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Annexes à «Histoire de la Gauche Communiste»

 

(«programme communiste»; N° 98; Mars 2003)

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1.     La fonction de la Social-Démocratie en Italie  («Il Comunista» n° 3, 6/2/1921)

2.     La bataille communiste pour le Congrès de la Confédération du travail  («Il Comunista», n° 4, 10/12/1921)

3.     Le problème du pouvoir  («Il Comunista» n° 5, 13/11/1921)

4.     La marche au pouvoir  («Il Comunista» n° 6, 17/12/1921)

5.     L’usage de la violence  («Il Comunista» n° 7, 24/12/1921)

 

 

 

 

La fonction de la Social-Démocratie en Italie
(«Il Comunista» n° 3, 6/2/1921)

 

Les révolutions russe, allemande et d’autres pays, ont montré que la conquête du pouvoir par le prolétariat et la période de la dictature prolétarienne étaient précédées par une phase historique au cours de laquelle le gouvernement passe aux mains des partis sociaux-démocrates ou d’une coalition de ceux-ci avec les partis bourgeois. Après ces expériences, la question se pose de savoir si une phase similaire se présentera aussi dans les pays occidentaux comme prologue de la révolution prolétarienne. Certains soutiennent qu’en Italie aussi il nous faudra passer par cette période pour pouvoir aller plus loin; il serait donc de bonne tactique, y compris du point de vue révolutionnaire, de provoquer cette fameuse expérience social-démocrate afin de pouvoir accélérer ce développement historique nécessaire vers ses ultimes conclusions. Au contraire, selon les affirmations d’autres, de nos camarades communistes, cette période n’a aucun caractère de nécessité historique chez nous et le mouvement révolutionnaire doit viser directement à l’instauration de la dictature du prolétariat, par la lutte directe contre le régime bourgeois actuel.

Cette seconde opinion est naturellement la réponse la plus exacte d’un point de vue communiste. Il nous semble cependant qu’une appréciation plus précise des caractères et de la fonction du mouvement social-démocrate est nécessaire pour pouvoir donner une réponse complète du point de vue critique, et pour pouvoir en tirer les conclusions tactiques qui nous intéressent.

Un régime démocratique bourgeois ayant un programme de réformes radical-socialistes représente une véritable phase intermédiaire entre l’ordre en vigueur et l’ordre prolétarien là où la venue au pouvoir de la classe capitaliste bourgeoise proprement dite n’a pas encore eu sa complète réalisation historique, et où existent encore des formes politiques et sociales arriérées, correspondant à des époques généralement dépassées par la société actuelle. Tout en comprenant et en reconnaissant du point de vue théorique que la constitution d’un régime parlementaire est un pas vers un développement plus large de la lutte prolétarienne, il n’a jamais fait aucun doute pour les marxistes que, même dans ces conditions, les communistes doivent combattre non seulement la vieille classe dirigeante et ses partis, mais aussi la nouvelle qui prend sa place; refusant de conclure une trêve avec celle-ci, ils doivent s’efforcer de la renverser le plus rapidement possible, afin de ne pas laisser échapper la courte période pendant laquelle le pouvoir d’Etat n’a pas encore de base stable et où la prise du pouvoir est plus facile. Quoique puissent en dire ceux qui ignorent le marxisme, telle fut bien la pensée de Marx et des communistes face à la situation en Allemagne et ailleurs en 1848, et tel est le grand enseignement de la révolution russe.

En ce sens on ne peut ni on ne doit parler d’une fonction historique de la social-démocratie dans les pays d’Europe occidentale, où le régime intégralement bourgeois démocratique existe depuis longtemps, au point d’avoir épuisé sa vie historique et d’être entré dans sa décadence. Pour nous, il ne peut y avoir d’autre passage révolutionnaire du pouvoir que de la bourgeoisie dominante au prolétariat, de même qu’il ne peut y avoir d’autre forme du pouvoir prolétarien que la dictature des conseils.

Mais faire cette constatation évidente ne revient pas à nier que la social-démocratie exerce ou puisse exercer une fonction y compris dans les pays dont nous parlons. Les partis sociaux-démocrates soutiennent que la période de la démocratie n’est pas encore close et que le prolétariat peut encore se servir des formes politiques démocratiques pour ses objectifs de classe. Mais comme il est évident que ces formes sont en vigueur et que le prolétariat n’en retire aucun avantage, surtout dans les conditions actuelles héritées de la guerre, les sociaux-démocrates sont amenés à imaginer et à proposer des formes démocratiques meilleures et plus perfectionnées selon eux, prétendant que le système actuel agit contre le prolétariat parce qu’il n’est pas vraiment et intimement démocratique. De là tous ces projets de nouvelles institutions sur la base de la République, d’élargissement du suffrage, de suppression de la Chambre Haute, d’extension des fonctions et des pouvoirs du Parlement, etc.

Tant l’expérience des dernières révolutions que la critique marxiste démontrent que tout cet attirail politique n’est que le masque d’un mouvement qui se révèle être l’ultime programme et la seule méthode de gouvernement possibles pour la classe bourgeoise dans les conditions critiques actuelles; elles démontrent que tous les gouvernements formés sur ces bases non seulement ne constituent pas le point de passage vers la véritable conquête du pouvoir, mais représentent l’ultime obstacle et le plus difficile élevé par le système en place contre la menace de son renversement; elles démontrent que le contenu théorique démocratique de ce mouvement cède la place à une pratique de dictature et de terreur, mais contre le prolétariat et le communisme - confirmation logique de notre doctrine communiste qui proclame que la démocratie est historiquement morte.

La social-démocratie a donc une fonction spécifique, dans le sens où il y aura probablement dans les pays occidentaux une période pendant laquelle elle sera au gouvernement, seule ou en collaboration avec les partis bourgeois. Mais là où le prolétariat n’aura pas eu la force de l’éviter, cet intermède ne constituera pas une condition positive, une condition nécessaire de l’avènement des formes et des organisations révolutionnaires; il ne sera pas une préparation utile à celui-ci, mais une tentative bourgeoise désespérée pour affaiblir et détourner l’attaque du prolétariat, et pour l’écraser impitoyablement sous les coups de la réaction blanche au cas où il lui resterait assez d’énergie pour oser se révolter contre le légitime, l’humanitaire, le civilisé gouvernement social-démocrate.

On ne peut donc prévoir aucune espèce de transition entre la dictature bourgeoise actuelle et la dictature prolétarienne; mais il est prévisible, et il doit être prévu par les communistes, qu’apparaisse une forme ultime et insidieuse de la dictature bourgeoise qui, sous la forme d’un changement institutionnel formel quelconque, justifiera la remise de la direction de tout l’appareil étatique de défense capitaliste à l’action complice des sociaux-traîtres. Du point de vue de la tactique, en faisant cette prévision les communistes ne s’y résignent pas, justement parce qu’ils lui dénient le caractère de nécessité universelle historique. Forts de l’expérience internationale, ils se proposent au contraire de démasquer par avance le jeu insidieux de la fonction démocratique, et de commencer immédiatement l’attaque frontale contre la social-démocratie sans attendre que celle ci ait révélé avec éclat dans les faits sa fonction réactionnaire. Ils doivent s’efforcer de préparer la force et la conscience prolétarienne à étouffer dans l’oeuf ce produit monstrueux de la contre-révolution, sans exclure que l’attaque finale soit lancée contre un gouvernement socialisant, ultime gérant du régime bourgeois.

