Propriété et capital (3)

Encadrement dans la doctrine marxiste

des phénomènes du monde social contemporain

VI. LA PROPRIÉTÉ urbainE

Le capitalisme et la propriété urbaine des immeubles et des terrains

(«programme communiste»; N° 98; Mars 2003)

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La systématisation des rapports économiques et juridiques ayant trait aux constructions et aux terrains urbains à l’époque du capitalisme moderne pourrait paraître avoir un poids général moins grand que celui représenté par le secteur agricole et par la production inustrielle.

Mais outre que l’importance économique de la gestion des habitations n’est pas négligeable puisque cela constitue une fraction plutôt importante du budget moyen des familles (en Italie en règle générale il s’agit même de plus du quart du budget pour certaines classes sociales), c’est une question très intéressante; son examen permet en effet de mettre clairement en évidence le jeu des éléments et des relations économiques indispensables à la compréhension du développement actuel du capitalisme, en particulier en ce qui concerne la distinction entre les rapports de propriété titulaire et de patrimoine, qui représentent d’une certaine façon la statique de l’économie privée, et les rapports de gestion et d’exercice, d’entrées et de sorties continuelles, qui en constituent la dynamique.

Commençons par tracer un bref aperçu de l’origine historique de la possession urbaine privée - un thème qui mériterait une longue étude et un long exposé.

Le processus est bien différent de celui qui a conduit à l’apparition et à la délimitation des propriétés agricoles. Après qu’elles se soient fixées sur des terres fertiles, les tribus nomades passèrent, de différentes manières, de la jouissance et de la culture en commun, à la délimitation de champs individuels ou familiaux. D’innombrables convulsions et bouleversements menèrent au système romain classique bien codifié, puis au système féodal, jusqu’à ce que, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, après la victoire de la bourgeoisie, la terre agricole devienne commercialisable et que la réglementation juridique soit à nouveau copiée sur le système romain.

L’histoire de l’habitation ne se confond pas avec celle de la terre agricole. Le nomade ou semi-nomade antique, le chasseur, pêcheur, cueilleur de fruits non cultivés puis cultivateur primitif, transportait avec lui son habitation - char, tente de peau-, improvisait facilement une cabane rudimentaire ou s’installait dans un abri naturel.

Lors de la formation de domaines agricoles privés stables, la population qui se consacre à la culture construit, le plus souvent elle-même, les premières habitations fixes dans les champs. Jusqu’à nos jours, ces habitations doivent être considérées, du point de vue foncier comme du point de vue de la gestion productive, sur le même plan que les installations agricoles dont le travail humain a meublé au cours des siècles la terre végétale nue. Mais c’est la naissance de l’habitation urbaine qui nous intéresse.

Il est évident que les premières agglomérations de bâtiments fixes ne sont pas nées des exigences directes de la technique productive non agricole; le fonctionnement des premiers ateliers était parfaitement compatible avec l’éparpillement de la population et l’utilisation du temps libre laissé par l’activité journalière et saisonnière des agriculteurs. Bien plus que les premières formes de l’artisanat et de la production de produits fabriqués, ce sont les exigences de l’organisation sociale, politique et militaire qui ont été à l’origine des premières villes. Nous pouvons donc retenir que l’espace urbain est né dans un régime collectif. Ce n’est que plus tard qu’il s’est fractionné en domaines particuliers correspondant aux besoins de l’administration, de la défense, de la domination de masses éparses ou de bandes d’envahisseurs. Toute la zone urbaine appartenait donc au roi, au tyran, au chef militaire, aux premières formes d’État et parfois aux associations religieuses. C’est ce qu’exprime la tradition lorsqu’elle rapporte que Romulus et Rémus tracèrent l’enceinte des murs de Rome en transformant le premier outil agricole, la charrue, en outil de construction.

Les exigences de la défense fortifiée s’imposèrent ensuite. La polis grecque avait en son cœur l’acropole ou citadelle; un des mots latins pour signifier la ville est oppidum qui signifie lieu fortifié, alors que civitas est plus un terme juridique pour désigner l’État qu’une indication topographique.

A l’époque romaine, avec l’agrandissement de la ville à l’intérieur de murailles toujours plus vastes, avec la naissance d’une classe dominante de patriciens propriétaires de vastes domaines agricoles et de nombreux esclaves, apparurent les aèdes et les insulae privées, et même un fractionnement de la propriété urbaine en habitations des classes inférieures. L’État, républicain ou impérial, maintenait cependant un contrôle étroit sur tout l’ensemble urbain, ce qui est démontré par la grande importance de la magistrature des édiles. On peut en trouver le reflet dans l’histoire de Néron qui, pénétré de projets grandioses de rénovation urbaine, n’aurait pas reculé devant le moyen radical de livrer aux flammes les quartiers de Rome.

Au Moyen Age, nous constatons un recul du développement des grands centres urbains, surtout en comparaison avec les splendeurs des capitales asiatiques et classiques. Les manoirs féodaux apparaissent tandis qu’autour d’eux ou à leurs pieds se rassemblent les bourgs, lieux d’habitation d’abord des serfs et des domestiques, puis peu à peu des maîtres artisans et des marchands indépendants.

C’est avec la bourgeoisie moderne que naissent et s’agrandissent les villes. Abandonnant les impératifs de défense militaire des pouvoirs féodaux et royaux, ces dernières débordent puis abattent les antiques fortifications qui limitaient leur expansion et enflent jusqu’à former ces énormes agglomérations contemporaines où s’amassent dans des usines et des établissements gigantesques les millions de travailleurs que la technique productive moderne a concentrés.

L’existence d’un lien étroit entre le développement de la production industrielle et de l’économie bourgeoise, et l’imposant phénomène social de l’urbanisme est une thèse marxiste fondamentale.

«La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d’énormes cités, elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celle des campagnes, et, par là, elle a arraché une grande partie de la population à l’abrutissement de la vie des champs». (Le Manifeste).

Peut-être est-ce l’Italie, suivie par les Pays-Bas, qui, à la fin du Moyen-Age, a donné le premier exemple des grandes villes de type moderne. Les grands palais et les imposants ensembles immobiliers urbains portaient sans doute les noms et les armoiries des grandes familles nobles; mais ils appartenaient aussi à des sociétés créées par des roturiers qui avaient accumulé les premiers grands capitaux dans la banque, dans le commerce, dans la navigation, et qui en investissaient déjà une grande partie dans la construction urbaine, tandis que les maîtres artisans les plus importants devenaient propriétaires du local où se trouvait leur atelier, comme le boutiquier de Rome l’était de son échoppe.

