la révolution prolétarienne dans le monde entier. Voilà ce qu’il faut répéter sans se lasser aux prolétaires!

 

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En mai dernier, les policiers ouvrent le feu sur une camionnette transportant des sans-papiers. Une gosse de 24 mois est abattue. Triste résultat de la criminalisation de l’immigration?

 

Freddy Bouchez: Les personnes migrantes n’ont jamais été aussi criminalisées, que ce soit en Belgique ou dans l’ensemble de l’UE. En Belgique, des partis comme la NVA n’hésitent pas à créer des amalgames entre migrants et délinquants. Il y a quelques semaines, on a posé la première pierre d’un nouveau centre fermé pour étrangers qui doit être construit à Anvers d’ici 2020-2021. Lors de cet événement, le bourgmestre  NVA de cette ville, Bart De Wever n’a pas hésité à dire que cela permettrait d’arrêter les trafiquants de drogue qui sont pratiquement tous, selon lui, des illégaux. Les soi-disant illégaux, dans notre pays, ce sont des demandeurs d’asile qui se sont vu refuser de façon subjective le statut de réfugiés. Quand même 50% de refus sur l’ensemble des gens qui font une demande d’asile. Ce sont aussi par exemple des personnes qui, pour des raisons économiques sont entrées sur le territoire avec un visa touristique et qui sont restées ou encore les personnes adultes ou mineures du Parc Maximilien et de la Gare du Nord à Bruxelles, souvent des soudanais et qui veulent rejoindre l’Angleterre. Dans les personnes qui entrent avec un visa touristique il y a aussi celles auxquelles la Belgique a refusé une possibilité de regroupement familial. Les conditions du regroupement familial se sont durcies et cela entraîne des séparations familiales ou entre époux durant de nombreuses années qui sont difficiles à supporter. Dès lors, au bout de nombreuses tentatives infructueuses de demandes de regroupement, on utilise le visa pour arriver en Belgique et puis on reste sans statut et on est donc considéré comme illégal. Il n’est pas vrai comme le dit le bourgmestre d’Anvers que les centres fermés sont construits pour protéger du trafic de drogue qui serait presque toujours le fait de gens qui sont en situation illégale. Les centres fermés sont des lieux de privation de liberté, de véritables prisons pour des gens qui n’ont rien fait de mal à part chercher un coin sur la terre pour avoir une vie un peu meilleure. Et en Belgique, le gouvernement est en train de construire un centre où l’on pourra à nouveau enfermer des familles avec enfants. Nous connaissons certaines de ces familles. Elles vivent comme vous et moi. Les enfants sont dans nos écoles primaires et secondaires avec les nôtres, un bon nombre d’entre eux sont d’ailleurs nés en Belgique et ne connaissent pas du tout leur pays d’origine. Quant aux parents, pour survivre, la plupart du temps, ils travaillent en noir dans des conditions de surexploitation inacceptables, y compris parfois sur des chantiers publics. Les parents et les enfants connaissent rapidement notre langue et se lient avec des associations, participent à des activités sociales ou culturelles. Rien à voir avec des dealers de drogue. Mais pour le gouvernement Michel, il est important de faire peur et de criminaliser les sans-papiers pour justifier la création de nouveaux centres fermés et une politique axée sur l’expulsion plutôt que sur l’accueil. (...)

On voit là que l’idée de criminalisation des sans-papiers et des migrants en général atteint même la sociale démocratie belge. (...)

Le gouvernement Michel et son secrétaire d’état d’extrême droite à l’asile et à la migration ne comptent pas s’arrêter là.

Sur la table de travail de ce gouvernement, un projet de loi dit de « visites domiciliaires » permettant à la police d’organiser de véritables perquisitions au domicile de sans-papiers ou dans les lieux où ils se trouvent afin de pouvoir les arrêter et les mettre en centre fermé pour ensuite les expulser. Ce projet de loi vise non seulement à la criminalisation des sans-papiers mais aussi à celles des personnes qui les aident. Il a aussi pour fonction de faire peur aux gens solidaires des sans-papiers puisque la police pourrait aussi venir perquisitionner chez des hébergeurs. C’est un projet de loi d’une violence extrême. Ces pratiques sont des intrusions insupportables dans la vie prive des gens et mettent en cause les principes d’inviolabilité du domicile qui font partie pourtant des réglementations internationales qui protègent les droits humains. 

Tout cet arsenal répressif et cette diffusion de l’idée que les migrants, surtout dits illégaux, représenteraient à tel point un danger qu’il faudrait aller les arrêter chez eux, crée une pression sur la police qui peut conduire à des drames. Aujourd’hui, en Belgique, l’étranger dit illégal est traqué. Sur nos aires d’autoroute, les autorités ont même fait abattre des arbres pour que les cachettes soient moins nombreuses ! La soi-disant lutte contre les passeurs a amené il y a quelques mois à une poursuite entre des policiers et une camionnette remplie de personnes et d’enfants migrant-e-s qui a abouti à la mort d’une petite fille de deux ans, la petite Mawda qui a été inhumée dans un cimetière de la région bruxelloise il y a peu.