Quant aux propositions tortueuses de soi-disant communistes passés de l’autre côté de la barricade, qui consistent à favoriser l’arrivée au pouvoir de nos sociaux-démocrates, non seulement elles montrent une incompréhension absolue de la méthode communiste pour résoudre les problèmes tactiques, mais elles dissimulent en outre le pire piège. Il faut détacher le prolétariat du parti et des individus destinés à remplir la fonction social-démocrate contre-révolutionnaire, en séparant par avance les responsabilités de la façon la plus tranchée. Naturellement, cela découragera ces groupes et ces individus, et retardera le moment où ils accepteront l’invitation bourgeoise à assumer le pouvoir; mais il serait bon qu’ils ne s’y résignent qu’au dernier moment, quand même cette manoeuvre ne pourra plus enrayer le processus de décomposition de l’appareil d’Etat bourgeois. Nous savons de manière presque certaine que la bataille finale sera livrée à un gouvernement d’ex-socialistes; cependant notre tâche n’est pas de faciliter leur arrivée au pouvoir mais au contraire de préparer le prolétariat à les accueillir d’emblée par une déclaration de guerre, au lieu d’y voir la promesse d’une trêve dans la lutte de classe et le début d’une solution pacifique des problèmes de la révolution. Cela ne pourra se réaliser qu’à la condition d’avoir dénoncé à l’avance aux masses le mouvement social-démocrate, ses méthodes, ses desseins - et ce serait donc une erreur colossale que d’apparaître consentir à une tentative d’expérience social-démocrate. Pour toutes ces raisons nous disons que la tactique révolutionnaire doit être fondée sur les expériences internationales et pas seulement nationales, et que, grâce au travail infatigable des partis de l’Internationale Communiste, le martyre des prolétariats de Hongrie, de Finlande et d’autres pays doit suffire à épargner au prolétariat d’occident la nécessité d’apprendre de ses propres yeux, au prix de son propre sang ce qu’est la fonction de la social-démocratie dans l’histoire. Celle-ci suivra inévitablement sa propre voie, mais les communistes doivent se proposer de la lui barrer le plus tôt possible, et avant qu’elle ait réussi à planter le poignard de la trahison dans les reins du prolétariat.

 

 

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La bataille communiste pour le Congrès de la Confédération du travail
(«Il Comunista», n° 4, 10/12/1921)

 

 

Le congrès de la Confédération Générale du Travail, qui est de la plus grande importance pour le travail entrepris par le Parti communiste dans les rangs du prolétariat italien, se rapproche. Malheureusement la très courte période de temps qui le sépare du récent congrès de Livourne, qui a évidemment occupé l’essentiel de l’activité des communistes, a empêché une préparation adéquate à la bataille difficile qui va se dérouler dans la même ville et dans le même theâtre.

Cependant, conforté par l’accord de très nombreux militants et organisations, un groupe actif d’organisateurs membres du parti communiste travaille déjà à regrouper, sur la base de mots d’ordres clairs et d’orientations solides, les forces syndicales qui sont sur la plate-forme communiste, pour livrer une bataille acharnée contre le réformisme confédéral dominant et aussi contre le comportement tortueux des anciens maximalistes d’hier, aujourd’hui réunis sous la bannière unitaire du PSI autour de la politique contre-révolutionnaire des D’Aragona.

Bien entendu, le journal du parti communiste, ainsi que toute la presse communiste, contribueront largement à la préparation et à la polémique concernant le congrès syndical; nous avons déjà consacré différents articles à cet important sujet.

Aujourd’hui, nous voulons exposer les positions de principe et de tactique des communistes sur les différentes questions de politique syndicale qui seront traitées par le congrès, et autour desquelles l’opposition entre la droite et la gauche se manifestera de la manière la plus tranchée .

Il y a une question préalable. Comme on le sait, les statuts de la Confédération, selon la caractéristique des grandes organisations dominées par la pratique minimaliste dans tous les pays, sont ainsi faits qu’ils garantissent à priori la majorité pour tous les votes à la petite clique des dirigeants, c’est à dire des permanents des organisations les plus fortes et les plus nombreuses. En premier lieu, il y a la question bien connue du double vote, celui des Chambres du Travail et celui des Fédérations de métiers; et surtout, sans vouloir entrer ici dans les détails de la question, il y a l’habitude enracinée depuis longtemps de désigner comme représentants des différentes organisations leurs permanents, sans que les adhérents soient au préalable le moins du monde consultés sur les questions où ceux-ci voteront en leur nom.

La conséquence de cette situation est qu’il aurait fallu laisser le temps et la possibilité aux communistes de faire campagne pour attirer l’attention des masses sur les tâches du congrès confédéral, pour obtenir d’elles qu’elle réclament d’être informées et de donner leur délégation à ceux qui respectent le mieux les opinions et les perspectives de la majorité de chaque organisation après une consultation adéquate. Ce résultat ne pourra donc être obtenu que partiellement; alors qu’il est certain que les positions communistes sont victorieuses dès qu’il y a un débat sérieux et complet, on peut facilement prévoir que la plus grande part des votes sera jetée sur la balance par les petits chefs habituels des grandes organisations, et surtout de certaines fédérations de métiers, qui ne se sont pas souciées le moins du monde de demander leur avis à ceux qu’ils vont représenter.

 La réforme des Statuts ne pourra, au mieux, qu’être la conséquence d’une des dernières décisions du congrès, et les votes ne pourront donc se faire que suivant les modalités actuelles.

Mais laissons tout cela de côté et venons en aux questions qui vont être traitées par le congrès.

En premier lieu le congrès du prolétariat italien organisé, qui se tient sept bonnes années après le précédent, devra examiner et juger le travail effectué par la Confédération pendant une période de temps aussi longue et d’une importance historique aussi grande, en passant au crible de sa critique l’orientation politique et syndicale suivie face aux différents événements. C’est une discussion que les communistes méneront à fond et sur laquelle, évidemment, ils présenteront une motion de désaccord total avec l’orientation politique et syndicale, théorique et pratique, suivie constamment par les réformistes qui dirigent la Confédération, et donc de désapprobation et de rejet de leur action. Les représentants de la tendance communiste devront faire une critique complète de cette action pendant et après la guerre, à travers les épisodes les plus importants de la lutte de classe en Italie; ils montreront que la Confédération générale du travail doit être rangée parmi ces grandes organisations économiques prolétariennes démésurément grossies après la guerre qui font à merveille le jeu contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, à cause de leur structure pourrie, et parce qu’elles sont aux mains d’individus et de groupes représentant politiquement les doctrines, les tendances réformistes, collaborationnistes, social-démocrates.