Quand le capitalisme moderne s’étendit à d’autres pays, des villes industrielles jeunes, nées bourgeoises, y apparurent, comme Manchester ou Essen, ou de grosses agglomérations à la périphérie des capitales historiques. Après la chute des anciens régimes, le nombre d’habitants de ces villes augmenta de façon démesurée pour former le grand Paris, le grand Londres ou le grand Berlin d’aujourd’hui; outre-mer se fondaient des villes bourgeoises sans aucun quartier historique, reconnaissables à leur planimétrie caractérisée par un monotone réseau orthogonal, marquées par le standard de cette époque mercantile et les lois inhumaines de la course au profit.

Le système juridique des codes romains et justiniens s’étant avéré si utile pour la conquête de la terre agricole par le capital, les nouveaux pouvoirs bourgeois l’utilisèrent pour réglementer la possession, l’acquisition et le transfert des biens urbains, tant pour ce qui est du bâti existant que du terrain disponible pour la construction. Un dispositif juridique spécial, l’institution de la copropriété, servit à fractionner le droit des personnes privées sur des édifices en propriété individuelle d’étages ou d’appartements. La spéculation capitaliste des nouveaux patrons de la société a connu des développements de vaste envergure dans l’investissement dans des domaines agricoles, dans leurs transformations selon les nouvelles exigences de la consommation, en utilisant les nouveaux moyens et les nouvelles forces productives; mais ce n’est rien à côté des opérations sensationnelles que la spéculation réussit à accomplir partout grâce au «libre» commerce du terrain à bâtir dont le prix, des deux côtés de l’Atlantique, ne cesse de croître à une vitesse accélérée selon des courbes hyperboliques.

Bien que ce soit les mêmes règles juridiques qui régissent l’organisation du marché des terrains agricoles et celui des terrains urbains, établissant l’équivalence entre la valeur immobilière foncière et la somme d’argent dans laquelle elle se convertit, la réalité économique est très différente dans les deux cas.

 La terre agricole possède une valeur qui revient à son propriétaire juridique. Cette valeur restant inchangée, elle produit en permanence la recette annuelle d’une rente foncière. Défendant le régime féodal, les physiocrates faisaient l’apologie des forces productives de la terre par opposition à celles de la manufacture et de l’industrie. Les écoles économiques conservatrices en ont retenu le concept d’une productivité de base de la terre même quand elle n’est pas travaillée: elle fournirait un produit y compris en l’absence de toute intervention humaine. L’amélioration des cultures qui est rendue possible par l’apport d’investissements de travail sous forme d’installations et de constructions diverses ainsi que d’interventions régulières telles que le défrichage, la fumure des sols, etc., ajoute à cette rente de base, selon l’économie officielle, une production supplémentaire qui constitue le profit de l’entreprise agricole. Nous avons vu que la position du marxisme est différente sur cette question; pour lui, la terre n’a en elle-même aucune force productive, elle est un instrument de travail.

 La rente foncière ne peut pas dépasser certaines limites fixées par la superficie des terres et le temps nécessaire à la production. Les propriétés foncières les plus grandes et les meilleures réussissent dans le système économique actuel à augmenter considérablement la production des denrées; mais elles ont besoin d’un investissement de capitaux supérieur à leur valeur foncière de base et elles obligent à de très longues attentes, voire même à la suspension du paiement de la rente, qu’il faut porter au passif avec les intérêts du capital investi. Par conséquent sous le régime capitaliste la valeur des terres agricoles ne peut augmenter que dans des limites relativement étroites. L’amélioration générale de la production agricole, qui serait extrêmement utile au bien-être général, est ainsi rarement intéressante pour la classe dominante bourgeoise; elle ne pourra se réaliser en grand qu’après la fin du capitalisme.

Les phénomènes qui jouent sur le marché des terrains urbains et de tout ce qui y est construit sont bien différents. Dans la production agricole il existe un certain équilibre entre l’importance de la terre en tant que patrimoine du propriétaire, et en tant que facteur productif; les régimes fondés sur l’agriculture n’étaient pas les plus prédateurs. Dans l’économie industrielle, nous avons à l’inverse un accroissement énorme de la valeur des produits et de la masse du profit alors que la valeur patrimoniale reste limitée. Nous mettrons en lumière dans notre étude la tendance très moderne à un capitalisme sans patrimoine mais aux profits très élevés.

Mais si revenons à notre terrain à bâtir, nous y trouvons le cas d’un très grand patrimoine concentré sur une petite surface complètement inerte où ne pousse pas même une seule salade et où ne s’investit aucun travail humain. Tant que le terrain n’est pas vendu pour être bâti, il n’y a aucun bilan de gestion ou d’exercice, il n’est aucunement besoin de capital liquide. Il n’était pas non plus soumis à l’impôt, tant que n’avait pas été instauré l’impôt sur le patrimoine. Ce dernier voulait constituer une moderne confiscation partielle des patrimoines privés, mais en réalité il est payé lui aussi à travers les différents revenus des classes possédantes; dans le cas de notre terrain à bâtir il ne représente qu’une soustraction très minime à sa continuelle augmentation de valeur patrimoniale et vénale, en général nettement plus grande que celle d’un patrimoine monétaire porteur d’intérêts.

Mais cette forme particulière d’enrichissement des classes bourgeoises n’est qu’un aspect de l’accumulation primitive du capital, qui naît de l’appauvrissement des petits producteurs, des petits paysans ou des artisans réduits à l’état de prolétaires sans réserves, et de leur chute dans les tourbillons de l’urbanisme industriel. Il s’agit là d’un fait social; à travers la concentration sur des espaces urbains limités de masses de forces productives, qui vont de l’homme aux machines et à toutes les installations modernes, la condition de base de l’énorme profit que l’industrie offre au patronat, est la disponibilité dans ces endroits particuliers de zones pour des usines, des bureaux, des habitations pour les masses des salariés. Il est donc possible que les mêmes superficies vaillent des sommes toujours plus grandes dans le marché foncier de ces zones; et les superficies commercialisables n’y sont plus mesurées à l’hectare ou à l’acre, mais au mètre ou au pied carré.