C’est sur les parents victimes que la NVA veut faire peser la responsabilité de la mort de cette enfant tuée par le tir d’un policier. Pour le président de ce parti, c’est la décision d’avoir quitté leur pays d’origine qui au bout du compte a provoqué ce drame. Or, cette famille venait d’Irak, un pays fortement perturbé depuis que l’occident et les Etats-Unis l’ont mis à feu et à sang. Il ne viendra pas à l’idée bien entendu de la NVA d’accuser la Grande Bretagne qui s’est fortement impliquée avec les Etats-Unis dans cette guerre pour le pétrole et qui a fait les choux gras des entreprises d’armement pendant des années. Grande Bretagne, pays dans lequel cette famille voulait se rendre pour vivre un peu en paix et en tranquillité. Cet accès à l’Angleterre qui leur est tout le temps refusé alors que celle-ci, après avoir détruit leur pays, leur doit bien ça. Qui devrait se sentir coupable ?

Enfin signalons un dernier épisode très inquiétant qui touche actuellement une dizaine de personnes qui ont hébergé des migrants.

Elles sont inculpées de traite d’êtres humains et il y aura un procès d’ici la fin de l’année. Des gens ont été mis sous écoute téléphonique. Une journaliste hébergeuse a été perquisitionnée et tous ses outils professionnels ont été emporté : ordinateur, portable,… Certaines de ces personnes hébergeuses, de nationalité étrangère mais vivant depuis longtemps en Belgique ont été carrément arrêtées et emprisonnées en détention préventive. Par exemple, Walid a été gardé en détention préventive pendant huit mois parce qu’il était étranger et que la justice avait la crainte qu’il quitte alors la Belgique. Walid qui n’a rien fait à part avoir hébergé une personne migrante sans abri risque une condamnation pour traite d’êtres humains. Ces huit mois de prison ont détruit toute sa vie car le jeune homme migrant qu’il a hébergé est soupçonné être un passeur. Voilà donc maintenant que le gouvernement belge se sert de la loi sur la traite des êtres humains pour criminaliser aussi la solidarité. Une manière de créer en Belgique le délit de solidarité.

 

Cette répression des sans- papiers ne date pas d’hier...

 

F.B.: La répression des sans-papiers ne date pas d’hier, en effet. Depuis longtemps, le mouvement des sans-papiers veut faire entendre l’idée que ce sont les politiques migratoires qui les mettent en danger mais qu’eux ne sont pas dangereux. Entre 2005 et 2009, les sans-papiers ont occupé en Belgique plus de 50 églises dans tout le pays, en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles. Cette lutte a abouti à une opération de régularisation limitée dans le temps. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont pu, grâce à cette mobilisation très déterminée, obtenir la régularisation. Les sans-papiers avaient créé leur propre organisation qui s’appelait l’UDEP (Union pour la défense des sans-papiers). Cette auto-organisation de leur lutte leur avait permis d’aller à la rencontre de la population belge, des associations et aussi des organisations syndicales. Le fait de l’émergence de cette lutte menée et organisée par les sans-papiers eux-mêmes a permis que petit à petit une solidarité se développe de la part de belges, des syndicats et du monde associatif. Le mouvement des sans-papiers avait des revendications précises et fixait lui-même l’agenda des actions poussant ainsi les grandes organisations sociales du pays à bouger avec eux.

Cette lutte d’envergure de plusieurs années avait amené le gouvernement de l’époque à fléchir. Aujourd’hui, la situation n’est plus la même. Le combat est plus large car c’est toute la politique migratoire de nos gouvernements qu’il faut contester et par rapport à laquelle il faut imposer des alternatives. L’accès même au droit d’asile est mis en question et la convention de Genève risque de devenir petit à petit un vulgaire bout de papier dont on ne tiendra plus compte tout comme la déclaration universelle des droits de l’homme dont on commémorera le septantième anniversaire le 10 décembre 2018. La solidarité est plus difficile à obtenir car l’austérité détruit aussi les droits des travailleurs avec et sans emploi et de l’ensemble des allocataires sociaux. La sécurité sociale ne protège plus autant qu’avant et certains d’entre nous en ont été carrément exclus et se trouvent à devoir vivre avec des minimas sociaux en dessous du seuil de pauvreté. Depuis 17-18 ans, la précarité et la pauvreté ont encore augmenté. Dès lors, «l’étranger» peut passer plus facilement comme quelqu’un de dangereux. «S’il n’était pas là, notre situation serait sans doute meilleure» L’extrême droite, les populistes jouent sur toutes ces peurs mais la droite classique et moderne (Macron et Michel) et la social démocratie  aussi. Il est dès lors beaucoup plus difficile aujourd’hui de développer de la solidarité par rapport au thème de la défense des droits des personnes migrantes. En même temps que les mobilisations qu’il faut bien sûr continuer à organiser, il faut sensibiliser, déconstruire les préjugés et montrer qu’un combat commun à tous les travailleurs belges et étrangers, avec et sans emploi, avec et sans papier, est incontournable. C’est le capitalisme et les partis qui les soutiennent qui sont dangereux pour nous les travailleurs et pas les étrangers qui n’ont pas le choix de quitter leur pays pour envisager une vie un peu meilleure.