Il faudra le démontrer en rappelant le comportement de la Confédération avant guerre, quand, manifestant d’énormes réticences envers l’attitude intransigeante du parti, elle maintenait des contacts y compris électoraux avec des individus et des partis adverses, y compris avec des renégats du socialisme; quand elle brisait ou étouffait tout mouvement qui tendait à dépasser l’interminable voie de la conquête des habituelles petites améliorations, en usant et en abusant des contacts et des accords avec tous les organes de l’état bourgeois pour obtenir des concessions; durant la guerre, quand elle feignait de soutenir les positions neutralistes du parti socialiste, alors qu’en réalité elle appuyait de toutes ses forces l’aile droite qui jetait constamment des bâtons dans les roues des opposants à la guerre; quand, ne dissimulant pas son social-patriotisme que seules des conditions particulières rendirent différent de celui d’autres pays, elle, la Confédération, menait un travail pratique de collaboration avec la bourgeoisie dans ses exigences internes de guerre, en participant aux comités d’organisation civile et de mobilisation industrielle; après la guerre, quand elle se rangea ouvertement contre les orientations de la révolution russe et de la Troisième Internationale, acceptant le fameux pacte d’alliance avec le parti, mais seulement pour fonctionner en réalité comme un autre parti, grâce à la complicité de la représentation parlementaire du prolétariat, en opposant son programme politique, sa propagande politique au programme et à la propagande maximalistes; jouant avec ses alliés maximalistes la comédie habile de faire semblant de les suivre de manière disciplinée tout en sabotant leurs actions par son obstructionnisme obstiné, et leur chantant sur tous les tons leurs déficiences et leurs échecs, pour arriver ainsi au résultat brillant - pour la contre-révolution - que nombre de ces maximalistes de la première heure, convaincus que les orientations qu’ils avaient embrassées dans un premier élan ont échoué, refluent aujourd’hui précipitamment à droite. En réalité ce ne sont pas ces orientations mais la pratique réformiste et social-démocrate décennale qui a été suivie par le prolétariat italien dans l’après-guerre, et c’est cette pratique qui a échoué, c’est à dire qui s’est révélée contre-révolutionnaire.

Tout cela doit être et sera dit avec la clarté de la critique marxiste, de manière à arriver jusqu’à la rude âme prolétarienne, en se servant largement de ce qu’ont dit et écrit à mille occasions beaucoup de ceux qui aujourd’hui sont aux côtés des chefs confédéraux et qui les défendront comme représentants de leur parti - de ce parti qui est finalement prisonnier du réformisme syndical et parlementaire -, mais sans que le prolétariat soit tombé dans le piège, grâce au travail et à la bataille des communistes pour le tirer de l’ornière et du danger.

Passant du jugement sur l’action passée au programme d’action pour le futur, le congrès confédéral traitera, outre diverses questions mineures, deux grands problèmes politiques liés entre eux: les rapports internationaux et le rapport avec le parti socialiste.

Sur ces questions la tâche des camarades de notre parti sera d’exposer de manière complète et efficace ce que sont les méthodes syndicales proposées par les communistes. Le parti communiste d’Italie a une vision claire et unanime de ces problèmes parce que d’une part, il se place sur le terrain marxiste de l’analyse de la question syndicale, et que de l’autre il accepte non seulement par discipline mais aussi par intime conviction les solutions définies par le IIe Congrès de la Troisième Internationale. En effet, si, tout en reconnaissant la discipline inconditionnelle aux décisions du Congrès, les éléments qui constituent aujourd’hui notre parti ont pris des positions différentes sur d’autres questions examinées, sur la question syndicale l’accord était complet: il n’existait et il n’existe pas dans le mouvement communiste italien de tendance en opposition aux positions syndicales des thèses de Moscou - à la différence de ce qui se passe dans de nombreux pays, notamment en Allemagne. Nous nous trouvons donc dans les meilleures conditions pour appliquer consciemment et de façon impeccable les directives de l’Internationale Communiste dans un grand congrès syndical, chose qui aura de grandes répercussions dans les rangs du mouvement prolétarien international, et qui contribuera à la solution des problèmes liés à la constitution de la Troisième Internationale syndicale.

Nous nous réservons de revenir en détail sur ces intéressantes questions et de publier largement les résultats des études qu’ont entreprises à ce propos, avec l’accord du parti, les camarades chargés de la préparation communiste du congrès confédéral. Pour l’instant nous en exposons une brève synthèse.

 La méthode marxiste définit les rapports entre syndicats et parti de la façon suivante: le parti politique révolutionnaire, de classe, qui comprend les éléments les plus conscients et les mieux formés idéologiquement et matériellement, doit diriger dans toute l’action révolutionnaire les syndicats ouvriers, où se retrouvent des masses bien plus vastes et préparées à des formes de lutte moins avancées. Pour mener à bien cette tâche, le parti, qui attire dans ses rangs les prolétaires au fur et à mesure qu’ils deviennent mûrs pour la lutte révolutionnaire, doit avoir une stricte homogénéité programmatique et une absolue intransigeance de méthode. Le syndicat ne peut pas se substituer au parti et mener à lui seul la lutte révolutionnaire prolétarienne; mais d’autre part, pour effectuer sa préparation, le parti a besoin que les syndicats existent et qu’ils comprennent la plus grande masse prolétarienne possible, au sein de laquelle il peut et doit mener son travail.

La réaction au fait historique constitué par la dégénérescence du mouvement prolétarien et de la chute des partis et des syndicats aux mains d’éléments petit-bourgeois social-pacifistes, a conduit à la reconstitution du mouvement révolutionnaire dans la Troisième Internationale, en brisant les vieux partis pour donner naissance à des partis communistes constitués sur la base du programme et de l’action révolutionnaires, mais pas en brisant les syndicats. Une fois résolu le problème de la constitution du parti communiste, la lutte contre le réformisme dans les syndicats doit être menée en leur sein, sur la base du contrôle étroit par le parti politique de l’action de tous les adhérents et de toutes les organisateurs communistes, au moyen de groupes communistes constitués dans tous les syndicats, avec l’objectif de renverser les chefs et de gagner au parti l’adhésion des syndicats et leur direction totale, grâce à cette discipline systématique et non au moyen de pactes d’alliances spéciaux fondés sur la parité des droits entre syndicats et parti, concept qui est entièrement social-démocrate.

En aucun cas, même dans le cas où la Confédération tomberait en des mains encore pires que celles actuelles, les propositions des communistes pour le congrès confédéral ne tendent et ne peuvent tendre à la scinder en deux organisations, dans le but d’avoir immédiatement une organisation syndicale dépendant du parti. C’est uniquement pour des raisons de basse polémique que les réformistes et les unitaires nous attribuent l’intention de vouloir scinder la Confédération, ce qui serait contraire à toutes nos positions théoriques et tactiques et aux thèses de Moscou. Nous resterons, mais nous resterons justement parce que c’est selon nous la meilleure méthode pour abattre le réformisme, pour vaincre les contre-révolutionnaires qui dirigent aujourd’hui les organisations du prolétariat italien, avec la complicité de tant d’anciens maximalistes. C’est une méthode [il manque l’adjectif qualificatif: «défaitiste»? - NdlR] que celle de s’éloigner des masses, en laissant les réformistes libres de mieux les asservir à leur politique.