Toutes les évolutions de l’ensemble urbain poussent à l’augmentation du coût des terrains à bâtir. En dépit de l’accélération de la vitesse des moyens de transport qui permet une augmentation de la quantité de personnes et du volume de marchandises en déplacement, l’intensité du trafic ne cesse de croître, imposant l’élargissement des voies de circulation, ce qui réduit à chaque fois les superficies bâties. Parallèlement le progrès technique permet d’augmenter la hauteur des immeubles; en conséquence, un plus grand nombre d’étages, d’appartements et d’habitants se concentre sur la même surface. Cette augmentation de l’exploitation et de l’utilité du terrain entraîne l’augmentation du prix que le propriétaire en demande. Selon les critères de l’économie en vigueur, la valeur d’un terrain à bâtir est estimée en calculant la rente que rapporterait le plus grand édifice qui pourrait y être construit, déduction faite des frais nécessaires à sa construction, ces derniers se révélant en général inférieurs à la valeur précédemment évaluée du bâtiment. La différence est une prime qui revient au propriétaire du terrain; c’est une valeur foncière, de nature différente de celle des biens immeubles agricoles, qui pourtant engendre une rente même quand le propriétaire du terrain est le propriétaire de l’édifice.

Il faut noter que dans la location des bâtiments comme lieux d’habitation, il n’existe pas de profit d’entreprise semblable à celui du fermier agricole qui loue au propriétaire la terre, qui la travaille, la cultive et est propriétaire du produit. Du point de vue économique, on ne peut pas comparer au fermier entrepreneur agricole, l’entreprise qui a construit le bâtiment; une fois qu’elle a obtenu son dû, celle-ci disparaît de la scène. Quand nous avons parlé du calcul des dépenses de la construction, nous y avons inclut le profit de l’entreprise de construction et même les intérêts commerciaux revenant au capital liquide immobilisé pendant la durée de la construction.

Les différentes figures présentes dans ces procès économiques peuvent coïncider dans une seule et même personne; il est cependant nécessaire de bien les différencier si l’on veut pouvoir déchiffrer de manière déterministe les mécanismes économiques. C’est ainsi que dans l’agriculture il n’est pas toujours possible de distinguer le propriétaire foncier, le fermier entrepreneur, le travailleur manuel salarié. Le grand propriétaire cultivateur réunit directement en lui les deux premières figures, le petit colon les deux dernières, le petit propriétaire paysan les trois ensemble. De la même façon en ce qui concerne la propriété de bâtiments, on peut trouver le cas du propriétaire d’un terrain qui y construit son petit logement de ses propres mains ou par le travail au noir, et en y dépensant son propre argent: il est alors non seulement le propriétaire, mais aussi le banquier, l’entreprise de construction et son propre locataire.

Nous avons déjà vu que Marx rappelle dans un texte qu’en Angleterre même l’industriel n’est pas propriétaire de son usine. Un autre texte sur lequel nous allons revenir assez longuement indique que le propriétaire d’un logement peut ne pas être propriétaire du terrain sur lequel celui-ci est construit. Des règles juridiques particulières permettent en effet la concession de la construction; le propriétaire reçoit un loyer du constructeur et du propriétaire du bâtiment. Des formes similaires, très intéressantes soit dit en passant, sont en train de se répandre pour les constructions et les installations réalisées à leurs frais par des spéculateurs privés sur des terrains qui ne leur appartiennent pas mais qui sont des terres domaniales, c’est-à-dire propriété d’organismes publics (communes, provinces, État); cette institution de la concession, qui se généralise considérablement, constitue une forme de capitalisme sans propriété.

L’évolution économique à l’époque du capitalisme moderne tend à distinguer, à séparer, à détacher les figures économiques du cycle de production-consommation, et non à les superposer ou à les confondre. C’est là une thèse objective fondamentale; mais il faut y ajouter que cette évolution du monde capitaliste est celle que nous marxistes, ses implacables adversaires révolutionnaires, nous acceptons et où nous voyons la base du passage à l’économie collective.

Revenons à notre bâtiment terminé, appartenant à un propriétaire privé; après avoir vu comment naît et se transmet son titre de propriété dans la société actuelle, examinons son usage et sa gestion. Mais il faut d’abord poser un concept important d’économie urbaine. Le patrimoine foncier rural est en un certain sens perpétuel puisque la terre reproduit physiquement au cours du cycle productif sa productivité de base, à la différence par exemple d’un gisement minier dont on peut calculer la date d’épuisement. La construction urbaine au contraire n’est pas éternelle. Ce n’est que dans la littérature qu’on chante «exegi monumentum aere perennius», j’ai élevé un monument plus éternel que le bronze; même les édifices colossaux des temps antiques ont une durée de vie limitée, quoique longue; ils dépérissent et ils meurent. Le bâtiment normal d’habitation a pour diverses raisons un cycle de vie limitée. D’un côté ses structures s’usent avec le temps jusqu’à menacer ruine; de l’autre le type d’habitation se transforme avec les progrès techniques, il doit satisfaire de nouvelles exigences et parfois il peut le faire de façon moins coûteuse qu’avec les anciens procédés de construction. Comme le rappelle aussi le texte auquel nous nous référons, il arrive un moment où le bâtiment vaut moins que le terrain sur lequel il se trouve, quand ses logements ne peuvent plus justifier que des bas loyers alors que ses frais d’entretien se sont fortement accrus. La durée de vie d’un bâtiment urbain de logements peut être très variable; pour donner un exemple qui oppose pauvres et richards, vaincus et vainqueurs, elle sera de 300 ans à Naples et de 30 ans à New York.

Le propriétaire de l’immeuble tire son revenu des loyers que lui versent périodiquement les locataires. Ce revenu, habituellement appelé rente brute, n’est en fait ni éternel ni même constant; et il n’est pas entièrement à la disposition du propriétaire. Il faut en déduire toute une série de dépenses: frais pour la garde de l’immeuble (concierge), pour l’éclairage et le nettoyage des parties communes aux locataires (passages, escaliers, etc.), pour l’entretien des parties usées, pour l’administration et ainsi de suite. La plupart du temps, il faut ajouter une partie des loyers qui en moyenne ne sont pas payés. Et enfin pour pallier à la dégradation de l’immeuble, il faut mettre de côté ce que l’on appelle la quote-part d’amortissement, c’est-à-dire une annuité périodique dont l’accumulation permet de reconstruire l’immeuble lorsqu’il est arrivé à son terme. Une fois toutes ces dépenses additionnées et leur montant déduit de la recette brute, une fois déduites également les taxes à payer aux administrations publiques, il reste le revenu net dont le propriétaire peut jouir à sa guise. Les estimations habituelles calculent le chiffre de la valeur patrimoniale de l’immeuble d’après celle du capital qui reproduirait la rente nette aux taux d’intérêts en vigueur. Une analyse plus approfondie montre que cette manière de procéder comporte beaucoup d’inexactitudes parce qu’elle suppose implicitement la constance de nombreux facteurs qui en réalité se modifient à la longue.