 

Cette chasse aux sans-papiers fait écho à la traque des plus précaires, chômeurs et allocataires sociaux. A y regarder de plus près, on a l’impression que ça pèse sur les salaires et les conditions de travail des prolétaires ayant encore un boulot. Et à travers les sans-papiers, on tente de criminaliser les mouvements sociaux et les éventuelles ripostes des travailleurs...

 

F.B.: En fait, les gens doivent comprendre que les partis au gouvernement qui prennent des mesures contre les personnes migrantes ne sont pas leurs amis pour autant. Théo Francken, le secrétaire d’état à l’asile et à la migration du gouvernement Michel est particulièrement anti-migrants. Mais en même temps, il est membre d’un gouvernement qui applique une austérité sévère détruisant la Sécurité Sociale et notamment dans celle-ci, les droits aux allocations de chômage et à la pension. Les droits des personnes malades sont aussi  passés à la moulinette. Nous sommes face à un gouvernement très dur avec les migrants mais ce n’est pas pour autant que la vie de tous les autres s’améliorent. La politique migratoire très répressive menée par Théo Francken et avant lui par Maggie De Block (dans le gouvernement précédent)  a fait diminuer fortement le nombre de demandeurs d’asile dans notre pays. En parallèle de cette politique qui vise à accueillir le moins possible de migrants, les attaques contre les droits des personnes les plus fragiles se poursuivent : 

Ce gouvernement a appliqué la mesure de limitation dans le temps des allocations de chômage d’insertion qui a provoqué, depuis le 1er janvier 2015, l’exclusion de dizaine de milliers de personnes qui ont dû faire appel à l’aide des centres publics d’action sociale (CPAS)  Certain-e-s exclu-e-s, particulièrement des femmes, parce que cohabitant-e-s, n’ont pas même eu droit à cette aide et ont perdu tout revenu personnel. Il a supprimé, pour les jeunes qui sortent de l’école à partir de 25 ans, la possibilité d’accéder à des allocations de chômage d’insertion. Il a rétabli la possibilité de visites au domicile des chômeuses et chômeurs pour autant qu’il y ait l’autorisation d’un juge… Il voudrait faire travailler les chômeuses et chômeurs de longue durée (2 ans de chômage) pour rien, … 

Les centres publics d’action sociale ont subi de nouvelles réformes: Généralisation du projet individualisé d’intégration sociale (contrat) à tous les bénéficiaires du revenu d’intégration dans lequel ceux-ci doivent s’engager à des démarches particulières sous peine de subir des sanctions qui peuvent aller jusqu’à trois mois de suspension ; Possibilité pour les CPAS de mettre sur pied des services communautaires, c’est-à-dire de faire travailler pour rien des bénéficiaires de l’aide sociale; Organisation d’une soi-disant chasse à la fraude sociale par l’organisation de visites domiciliaires, en tout temps, sans prévenir les personnes pour vérifier leur composition familiale. Celles-ci sont de véritables intrusions dans la vie privée des gens. Les CPAS peuvent pratiquer ces visites quand ils le veulent et il n’y a pas de balises particulières pour empêcher les abus et les atteintes à la vie privée. 

Les travailleurs malades de longue durée doivent, quant à eux, entrer dans un parcours de réinsertion au travail. Il s’agit là de leur faire signer une convention. Si celle-ci n’est pas respectée, sanction de 5 à 10% sur le montant des allocations de mutuelle. 

Et on pourrait ajouter tout ce qui touche et a touché les travailleurs victimes de licenciements comme le fait que les pré-pensions sont supprimées pour être remplacées par un système de chômage avec complément de l’employeur qui oblige à demeurer disponible sur le marché du travail sous peine de subir une sanction financière. C’est aussi le gouvernement de Charles Michel et de Théo  Francken qui a décidé de porter l’âge de la pension à 67 ans au lieu de 65 ans. Et c’est encore ce même gouvernement anti-migrants et antisocial qui continue à démanteler et à privatiser l’ensemble de nos services publics. 

Enfin, s’il y a criminalisation des migrants, il y a également criminalisation des travailleurs qui se rebiffent : Le droit de grève est attaqué et le service minimum a été imposé à la SNCB (société nationale des chemins de fer).

Non, vraiment, Théo Francken et Charles Michel ne sont ni les amis des migrants, ni ceux de l’ensemble de la population. Tout le monde trinque et belges et étrangers, avec et sans emploi, avec et sans papiers, nous devons nous unir pour défendre nos droits. 

 


 

(1) Les citations sont tirées de sa profession de foi pour le scrutin régional de Soignies (mai 2014).

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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