L’organisation internationale syndicale qui vit au flanc de la Seconde Internationale politique a trahi tout autant que cette dernière, et elle a été dispersée par les événements. On peut même affirmer que son naufrage dans les bas-fonds de la collaboration bourgeoise a été encore plus honteux. Toutefois, alors que la Seconde Internationale est définitivement battue, et que l’on peut considérer qu’elle n’existe plus face à la vigueur de la Troisième Internationale communiste, les éléments social-démocrates qui sont la longue-main de la bourgeoisie espèrent encore se maintenir sur le terrain syndical; avec le Bureau et le Secrétariat d’Amsterdam, ils ont organisé une Internationale Syndicale asservie au réformisme et à la politique bourgeoise réactionnaire de la Société des Nations.

L’Internationale communiste a depuis longtemps entrepris d’arracher la direction du mouvement économique prolétarien à cette organisation contre-révolutionnaire par la constitution d’un Conseil International des syndicats rouges, strictement lié aux organes centraux de l’Internationale politique. Selon la convention par laquelle ce Conseil s’est constitué à Moscou ainsi que selon les décisions prises à ce sujet par le Congrès de l’Internationale, adhérent à cette organisation internationale les confédérations syndicales nationales qui ont une direction communiste et qui sont partisanes de la dictature prolétarienne et de la révolution soviétiste - et y adhèrent aussi les minorités communistes des organisations syndicales nationales dirigées par les sociaux-démocrates. Alors que, pour les raisons tactiques générales que nous avons exposées, ces minorités ne doivent pas sortir de leurs organisations nationales respectives, les confédérations nationales gagnées par les communistes doivent rompre avec Amsterdam lorsqu’elles adhérent à Moscou.

Du côté des réformistes confédéraux italiens, et des divers Serrati qui leur prêtent la main, on tente de brouiller les cartes en soutenant la possibilité d’adhérer à Moscou et à Amsterdam simultanément; ce n’est là qu’une manoeuvre grossière que nous démystifierons si nécessaire en reproduisant tous les documents déjà parus dans notre presse y compris avant le congrès de Livourne. Il faut poser nettement aux travailleurs italiens l’alternative: ou avec Amsterdam, ou avec Moscou. Il faut montrer l’absurdité de l’insidieuse supposition que, soit au prochain congrès international des syndicats rouges, soit au troisième congrès de l’Internationale, il serait possible de tourner ces décisions, pour prendre en considération les dirigeants politiques et syndicaux italiens dépassés.

Si, comme c’est probable, la majorité se prononce pour Amsterdam, la minorité communiste de la Confédération devra se donner une organisation propre, pour poursuivre le travail de l’intérieur de la confédération, et pour intervenir avec tout le bagage de son programme nettement communiste à la réunion internationale des syndicats rouges.

Quant à ce qui concerne les rapports avec le parti politique prolétarien, il est évident que les communistes devront proposer le retrait de l’adhésion au Parti socialiste, et, comme conséquence logique de la proposition d’adhésion à Moscou, l’adhésion au Parti communiste d’Italie, section de l’Internationale Communiste.

Il n’y a pas et il ne peut y avoir de solution intermédiaire. Les communistes qui sont dans la Confédération se compteront sur la proposition d’adhésion à leur parti; ils ne prendront aucunement en compte toute autre proposition ou expédient.

Le problème des rapports avec le parti est parallèle à celui des rapports avec l’Internationale. Ou avec le Parti Communiste d’Italie et la Troisième Internationale, ou avec le parti socialiste réformiste-unitaire et l’Internationale jaune d’Amsterdam. Même si le Congrès répond par la seconde proposition, nous continuerons la lutte, certains que les masses sont avec Moscou, sont avec nous, sont pour la lutte à fond contre les manoeuvres contre-révolutionnaires du réformisme; avec elles et avec Moscou, la victoire sourira à notre drapeau.

 

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Le problème du pouvoir
(«Il Comunista» n° 5, 13/11/1921)

 

 

Le processus qui a vu la conversion du mouvement politique prolétarien en Italie aux positions de principe et de tactique communistes, avec les épisodes connus qui l’ont caractérisé jusqu’à la récente scission minoritaire des communistes d’un parti déjà membre de la Troisième Internationale et qui déclarait adhérer dans sa grande majorité à ces principes et ces méthodes, ce processus avec toutes ses ruptures a donné l’occasion aux adversaires du communisme de dresser des obstacles à la formation d’une authentique conscience et d’une véritable formation révolutionnaires, par leur habile politique mais surtout par la simple critique théorique visant à réfuter les affirmations communistes trop légèrement formulées et défendues initialement. Nous avons déjà dit que le Parti Communiste, poursuivant aujourd’hui de manière organique le travail fécond des courants véritablement communistes nés dans le vieux parti, a avant tout la tâche de rétablir les claires positions de principe qui différencient nettement les communistes des autres écoles socialistes traditionnelles, afin de créer cette incompatibilité, cette opposition de positions et d’actions qui ont partout rassemblé les partis communistes contre les restes des vieux partis de la Deuxième Internationale.

C’est en vain que sur cet abîme, qui semble encore aujourd’hui essentiellement théorique mais qui devient chaque jour davantage une opposition violente et implacable dans l’action, certains ont tenté de jeter l’illusoire passerelle de l’unité, pont fragile et trompeur qui aurait conduit le prolétariat, s’il s’y était engagé, dans le gouffre de la contre-révolution.

Les conséquences de la guerre et les événements des pays où celle ci ont d’abord déterminé des convulsions révolutionnaires, ont clarifié le problème de l’émancipation de la classe prolétarienne, en remettant en évidence la géniale solution donnée par le marxisme, et en provoquant une violente polémique, prélude partout d’une lutte sans pitié, y compris les armes à la main, entre les partisans de la méthode révolutionnaire devenue patrimoine de l’Internationale Communiste, et les vieux socialistes restés sur le terrain de la dégénérescence réformiste des positions marxistes.

Le point central de la différence entre ces deux méthodes est la façon de considérer le problème du pouvoir dans les rapports entre les classes, dans le développement qui doit conduire de la domination actuelle de la classe bourgeoise à la victoire définitive du prolétariat.