Nous avons rappelé tout cela pour montrer les différences économiques et sociales qui existent entre l’entreprise que gère le propriétaire d’immeubles, et les entreprises productives de l’agriculture et de l’industrie. Les rentrées d’argent de ces dernières viennent des produits qu’elles créent et qu’elles vont vendre continuellement sur le marché. Parmi les dépenses diverses que ces rentrées permettent de payer, il y en a deux qui sont très importantes, alors qu’elles sont à peu près inconnues du propriétaire immobilier: l’achat de matières premières et la paiement du travail salarié. Dans le rapport locatif trois éléments sont donc absents: production de marchandises, salaire, achat de matières premières.

Il existe en réalité une usure et une consommation de l’immeuble, mais cela ne représente qu’une petite fraction du budget annuel, une part minime du patrimoine; et ce sont les sommes mises de côté annuellement auxquelles nous avons fait allusion plus haut qui permettent d’y pourvoir. A l’inverse dans l’industrie ces trois parties (produits, salaires, matières premières) non seulement représentent la partie prépondérante du bilan annuel, mais dans certains cas elles peuvent atteindre des chiffres plus élevés que le patrimoine des installations, même en ayant fait en sorte de conserver celui-ci intact tout au long du cycle productif. Dans le droit et dans l’économie communes il y a cependant normalement échange contractuel de prestations et de valeurs pour la location des logements, comme cela se passe quand on donne de l’argent contre un morceau de pain.

Qu’obtient le locataire en échange de son argent? Certainement pas quelque chose qu’il peut emporter ou consommer en la détruisant. Dans le langage juridique bourgeois, il obtient l’usage de son logement et il le paie aux prix en vigueur par unité de temps. Le propriétaire vend donc au locataire simplement l’utilisation du logement, le droit d’y entrer et d’y séjourner. Nous allons voir que cet échange est considéré par l’économie marxiste comme un échange commercial entre équivalents - au cours duquel il peut sans doute arriver qu’une des parties roule l’autre, puisque tout le commerce bourgeois est un sac d’embrouilles où c’est toujours le riche qui l’emporte sur le pauvre. Mais il n’y a pas d’application de la force de travail pour transformer des matières premières et ce rapport de propriétaire à locataire ne fait donc pas partie du domaine où s’engendrent plus-value et profit capitaliste au moyen de l’acquisition de cette marchandise particulière qu’est la force de travail humaine

Dans le mécanisme actuel des rapports entre les contractants, ces particularités du rapport de location produisent des disparités pratiques et juridiques significatives. Elles se réduisent au fait matériel que le producteur agricole ou industriel a en main sa marchandise: pour la lui faire lâcher il faut en règle générale sortir son argent. Même si nous voulions appeler produit la marchandise particulière qu’est la possession du logement, il reste qu’elle se trouve entre les mains du locataire et non du propriétaire; si le locataire ne paie pas, il faut avoir recours à un mécanisme juridico-policier complexe pour le jeter dehors.

C’est là-dessus que se basent les bêtises et la démagogie de la législation bourgeoise sur le logement en temps d’urgence, ainsi que son exploitation par les partis populaires et pseudo-socialistes. Nous reviendrons sur ce point; mais pour illustrer notre thèse selon laquelle le rapport de location n’est pas un rapport capitaliste, il nous faut tout d’abord prouver que nous n’avons proféré ni une hérésie ni une idiotie, et ensuite que nous n’avons rien découvert de nouveau.

 

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Dans son texte capital, «L’État et la Révolution», Lénine cite longuement les œuvres les plus connues de Friedrich Engels, comme «L’Origine de la propriété, de la famille et de l’Etat» et «L’anti-Dürhing». Mais au chapitre IV, il se réfère à un autre travail du même auteur, malheureusement moins connu et moins utilisé dans la propagande socialiste. Il s’agit de «La question du logement». Lénine s’appuie sur ce qu’y dit Engels du programme des communistes pour expliquer avec sa précision habituelle les tâches de l’État aux mains du prolétariat, les analogies et les différences entre cet État futur et l’actuel État de la bourgeoisie tant pour ce qui est de leur forme que du contenu de leur action. Il entend établir deux points fondamentaux:

Premièrement. L’État qui naîtra de la révolution sera une machine nouvelle, différente, constituée après le renversement et la destruction de la machine d’État actuelle. Deuxièmement. les fonctions de cette nouvelle machine et son intervention de classe dans la structure économique se réaliseront d’une telle façon qu’il ne pourra y avoir aucun risque que ce nouveau pouvoir débouche sur la constitution d’une nouvelle forme de domination et d’exploitation des masses par une couche de privilégiés (comme l’insinuent les libéraux et les libertaires).

La question de savoir si l’histoire a confirmé l’édifice théorique marxiste et léniniste y compris sur ce point ne peut pas être correctement abordée sans la clarté la plus complète dans l’analyse objective des rapports économiques et sociaux actuels. La question du logement est admirablement utilisée par Engels et Lénine pour faire mesurer l’abîme qui sépare les solutions de la critique révolutionnaire marxiste des recettes utopiques infantiles ou des propositions réformistes, légalistes et interclassistes.

L’étude d’Engels comprend trois articles parus dans le «Volksstaat» de Leipzig en 1872, qu’il a réunis et préfacés en1887. C’est une réponse aux écrits d’un certain Mülberger parus dans la même revue, qui déviaient complètement du marxisme dans un sens proudhonien. Engels saisit l’occasion pour critiquer la position petite-bourgeoise de Proudhon, position qui sous divers noms réapparaît continuellement et aujourd’hui tout comme hier s’oppose aux orientations marxistes. L’exposé est conduit de main de maître; comme toujours chez Engels, la maîtrise théorique est aussi impressionnante que la clarté cristalline du développement et de la forme. Il est possible que la littérature marxiste ne possède pas pour la question de la production agricole, un texte aussi complet et systématique que celui-ci qui définit et épuise le problème de la propriété urbaine. Et pourtant l’homme incomparable qu’était Engels tient à préciser, presqu’en s’excusant, que, dans leur répartition du travail, pour que Marx puisse se consacrer entièrement à son grand ouvrage, c’est à lui qu’il revenait de défendre leurs positions dans la presse. Et il ajoute qu’en prenant l’occasion de la question du logement, il a voulu mettre à jour la critique de Proudhon faite en 1847 dans la Misère de la philosophie, en concluant textuellement: Marx aurait fait tout ça beaucoup mieux et de façon plus définitive!