Les sociaux-démocrates, qui s’efforcent de revendiquer leur lien avec les racines du marxisme, font semblant d’en accepter certaines des positions fondamentales, quand ils affirment être socialistes et expliquent que pour avoir droit à ce qualificatif il suffit, selon eux, d’accepter les critères de la collectivisation économique et de la nécessité que le prolétariat, en vue de cette réalisation, parvienne à s’emparer du pouvoir politique, aujourd’hui détenu par la classe capitaliste. A partir de là commencerait une divergence secondaire d’école et de tendance. Il est de la plus haute importance de démontrer au contraire que de la position prise par rapport à des questions qui semblent se poser logiquement après la prise du pouvoir, par rapport à la manière précise et concrète de comprendre le passage du pouvoir politique de la bourgeoisie au prolétariat, naissent des différences profondes. Ces divergences révèlent l’opposition de principe entre ceux qui suivent la pensée marxiste sans reculer devant ses conséquences extrêmes, et ceux qui la défigurent au point d’en arriver à des conclusions qui démontrent chez eux une mentalité parfaitement anti-révolutionnaire et bourgeoise, prélude à une alliance de fait avec la bourgeoisie lorsque le communisme passe du terrain de la critique à celui de la préparation de l’action décisive.

Il est évident que l’état bourgeois actuel est le protecteur des intérêts et des privilèges capitalistes, et que l’état prolétarien de demain devra être au contraire l’artisan de la démolition des privilèges économiques du capitalisme et le constructeur de l’économie collective, c’est à dire des bases d’une société sans division de classe et sans Etat. Mais affirmer l’adhésion à ces thèses théoriques du marxisme ne suffit pas: même Turati affirmait s’y rattacher dans son discours de Livourne. Pour pouvoir résoudre les problèmes posés par la crise qui conduira de l’un à l’autre, et établir les orientations tactiques vitales qui guideront l’action du prolétariat, il faut savoir quels sont les caractères de l’Etat prolétarien qui le différencient de l’Etat actuel.

Sur ce point, l’Internationale Communiste, forte d’expériences décisives et de confirmations de l’histoire vivante, et conformément aux travaux irréfutables et à la brillante documentation de Lénine dans sa puissante critique de l’Etat dans la transition révolutionnaire, a émis des thèses qui confirment de manière éclatante l’attitude prise à ce sujet par Karl Marx et Friedrich Engels. L’Etat prolétarien ne pourra conserver ni le système de représentation élective actuelle, ni son appareil, sa structure exécutive et fonctionnelle, bureaucratique, juridique, policière et militaire. Cela ne signifie pas - nous le disons tout de suite - que l’Etat prolétarien n’aura pas ses représentations électives et ses mécanisme exécutifs avec des fonctionnaires, des tribunaux, une police et une armée. Cela signifie que ce nouvel appareil sera totalement différent de l’ancien, parce qu’il n’aura pas besoin de la distinction existant dans l’Etat bourgeois entre l’appareil représentatif et exécutif, mais surtout en raison des différences fondamentales de structure qui découlent de l’opposition entre les buts historiques à accomplir, que les révolutions prolétariennes, depuis la glorieuse tentative de la Commune de Paris jusqu’au triomphe de la République russe des Soviets, ont mis en lumière de manière irréfutable.

Les soi-disant socialistes qui ne comprennent pas que les institutions de l’Etat bourgeois - parlement, conseils communaux et provinciaux - ne peuvent être le système de représentation de l’Etat prolétarien, ne comprennent rien du contenu central du marxisme: la critique de la démocratie. Ils ne comprennent pas que le principe démocratique fondamental de donner des droits électoraux égaux aux citoyens de toutes les classes est né avec la bourgeoisie et doit mourir avec elle, dans la mesure où son fonctionnement équivaut à la garantie que le pouvoir reste aux mains de la classe capitaliste. Nous ne voulons pas répéter les arguments théoriques de cette démonstration, mais seulement rappeler que dans la période de convulsions actuelles dans laquelle sont nés des gouvernements de toute sorte, non seulement il n’y a pas d’exemple d’un gouvernement socialiste basé sur la démocratie parlementaire qui prenne en charge la démolition des privilèges bourgeois, mais que des gouvernements de ce type qui existent dans quelques pays sont les plus féroces complices de la bourgeoisie tant nationale qu’extérieure et sont les agents de la pire réaction contre-révolutionnaire.

Précisément parce qu’il ne cherche pas à conserver les rapports d’exploitation d’une classe sur une autre, mais qu’il fait peser sur la bourgeoisie la volonté organisative du prolétariat dans le but de la supprimer le plus rapidement possible et laisser la place à la société sans classes, l’Etat prolétarien doit dès le début nier à la bourgeoisie, dont la fonction économique ne peut être supprimée instantanément, toute forme de droits et d’activité politique.

L’histoire a démontré que la seule forme possible de pouvoir prolétarien est celle qui a pour organe de représentation non pas le parlement et les autres institutions démocratiques, mais les conseils élus par les seuls membres de la classe prolétarienne. On n’arrive à cette forme de pouvoir, à la dictature prolétarienne, en utilisant la démocratie mais en la détruisant.

C’est un point fondamental d’opposition entre les communistes et les sociaux-démocrates, qui pensent marcher au pouvoir dans et avec les parlements. La différence, la contradiction sont strictement liées à la manière de considérer la machine exécutive de l’Etat bourgeois. En effet, toute changement parlementaire de pouvoir, même s’il s’accompagnait apparemment de changements de certaines formes constitutionnelles, se résumerait à un changement de ministres, c’est à dire au remplacement de ceux qui au fond influent le moins sur la «routine» du fonctionnement de tout l’appareil d’état. Alors que les communistes se proposent de construire une nouvelle machine de pouvoir fonctionnant totalement à l’opposé de la machine d’Etat bourgeoise, les sociaux-démocrates présentent au prolétariat la possibilité de prendre la machine actuelle par la méthode parlementaire, c’est à dire de manière pacifiste et légaliste, et de s’en servir pour les objectifs révolutionnaires de l’expropriation de la bourgeoisie.

Il y a donc deux conceptions diamétralement opposées de la prise du pouvoir par le prolétariat. Même les d’Aragona et les Baldesi se disent pour la prise du pouvoir, et ils prétendent avoir abandonné la vieille position réformiste qui consiste à accepter une partie du pouvoir sous la forme d’une représentation socialiste dans un ministère bourgeois. En présentant cela comme l’acceptation des thèses communistes, les communistes unitaires démontrent en réalité qu’ils ne sont pas sur le véritable terrain du communisme. En effet le problème n’est pas dans l’affirmation formelle d’aller au pouvoir mais dans le fait de reconnaître ou de ne pas reconnaître l’affirmation communiste fondamentale que le pouvoir d’Etat reste en fait dans les mains de la bourgeoisie tant qu’existent les institutions parlementaires et exécutives de l’Etat actuel. Puisqu’une majorité parlementaire et un ministère socialiste ne pourront jamais supprimer le Parlement qui les aura élevés à la direction de l’Etat; puisque même s’il n’était pas évident que cette position soit absurde, il est encore plus évident que ils ne pourraient pas imposer à la machine exécutive un rôle et une fonction différente de celles qui sont dans sa nature, et encore moins l’abattre, puisque c’est précisément elle qui constitue la force organisée de l’Etat qui devrait être à leur disposition pour la réalisation de leurs objectifs; cette marche au pouvoir ne constituerait qu’une illusion dont nous verrons les conséquences pour le prolétariat une autre fois. Entre ce programme et celui des communistes il y a une contradiction telle que tout moyen terme est impossible à envisager. Certains que le prolétariat dans son avancée construira ses propres organes de gouvernement ou retombera sous la domination bourgeoise, certains que sur ce chemin le prolétariat affrontera l’obstacle des forces organisées et armées de l’Etat bourgeois qui n’ont pas comme but la défense d’une liberté constitutionnelle qui pourrait aujourd’hui donner raison à la conservation bourgeoise et demain à la révolution prolétarienne, mais la protection, y compris par la force et avec la trique, du régime capitaliste; les communistes disent au prolétariat que sur la voie de son émancipation se trouve la nécessité de la lutte armée contre le système étatique bourgeois, que la prise du pouvoir par la classe laborieuse ne devient effective que par la destruction du parlement, de la bureaucratie, de la police, de l’armée bourgeoise, et que donc la lutte doit être entreprise en sachant bien que la force armée sera le moyen décisif indispensable pour triompher.