La position contre laquelle Engels pointe immédiatement sa critique est celle qui prétend résoudre la «crise du logement», phénomène moderne qui a frappé et qui frappe périodiquement les pays les plus divers, par une réforme qui permettrait à tout locataire de devenir propriétaire de son logement au moyen de son rachat à tempérament. L’auteur de l’article critiqué aboutissait évidemment à cette grossière erreur programmatique à cause de ses énormes erreurs dans le domaine économique. Engels réfute celles-ci en profitant de l’occasion pour exposer brillamment l’analyse économique marxiste. Une des thèses erronées est la suivante:

«Le salarié est au capitaliste ce que le locataire est au propriétaire».

Peut-être Marx se serait-il enflammé et aurait-il lancé des éclairs devant de telles âneries. Engels dit calmement: ceci est complètement faux. Patiemment et de façon limpide, il explique comment sont les choses en rappelant les critères descriptifs simples que nous avons exposés plus haut. Il en tire la démonstration de la grossière erreur de calcul selon laquelle le locataire paierait par son loyer, deux, trois, ou jusqu’à cinq fois la valeur de son logement. Il en profite pour critiquer à fond non seulement les conceptions économiques du socialisme dit petit-bourgeois, mais aussi ses fondements éthico-juridiques. L’auteur, qui comme des milliers de ses camarades dans le péché se croyait marxiste, avait laissé échapper cette bêtise: «La maison une fois bâtie représente un titre juridique éternel»; pour Proudhon en effet tout se résume à introduire dans l’économie «l’idée éternelle du droit». Engels montre la vacuité de ce langage qui voudrait stigmatiser la cupidité du propriétaire de logements comme autrefois on excommuniait celle de l’usurier, en citant Marx:

«Sait-on quelque chose de plus sur “l’usure” quand on dit qu’elle est en contradiction avec la “justice éternelle” et “l’équité éternelle”, la “réciprocité éternelle” et autres “vérités éternelles”, que n’en savaient les Pères de l’Église quand ils en disaient autant en proclamant sa contradiction avec la “grâce éternelle, la foi éternelle et la volonté éternelle de Dieu”?».

Entre 1847 et 1887 un adversaire était vaincu dès qu’il était convaincu de déisme. Marx et Engels, virtuoses de la polémique, auraient aujourd’hui une tâche plus difficile, parce que les scribouillards marxistes ont dégringolé non pas au niveau de Proudhon, mais à celui des Pères de l’Église eux-mêmes. Ils pratiquent désormais le «catch as catch can»!

Comme l’imprudent auteur ne se contentait pas de proposer sa miraculeuse «réforme de structure» pour le logement, mais qu’il se vantait de posséder la même recette pour toutes les autres questions, Engels étend sa mise au point sur l’analyse marxiste du procès de production à la question des taux d’intérêt du capital, ridiculisant la prétention de «prendre finalement le taureau par les cornes en s’attaquant à la productivité du capital» par une loi transitoire qui fixerait les intérêts de tous les capitaux à un pour cent! Et dire qu’ils sont encore aujourd’hui très nombreux ceux qui présentent la lutte socialiste comme une campagne pour abolir le loyer des habitations, de la terre et l’intérêt monétaire, croyant ainsi introduire sur terre le règne de la morale en empêchant celui qui ne travaille pas de gagner de l’argent! Alors qu’il s’agit à l’inverse de déraciner tout un engrenage de formes sociales protégé et défendu par les monstrueux édifices du pouvoir armé et concentré de l’Etat politique...

Dans sa réponse, Engels affirme que «la “productivité du capital” est une monstruosité que Proudhon reprend telle quelle des économistes bourgeois». En réalité les économistes bourgeois classiques étaient plus sérieux que l’économiste petit-bourgeois réformiste, puisque (après avoir contesté aux physiocrates que la richesse naisse de la productivité de la terre, et aux mercantilistes qu’elle naisse de la productivité de l’échange) ils affirmaient justement que le travail est la source de toute richesse et la mesure de la valeur de toutes les marchandises. Mais pour expliquer comment le capitaliste qui investit son capital dans l’industrie, non seulement le retrouve à la fin de l’opération, mais en plus en tire un profit, ils supposaient, en s’empêtrant dans mille contradictions, l’existence d’une certaine «productivité du capital». Pour les marxistes au contraire, seul le travail est productif, et non pas la terre agricole, ni le fonds immobilier du propriétaire, ni l’argent du banquier. La terre, l’immeuble, l’usine, la machine sont des forces productives dans la mesure où elles sont des instruments et des moyens de production, c’est-à-dire dans la mesure où elles sont utilisés par l’homme pour travailler. Dans l’ordre social actuel, et tant qu’il ne sera pas renversé, la faculté de l’argent et du capital n’est pas une faculté productive, mais la faculté sociale «de s’approprier du travail non rétribué de travailleurs salariés».

Bien que nous ne disposions que d’une traduction médiocre, cessons de paraphraser Engels et laissons lui la parole :

«L’intérêt du capital-argent prêté n’est qu’une partie du profit; celui-ci, qu’il soit tiré du capital industriel ou du capital commercial, n’est qu’une partie de la plus-value enlevée à la classe ouvrière sous forme de travail non payé par la classe capitaliste. (...) En ce qui concerne la répartition de cette plus-value entre les capitalistes pris individuellement, il est clair que pour les industriels et les commerçants, qui ont dans leurs affaires beaucoup de capitaux avancés par d’autres capitalistes, le taux du profit doit s’élever dans les mêmes proportions (...) où baisse le taux de l’intérêt. L’abaissement et finalement l’abolition du taux de l’intérêt ne “s’attaquerait” donc pas “résolument” à la prétendue «productivité du capital», mais réglerait seulement d’une façon différente la répartition entre les différents capitalistes, de la plus-value extorquée à la classe ouvrière, et ce n’est pas au travailleur qu’un avantage serait assuré au détriment du capitalisme industriel, mais à ce dernier au détriment du rentier».