Le prolétariat doit donc y être préparé: idéologiquement en détruisant les préjugés bourgeois si chers aux sociaux-démocrates sur la possibilité de la victoire prolétarienne par les voies légales; matériellement en organisant l’action violente prolétarienne qui se développe spontanément dans la période actuelle et non en la condamnant et en la déplorant comme le font à chaque pas les sociaux-démocrates et semi-sociaux-démocrates.

La distinction est donc extrêmement claire: toute confusion entre les deux méthodes est impossible en dépit de tous les efforts du centrisme italien qui fait mine de représenter la gauche du parti socialiste et qui est pour la cause révolutionnaire plus dangereux que la droite elle-même. Aller au pouvoir, prendre le pouvoir, conquérir le pouvoir politique, mais comment? Pas par la voie parlementaire, pas par des actions pacifiques, qui ne peuvent aboutir qu’à un changement d’étiquette du système d’oppression et de l’Etat bourgeois; mais dans le but de démolir le système de représentation démocratique et l’appareil gouvernemental actuel, avec le seul moyen qui soit adéquat, celui de l’action violente révolutionnaire des masses. Ne sont communistes, ne sont avec l’Internationale de Moscou, que ceux qui soutiennent ce programme et démontrent qu’ils travaillent effectivement pour lui. Tous les autres, du plus à gauche au plus à droite, ne sont que les complices et les laquais de la classe dominante.

 

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La marche au pouvoir
(«Il Comunista» n° 6, 17/12/1921)

 

 

 

Quand, en réponse aux grandes nouvelles arrivant de Russie, les thèses fondamentales de la pensée marxiste révolutionnaire - avec lesquels, il faut y insister, la gauche anti-révisionniste de la Seconde Internationale n’avait jamais perdu le contact, au moins sur le plan de la théorie - furent mises en évidence dans tout le mouvement prolétarien mondial, c’est alors que se posa le problème: accepter ou non la conquête violente du pouvoir, la dictature prolétarienne, la destruction du mécanisme parlementaire et son remplacement par le système des conseils ouvriers. Dans un premier temps, si nous pensons à l’Italie, les adhésions à ces positions se firent tout simplement en avalanche. Mais à la suite d’une série de causes sociales et historiques, commencèrent les doutes et les hésitations, les interprétations personnelles et tendancieuses des points cardinaux des méthodes de l’Internationale renaissante. Ce premier incendie d’enthousiasme s’est désormais révélé par ses conséquences avoir été tout sauf utile; alors qu’au même moment commençait la construction, plus laborieuse mais plus efficace, d’une véritable conscience de la méthode communiste au sein des groupes organisés aujourd’hui dans notre parti.

Il s’agit maintenant de considérer sérieusement ce qu’il faut comprendre par l’acceptation de la méthode communiste. Cela a été le problème central qui s’est présenté en Italie et qui a été résolu à Livourne; alors que la solution sur le terrain de l’organisation du parti n’exclut pas la nécessité de clarifications face à toute la campagne anticommuniste consistant en déclarations journalières de foi communiste de la part de ceux qui sont désormais hors du communisme, du point de vue du militantisme comme de celui de la doctrine, et soutenue par les habiles critiques de la part des éléments qui étaient restés à droite même dans la période d’ivresse et qui tentent d’exploiter la liquidation de cette période comme la défaite de la théorie et de la pratique de la Troisième Internationale.

Tout d’abord, on ne peut pas considérer comme étant une adhésion à la méthode communiste, le fait de l’approuver... quand elle est appliquée en Russie, ce qui se réalise indépendamment de l’opinion et de l’autorisation des communistes actuels; ou la déclaration de reconnaissance du droit du prolétariat russe à se doter du régime soviétiste, droit à la protection duquel pourvoient magnifiquement les fusils et les canons de l’armée rouge.

 N’est pas non plus communiste celui qui admet la violence, la dictature, les soviets comme des formes et des aspects possibles du développement révolutionnaire, qui daigne renoncer à les condamner absolument comme une dégénérescence anti-socialiste, et qui se risque à ne pas exclure qu’ils puissent être dans certains cas et dans certains pays une nécessité, pour lui déplorable.

La valeur et la vigueur de ces thèses marxistes résident dans leurs caractères généraux, dans la forme unique sous lesquelles elles ont été formulées, quand elles affirment, comme dans les écrits théoriques de Marx et Engels et dans les thèses de la Troisième Internationale, que la seule voie pour réaliser l’émancipation du prolétariat, la seule qui peut mener du pouvoir de la bourgeoisie au pouvoir réel du prolétariat, est la voie de la lutte violente et de la dictature. Dogmatisme? Schématisme? Ignorance des aspects multiformes que peuvt prendre dans le temps et dans l’espace, suivant mille raisons particulières, le développement de l’histoire? Non, mais conclusion d’un vaste et formidable examen qui sur la base d’innombrables éléments de doctrine et d’expériences dans l’action, par le travail non d’un homme mais d’une classe et de son mouvement de critique et de bataille, arrive à établir qu’il existe des uniformités fondamentales dans l’évolution historique qui permettent à une classe luttant internationalement pour un problème posé toujours plus universellement - la fin du régime capitaliste - d’en prendre conscience et d’en faire le guide de son action. Si on ne croit pas à ces uniformités, sans comprendre non plus que l’universalité de ces positions n’exclut pas l’étude de chaque problème de détail dans ses aspects les plus variés, et la résolution de chaque situation de fait avec des moyens multiples et adéquats, mais sans jamais contredire le cadre général de la critique et de la tactique; si on nie cela, il ne reste plus qu’à passer dans les rangs de l’éclectisme sceptique de la bourgeoisie décadente, ce que font d’abord en pensée puis ensuite en pratique les contradicteurs des thèses communistes.