Revoilà la thèse sur laquelle nous insistons inlassablement dans ces pages: les véritables exploiteurs, ce ne sont pas le rentier, le seigneur des terres et des palais, pauvres restes d’une époque révolue, mais le capitaine d’industrie, l’entrepreneur très modernes et progressistes. C’est contre eux que nous crions: voila l’ennemi!

Le proudhonien s’imaginait que la limitation puis la suppression finale de l’intérêt du capital - outre le fait d’être une panacée universelle et magique pour toutes les autres questions économiques et sociales: crédit, endettement de l’État et endettement privé, impôt - implique l’abolition définitive du loyer des habitations. Engels lui démontre que même si ce plan simpliste était réalisable, le rapport économique capitaliste fondamental entre travailleurs salariés et patrons d’entreprises de production resterait inchangé. Il le renvoie à multiples reprises aux fondements de l’économie marxiste et au Capital de Marx:

«La pierre angulaire de (l’exploitation) est constituée par le fait que notre organisation actuelle de la société permet aux capitalistes d’acheter à sa valeur la force de travail de l’ouvrier, mais d’en tirer beaucoup plus que sa valeur, en faisant travailler l’ouvrier plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour retrouver le prix payé pour cette force de travail. La plus-value créée de cette manière est répartie entre tous les membres de la classe des capitalistes et des propriétaires fonciers et entre leurs serviteurs appointés, depuis le pape et l’empereur jusqu’au veilleur de nuit et au dessous».

Or le coût commercial du logement comme celui du pain, des vêtements, etc., entre dans les frais de reproduction de la force de travail, dans la partie de cette force que le salaire rémunère, et constitue le travail nécessaire; c’est au-delà de cette partie que nous entrons dans le domaine de la plus-value, ou travail non payé, qui figure dans le prix du produit aux côtés du travail payé. Comme dans tous les échanges monétaires, l’ouvrier, comme n’importe quel acheteur, peut être escroqué; dans l’échange de son travail contre le salaire, il est inévitablement escroqué. Le rapport caractéristique de l’économie capitaliste est celui dans lequel le travailleur touche sa paye et non celui où il la dépense chez le boulanger, le marchand de vêtements ou le propriétaire du logement, etc.

Après avoir éclairci la question économique, Engels s’attaque aussi énergiquement à l’erreur sociale en accusant les proudhoniens de toute espèce de toujours mettre en avant les revendications qui sont communes aux ouvriers salariés et aux petits et moyens bourgeois, mais que seuls ces derniers, comme classe, ont intérêt à défendre: il démontre que c’est une position réactionnaire. Il extrait de la déclamation opportuniste ces paroles stupides:

«Sous ce rapport nous sommes bien au dessous des sauvages. Le troglodyte a sa caverne, l’Australien a sa cabane d’argile, l’Indien a son propre foyer, le prolétaire moderne n’a pas en fait d’endroit où reposer sa tête, etc.».

Il nous faut reproduire intégralement la réfutation magnifique d’Engels qui touche aussi la revendication tout autant pestilentielle de la parcellarisation agricole:

«Dans cette jérémiade nous avons tout l’aspect réactionnaire du proudhonisme. Pour créer la classe révolutionnaire moderne du prolétariat, il était indispensable que fut tranché le cordon ombilical qui rattachait au sol le travailleur du passé. Le tisserand qui possédait à côté de son métier sa maisonnette, son jardinet et son bout de champ, était, avec toute sa misère et malgré l’oppression politique, un homme tranquille et heureux qui vivait “en toute piété et honnêteté”, tirait son chapeau devant les riches, les curés et les fonctionnaires d’État, et était au fond de lui-même 100% esclave. C’est la grande industrie moderne qui a fait du travailleur rivé au sol un prolétaire sans réserves, libéré de toutes les chaînes traditionnelles, libre comme l’air; c’est précisément cette révolution économique qui a créé les conditions qui seules permettent d’abolir l’exploitation de la classe ouvrière dans sa forme ultime, la production capitaliste. Et voici que notre proudhonien s’en vient, comme s’il s’agissait d’une grande régression, pleurant et gémissant sur l’expulsion des travailleurs de leur foyer, alors qu’elle fut justement la toute première condition de leur émancipation morale».

Engels rappelle que dans son ouvrage «La situation des classes laborieuses en Angleterre», il a été le premier à décrire la férocité de cette expulsion des travailleurs de leur foyer; puis il continue:

«Mais pouvait-il me venir à l’esprit de voir dans cette évolution historique, absolument nécessaire étant données les circonstances, un processus régressif ramenant “au dessous des sauvages”? Non, bien sûr. Le prolétaire anglais de 1872 se trouve à un niveau infiniment supérieur à celui du tisserand rural de 1772 ayant “feu et lieu”. Et le troglodyte avec sa caverne, l’Australien avec sa cabane d’argile, l’Indien avec son propre foyer, feront-ils jamais une insurrection de Juin et une Commune de Paris?».

Grâce à un exemple savoureux - qui semblerait avoir été tiré de la lecture de la moderne loi du plan Fanfani - Engels se moque ensuite des conséquences du plan imbécile (dont on parlait en Amérique déjà en ces temps-là, d’après une lettre d’Eleanor, la petite fille de Marx, sur la vente aux travailleurs à des prix exorbitants de baraques de banlieues ) consistant à faire acheter à tempérament à chaque ouvrier industriel sa maisonnette; il imagine un ouvrier qui après avoir travaillé dans différentes villes possède un cinquantième de maison à Berlin, un trente-sixième à Hanovre, et d’autres fractions encore plus compliquées en Suisse et en Angleterre, tout cela pour ne pas offenser la «justice éternelle».

En conclusion:

«Tous ces arguments, que l’on veut proposer comme des questions de la plus haute importance pour la classe ouvrière, ne présentent en réalité un intérêt de portée essentielle que pour les bourgeois ou, mieux encore, pour les petits-bourgeois, et au contraire de Proudhon nous affirmons que la classe travailleuse n’a aucune vocation à protéger les intérêts de ces classes».

Bien évidemment, c’est à ce moment qu’on demande invariablement à Engels, à Lénine et à tous ceux qui comme nous sont si conservateurs qu’ils n’ont rien trouvé de mieux que ces positions vieilles de soixante-dix ans, ce que nous voulons faire en matière de logement. C’est précisément le passage qu’a choisi de citer Lénine pour démontrer que les positions conséquentes du marxisme radical n’ont rien à voir avec un extrémisme radical, de la même façon qu’il s’exclamait à propos des perspectives de l’économie future: «il n’y a pas un grain d’utopie chez Marx».