Il existe l’antithèse à la position communiste, et on pourrait l’appeler la position social-démocrate pure. Nous ne voulons pas parler de l’école qui affirme, en dépit de la situation laissée par la guerre, que le capitalisme doit encore connaître développement régulier, que la classe bourgeoise doit encore rester à la direction de la société et conserver le pouvoir. Nous ne voulons pas parler non plus de ceux qui acceptent aujourd’hui encore la participation de représentants de partis prolétariens aux ministères bourgeois. En adoptant l’expression d’école social-démocrate pure, nous voulons nous référer à ceux qui soutiennent que le prolétariat doit - ou simplement peut - accéder au pouvoir sans une lutte violente, sans briser le système parlementaire et la machine exécutive de l’Etat bourgeois, et exercer le pouvoir par la suppression du capitalisme sans dictature et sans le système des conseils ouvriers.

Certains soutiennent que le prolétariat doit éviter tout cela, et que la voie soutenue par les communistes est en contradiction avec... le socialisme. Il n’y a pas besoin de beaucoup de phrases pour montrer que ceux qui voient une contradiction entre leur socialisme et la violence, la dictature, etc., suivent un socialisme qui n’a rien de commun avec le marxisme et qu’ils ont trouvé dans quelque secte évangélique ou dans les Congrès pour la paix, dans le bric-à-brac donc de la pensée bourgeoise.

Mais même la simple illusion que, dans certaines conditions historiques, la question du passage du pouvoir au prolétariat puisse se résoudre sans ces conditions révolutionnaires, n’est pas une altération tendantielle innocente du marxisme, mais signifie sa négation de principe. Pour qu’on puisse envisager un tel processus, il faudrait que l’adaptation de la structure législative et exécutive de l’Etat tel qu’il est aujourd’hui constitué aux exigences de l’expropriation du capitalisme soit possible. Or cette expropriation implique la destruction de la constitution légale de l’Etat bourgeois. La représentation électorale parlementaire n’a théoriquement pas cette possibilité. Ce n’est pas une question abstraite, car traduite en pratique elle signifie ceci: un ministère élu par le parlement peut compter sur les forces de l’Exécutif pour réaliser son programme dans la mesure où il ne sort pas de la légalité bourgeoise, c’est à dire de la conservation du privilège capitaliste.

Le jour ou le gouvernement sort de cette limite, l’armée, la police et la bureaucratie ne le suivent plus, et le renversent sans aucun doute s’il insiste. Et ils le font non parce que du point de vue juridique leur situation, leurs serments de fonctionnaires de l’Etat bourgeois de respecter et faire respecter la constitution le leur imposent, mais parce que dans la réalité matérielle leur structure constitue l’engrenage d’une machine construite pour le capitalisme, lubrifiée et dirigée par la classe bourgeoise, et qui n’abandonnera pas celle-ci avant d’avoir jeté sur le plateau de la balance tout le poids de sa force armée organisée. Cette voie social-démocrate pure n’est donc pas impossible; mais il est impossible qu’elle conduise à l’exercice du pouvoir par le prolétariat, pour la destruction du capitalisme. A un certain moment la nécessité de briser violemment la machine d’Etat, ce qui ne peut se faire sans violence matérielle, armée, organisée, se présentera de manière implacable. Nous verrons les conséquences d’une telle situation de nécessité imprévue de la lutte violente, et comment cette situation se résoud par l’alliance entre sociaux-démocrates et bourgeois. Pour l’instant nous avons établi que cette conception social-démocrate renferme une incompréhension de la fonction de l’Etat qui se trouvedans la doctrine communiste marxiste. Donc même quand elle agite la formule de la marche au le pouvoir du prolétariat, elle reste étrangère et opposée au marxisme, séparée de nous par un abîme. Il faut l’expliquer comme une filiation théorique de la pensée bourgeoise puisqu’elle abandonne la ligne marxiste, écrasée par les préjugés démocratiques bourgeois dont la démolition est une donnée établie dans le système marxiste.

Une fois établi que ce pur social-démocratisme est une pure école théorique bourgeoise, ce qui étaye la prévision que ses représentants travaillent pour la bourgeoisie, nous examinerons, par la méthode marxiste et ses antithèses, les tentatives d’élaborer d’autres solutions intermédiaires, encore plus équivoques et pernicieuses.

 

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L’usage de la violence
(«Il Comunista» n° 7, 24/12/1921)

 

 

Dans mes précédents articles concernant le problème de la marche au pouvoir, je me suis proposé, avec la continuité de développement compatible avec la périodicité d’un journal, de remettre à leur place les différences de principes qui séparent les communistes des partisans de l’école traditionnelle social-démocrate. Ce n’est donc pas encore la critique de la tactique social-démocrate et de son nécessaire développement jusqu’à l’action contre-révolutionnaire ouverte, position que je n’ai fait qu’effleurer et qui mérite un examen plus vaste; c’est seulement pour l’instant la démonstration que la méthode communiste a un contenu propre, si bien défini qu’il ne peut pas être nuancé, accepté en partie, être soumis à une critique qui révèlerait et démontrerait son adaptabilité, et diminuerait ainsi sa distance d’avec les vieilles illusions social-démocrates. Pour celà, j’ai exposé la contradiction entre les positions social-démocrate et communiste, en relevant que le point de départ commun, c’est-à-dire la prise du pouvoir par le prolétariat, ne l’était qu’en apparence: en réalité elles se divisent sur l’importante question de la nécessité ou non de briser la machine d’Etat bourgeoise pour rendre possible le pouvoir prolétarien déstructeur de l’économie bourgeoise. Quand un social-démocrate me dit: l’Etat tel qu’il est constitué aujourd’hui (c’est à dire avec son parlement et son appareil exécutif) peut être conquis et orienté vers les buts de classe du prolétariat, ce qui revient à dire: on peut atteindre cet objectif sans action violente et armée, quand il s’exprime ainsi, peu m’importe qu’il se réclame du marxisme en acceptant en parole les concepts de lutte de classe, d’intransigeance, de marche vers le pouvoir sans participation bourgeoise. Il ne comprend rien au système marxiste, parce qu’il n’a pas assimilé la critique de la démocratie et de l’Etat dans les rapports entre les classes; il n’a pas appris de Marx ni de l’histoire ultérieure qu’une structure étatique particulière naît et meurt en tant qu’instrument d’une classe portée au pouvoir par le développement des moyens de production; que la classe capitaliste bourgeoise possède cet instrument historique dans l’Etat parlementaire moderne, qui existe dans tous les pays qui ont conquis les délices du régime démocratique avec son attirail de bureaucratie, d’armée, de justice de classe. Ce social-démocrate ne voit pas non plus que, lorsque la maturation des rapports économiques la pousse, la bourgeoisie doit, pour assurer la direction de la société, noyer dans le sang et la terreur les vieilles institutions, les personnes, les castes qui y dominaient.