La conclusion d’Engels est donc la suivante:

«Comment donc résoudre la question du logement? Dans notre société actuelle, comme toute autre question sociale: en établissant graduellement un équilibre économique entre l’offre et la demande; cette solution, qui n’empêche pas le problème de se reposer sans cesse, n’en est donc pas une.

Quant à la manière dont une révolution sociale résoudrait la question, cela dépend non seulement des circonstances dans lesquelles elle se produirait, mais aussi de questions beaucoup plus étendues, dont l’une des plus essentielles est la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne. Comme nous n’avons pas à bâtir des systèmes utopiques pour l’organisation de la société future, il serait plus qu’oiseux de nous étendre sur ce sujet. Ce qui est certain, c’est qu’il y a dans les grandes villes déjà suffisamment d’immeubles à usage d’habitation pour remédier sans délai par leur emploi rationnel à toute véritable “crise du logement”. Ceci ne peut naturellement se faire que par l’expropriation des propriétaires actuels, par l’occupation de leurs immeubles par des travailleurs sans abri ou immodérément entassés dans leurs logis; et dès que le prolétariat aura conquis le pouvoir politique, cette mesure exigée par le bien public sera aussi facile à réaliser que le sont aujourd’hui les expropriations et réquisitions de logements par l’Etat».

Lénine explique que cet exemple montre une analogie formelle entre certaines fonctions de l’État bourgeois actuel et celles que remplira la dictature du prolétariat.

Mais il est bien connu que la législation des États bourgeois en cas de guerre peut aller jusqu’à la limitation ou au blocage des loyers, à l’interdiction de l’expulsion de locataires, de même que dans certains cas, le système légal actuel prévoit l’expropriation contre indemnité d’établissements privés pour des objectifs d’utilité publique. Marx relève ailleurs que la loi d’expropriation prévoit pour le propriétaire le dédommagement de la valeur vénale, alors qu’elle ne prévoit rien pour le locataire jeté sur le pavé par les grands travaux de rénovation urbaine quand bien même il est soumis à des dépenses de transport et à des loyers plus élevés, sans parler de la très moderne extorsion des dessous de table et des cautions pour louer un nouveau logement, quand il a la chance d’en trouver un. En outre il est aujourd’hui admis qu’en temps de guerre les appartements peuvent être réquisitionnés pour leur usage militaire.

Mais la mesure prévue par Engels pour pallier au fléau social de la surpopulation urbaine a une dimension radicale et absolument originale par rapport à tout ce qui a existé jusqu’ici, et par rapport à tous les plans réformistes de modification juridique des titres de propriété pour créer de nouveaux petits propriétaires. Il s’agit d’une révision de l’utilisation des habitations. Les commissaires aux logements de l’après-guerre si redoutés pouvaient bien installer qui qu’ils voulaient dans les logements disponibles, ils n’ont jamais eu le pouvoir d’imposer des cohabitations dans des appartements trop grands, ils n’ont jamais eu leur mot à dire sur le fait qu’une famille riche pouvait disposer - en propriété ou en location, peu importe - mettons de cinq pièces par personne dans une ville où les pauvres s’entassaient à plus de cinq dans une seule pièce. Voila ce qui sera vraiment une intervention despotique, voilà ce qui assénera un coup terrible à la garantie et à la sécurité privée jusqu’ici existantes (Le Manifeste) et qui fera hurler à la violation du sanctuaire familial par les révolutionnaires!

La répartition de l’utilisation des logements entre tous les habitants de la ville est donc prévue comme mesure révolutionnaire immédiate, la diminution de la population des villes congestionnées étant une perspective ultérieure.

Mais ce qui ne manquera pas d’en étonner beaucoup qui se croient marxistes, c’est le concept économique d’Engels selon lequel le logement ne sera pas immédiatement gratuit pendant toute la phase que Marx appelle le premier stade du communisme économique et sur laquelle Lénine à son tour revient en citant la célèbre lettre à Bracke sur le programme de Gotha. Voici ce qu’écrit Engels:

«D’ailleurs il faut constater que la “prise de possession effective”, par la population laborieuse, de tous les instruments de travail, de toute l’industrie est exactement le contraire du “rachat” proudhonien. D’après cette dernière solution, chaque ouvrier devient propriétaire de son logis, de sa ferme, de ses instruments de travail. D’après la première, la “population laborieuse” reste le possesseur collectif des maisons, usines et instruments de travail et, du moins pendant une période de transition, elle en abandonnera difficilement la jouissance sans dédommagement de ses frais aux individus ou aux sociétés privées. Exactement comme la suppression de la propriété foncière n’est pas celle de la rente foncière, mais son transfert à la société, encore que sous une forme modifiée. L’appropriation effective de tous les instruments de travail par la population laborieuse n’exclut donc en aucune façon le maintien du louage et de la location».

Ce n’est que dans la phase supérieure du communisme, quand les objets de consommation et les divers services ne seront plus rétribués en argent, que disparaîtra également le paiement des loyers, une organisation générale pourvoyant à l’entretien et la rénovation de tous les immeubles d’habitation.

On voit bien la profonde différence entre ces principes clairs et les programmes progressistes des démocraties populaires, qui consistent tous à promettre des fragmentations de la rente foncière. Où en fin de compte, il n’y a à partager que la centième partie de ce que raflent les entreprises, la millième de ce qu’anéantit la folle anarchie de la production.

 

*   *   *

 

Selon Proudhon, il faudrait transférer à la société la partie du revenu brut de l’habitation qui ne correspond pas aux dépenses inévitables pour maintenir habitable le logement, partie que l’on peut considérer comme la rente foncière du terrain, fonction du privilège de la propriété, bien que ce terrain comme nous l’avons dit, est matériellement improductif. Engels répond que cela signifie l’abolition de la propriété privée de la terre, sujet qui «nous mènerait très loin».

Engels voulait évidemment dire qu’avec la révolution prolétarienne et l’étatisation de la rente foncière qui s’en suit, toute propriété de la terre serait sans aucun doute abolie; cependant, pour les terrains urbains, il n’est pas à exclure qu’une telle «réforme» puisse être d’abord réalisée par l’État bourgeois lui-même. Ce serait quelque chose de plus sérieux que le «rachat» de leur logement par les locataires.