Il accepte la position idiote et spécifiquement bourgeoise selon laquelle la nécessité de l’utilisation de la violence et de la guerre civile et des révolutions s’est historiquement terminée avec la violence légitime de la révolution démocratique, celle-ci ayant ouvert l’ère des luttes civiles pacifiques et électorales. Position bourgeoise car c’est la traduction en langage démagogique de la conception selon laquelle la violence est légitime pour porter au pouvoir la classe capitaliste, mais qu’elle n’est pas légitime pour l’en chasser; position bourgeoise ignoble qui débouche sur la la conclusion - où comme toujours la bourgeoisie, selon la dialectique implacable qui la guide dans l’histoire, renie de manière désinvolte les principes qu’elle a utilisé - que la violence défensive de l’Etat actuel contre tout acte attentatoire à son pouvoir constitutionnel est légitime et est utilisé dans l’intérêt collectif qui serait la conservation du mécanisme démocratique. Celui qui met un doigt dans l’engrenage de l’erreur social-démocrate donne la victoire à la polémique bourgeoise; il se retrouve aux antipodes de la vérité marxiste selon laquelle l’Etat existe et fonctionne pour les intérêts non de la collectivité sociale mais d’une seule classe. Il ne voit pas plus comment peut se terminer le cycle des révolutions où le pouvoir passe d’une classe à une autre, ni la fonction historique d’un Etat oeuvrant à l’abolition des classes, qui ne peut être que l’Etat prolétarien fossoyeur de la propriété privée; tandis que l’Etat bourgeois entame et décrit son cycle historique dans le cadre d’une société toujours plus divisée en classes. Un tel individu n’est en somme pas seulement un imbécile par rapport à la puissance de la pensée marxiste; mais c’est aussi, par rapport aux affirmations viriles et catégoriques de celle-ci contre tout philistinisme pacifiste, un malheureux châtré du troupeau du Christ, de Tolstoï et de Mazzini; mais il jouera cependant demain les eunuques au service de la violence des sultans du capital, qui ne nourrissent aucun préjugé humanitaire ou de quaker.

 

*  *  *

 

Ayant ainsi rejeté dans le bourbier social-démocrate ceux qui prétendent surnager à l’aide du radeau usé de la vieille tactique intransigeante - qui a eu sa valeur historique comme prémisse logique à l’attitude des communistes actuels -, occupons nous des innombrables inventeurs de programmes qui prétendent à l’étiquette de communistes du seul fait d’être prêts à aller un peu plus avant, avec leurs interprétations particulières des conceptions communistes centrales que sont l’utilisation de la violence et la dictature prolétarienne.

Ces gens là pullulent en Italie; et parmi eux en particulier ceux qui ne sont en rupture, par des déclarations maximalistes enflammées, qu’avec le plus crasse réformisme, mais qui ont besoin pour leurs buts de se présenter aux masses comme adhérents à la doctrine communiste et à l’action de la Troisième Internationale. On peut non seulement prouver que leur pensée se réduit à celle des sociaux-démocrates purs -  si on me passe l’expression, représailles non intentionnelle pour celle plutôt idiote de communistes purs, fabriquée non pas pour une critique argumentée mais dans un but de basse polémique -, mais que leur action est encore plus dangereuse et défaitiste auprès des masses que celle des premiers. Que disent-ils? Le plus souvent ils ne disent rien, mais ils ont l’habileté en même temps de perdre l’occasion de se taire, de manière de ne dévoiler leurs pensées qu’à travers des choses si mesquines et vulgaires que la seule riposte adaptée est le mépris. Mais parfois ils expriment leur point de vue, même s’ils seraient bien embarrassés de dire ou se situe ce point... parmi les quatre points cardinaux. Parfois ils écrivent, et s’ils n’écrivent pas au moins démontrent-ils toute la fausseté de leur attitude.

Examinons seulement leur position sur le problème de la violence. Ils disent quelque chose du style: nous admettons la violence comme un moment nécessaire de l’action révolutionnaire, mais nous nions l’opportunité de la préconiser actuellement (les crocodiles rougissent sous leur peau cornée!) parce que la situation n’est pas mûre, parce que la bourgeoisie est forte, et que si elle se sent menacée elle attaquera la première.

Mais c’est précisément ce qu’ils ont fait. Ils ont prôné la nécessité de la violence jusqu’à hier, mais ils n’ont rien fait pour organiser la préparation des masses aux conséquences de leurs déclarations, en s’appuyant sur le fait que cette propagande avait eu comme résultat les 150 sièges parlementaires et les 2500 communes socialistes. Devant l’attaque bourgeoise qu’ils n’ont pas su repousser, ils préconisent le désarmement idéologique et matériel du prolétariat. Ils l’exposent dans des déclarations ignobles et sous la forme de tracts défaitistes dont la paternité serait sous un régime militaire - qu’il soit celui de la bourgeoisie ou celui du socialisme non évangélique - une faute plus que suffisante pour le peloton d’exécution. Dire: nous recourrons à la violence au moment suprême, quand les conditions extrêmes de la crise rendront logique et inévitable son usage, revient à une vision défaitiste de la révolution. En effet la bourgeoisie compte sur son appareil défensif démocratique pour arriver au résultat suivant: faire croire aux masses - avec l’aide de l’équivoque social-démocrate - qu’elles arriveront au pouvoir par la facile voie légale; puis quand la violence éclate, profiter de sa préparation et de son organisation armée étatique pour écraser les efforts d’un prolétariat s’insurgeant sans aucune préparation.

Donc, celui qui n’est pas un social-démocrate pur, celui qui arrive à comprendre que, quelle que soit la façon dont les choses se déroulent, le heurt final armé aura lieu tôt ou tard, celui-là doit aussi comprendre que les conditions seront d’autant plus favorables à la révolution que le prolétariat se sera préparé à cette situation. La méthode communiste veut que même lorsque la situation n’est pas celle de l’assaut imminent, il faut dire au prolétariat que l’assaut sera nécessaire et que il ne pourra se mener que les armes à la main. En même temps qu’ils affirment cette nécessité, qu’ils créent dans les masses la conscience de devoir et de savoir l’affronter, les communistes doivent commencer à organiser les forces prolétariennes contre celles de l’Etat bourgeois. C’est seulement à cette condition qu’il est possible aussi, lorsque la situation le demande, desuspendre des actions risquées ou défavorables.

Mais celui qui, face au déclenchement d’une période de conflits décisifs, devant l’éloquence du fait que la bourgeoisie jette le masque de la démocratie et de la légalité, veut répondre en couvrant le visage du prolétariat de ce même masque et en le sacrant gardien de la légitimité du régime civil parlementaire, dit aux masses de rejeter la perspective d’une action armée et d’attendre l’arrivée mystérieuse de dieu sait quelles forces désincarnées et impondérables qui lui ouvriront l’avenir, celui-là ne peut échapper au dilemme: ou bien il est un militant du mensonge social-démocrate qui exclut la violence prolétarienne des voies de l’histoire, et alors le limbe des imbéciles lui suffira. Ou bien il est le partisan d’une nécessité même nébuleuse d’un épisode de lutte violente (et pire encore s’il a fait partie de ces déclamateurs de violence verbale à outrances), et alors il faut le jeter et le noyer dans la fosse des traîtres.

 

 

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Parti communiste international

www.pcint.org

 

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