Aujourd’hui en effet de nombreux urbanistes qui ne sont pas le moins du monde marxistes proposent la «municipalisation des surfaces urbaines». Le terrain reviendrait à l’État ou à la municipalité dans les grandes villes, bien entendu, contre une bonne indemnisation des propriétaires. Ces urbanistes partent de l’augmentation très rapide des prix des terrains à bâtir dans des zones toujours plus étendues autour des grandes villes, qui provoque l’absurdité déjà relevée par Engels où un immeuble en bon état est démoli afin de permettre la spéculation sur le terrain qu’il occupe. Cela rend les opérations urbaines d’assainissement et de rénovation extrêmement coûteuses et fait que le capital y répugne. Et même un bon bourgeois défenseur du principe de l’héritage peut conclure que cet énorme bénéfice, réalisé parfois en beaucoup moins qu’une génération, n’est pas une accumulation de richesses qui se transmettent de père en fils, mais le résultat purement passif d’une série de phénomènes sociaux. Tous les terrains urbains seraient ainsi mis hors commerce, la commune les répartiraient selon les besoins entre rues, places, édifices publics et immeubles d’habitation; leur construction pourrait être donnée en «concession» pour un certain nombre d’années, après quoi ils reviendraient à l’institution municipale.

Il est clair qu’un plan de ce genre, qui d’ailleurs n’exclut pas le paiement des loyers par les citadins, n’aurait rien de révolutionnaire et ne porterait pas atteinte aux principes sociaux capitalistes.

Mais la société bourgeoise peut-elle résoudre ses problèmes d’urbanisme avec des plans de ce type? L’urbanisme courant se complaît dans les exercices technico-architecturaux et oublie que le fondement de cette discipline est de nature historique et sociale.

Incapable de combattre la concentration toujours plus grande d’habitants sur un espace toujours plus réduit, l’urbanisme des Le Corbusier et compagnie qui passe pour très moderne, élève les bâtiments jusqu’à des hauteurs vertigineuses, avec un nombre invraisemblable d’étages - rêves de villes verticales à atmosphère artificielle - grâce aux potentialités des structures métalliques qui ont transformé la technique et donc l’esthétique des constructions. Mais cette tendance n’est «futuriste» qu’à la condition d’accepter l’idée que cette épouvantable concentration d’individus soumis à une existence toujours plus fébrile, maladive et absurde, est la meilleure solution pour les formes futures de la vie collective.

Dans le second de ses articles Engels étudie justement comment la bourgeoisie entend résoudre la question du logement et il réfute la littérature bourgeoise hypocritement philanthropique à propos des quartiers malsains et surpeuplés des métropoles modernes.

Il est suffisamment clair que la petite-bourgeoisie a un intérêt direct à la question. Mais, nous dit Engels, la grande bourgeoisie aussi y est intéressée. En premier lieu il y a le danger d’épidémies qui peuvent infecter les beaux quartiers à partir des quartiers pauvres. L’idéal bourgeois dans le domaine de l’ urbanisme s’appelle le zonage, qui consiste à bien séparer les habitations ouvrières de celles des riches. Mais dans les villes anciennes il reste encore des traces de l’organisation féodale qui mélangeait les palais et les masures, les nobles, les gens du peuple et les serfs.

Ces Messieurs les capitalistes «ne peuvent impunément se permettre de favoriser dans la classe ouvrière des épidémies». Nous dédions ce trait féroce à tous ceux qui prétendent que le vieil Engels était enclin à atténuer les antagonismes entre les classes.

Un autre point relève de la police politique des villes et de la répression des insurrections armées: jusqu’à la seconde moitié du dix-neuvième siècle, ces dernières en effet avaient beau jeu dans les rues étroites et tortueuses des capitales. Engels attribue à un motif de classe la réalisation de larges avenues rectilignes où la mitraille et l’artillerie peuvent balayer les révoltés. Si l’expérience ultérieure a confirmé que le but de toute tentative insurrectionnelle est la conquête des grandes capitales et villes industrielles, elle a montré aussi que les formations armées illégales peuvent plus facilement et plus longtemps mener une guérilla dans la campagne accidentée. Un bon exemple technique est celui des forces de Giuliano (1) si l’on retient qu’elles ne sont pas la pointe avancée de lointains états-majors de forces régulières.

En troisième lieu, Engels décrit les grandes entreprises spéculatives capitalistes appuyées par les gouvernements sous le double aspect de la construction de logements pour les ouvriers des gigantesques usines, ce qui tend à transformer le libre salarié en une espèce d’ «esclave féodal du capital»; et de la transformation immobilière et routière des centres des grandes villes, en citant à plusieurs reprises l’exemple classique de la méthode de Haussmann qui a créé les grands boulevards parisiens au travers de la grande curée d’orgie spéculative du Second Empire. Des phénomènes du même type se retrouvent dans toutes les nations.

La base économique de ces bouleversements urbains, analysée dans le financement de l’Etat, dans la prétendue entraide ouvrière, en réduisant leurs salaires, dans l’entreprise privée, conduit l’auteur à conclure que le moteur et le résultat de tout cela est la consolidation sociale et politique du capitalisme.

Les thèses marxistes fondamentales sur la question immobilière urbaine sont ainsi finalement résumées par Engels lui-même en cinq points pour réfuter les positions proudhoniennes:

1. «Le transfert de la rente foncière à l’État signifie l’abolition de la propriété foncière individuelle» et non celle du loyer.

2. «Le rachat du logement en location et le transfert de sa propriété au locataire qui l’occupait jusque là ne touche en rien le mode de production capitaliste».

3. «Dans le développement actuel de la grande industrie et des villes (ce projet) est aussi absurde que réactionnaire».

4. «Abaisser par la contrainte le taux d’intérêt ne porte nulle atteinte au mode de production capitaliste; les lois sur l’usure démontrent au contraire que ce projet est aussi ancien qu’impossible à réaliser».

5. «La suppression de l’intérêt du capital n’entraîne nullement celle du loyer pour les maisons».

Par rapport aux orientations du grand capitalisme et des urbanistes à son service au sujet du de l’évolution des organismes urbains et du manque de logements, voici deux autres points tirés du texte qui définissent les thèses marxistes:

6. «Une société ne peut exister sans crise du logement lorsque la grande masses des travailleurs ne dispose exclusivement que de son salaire, c’est-à-dire de la somme des moyens indispensables à sa subsistance et à sa reproduction; (...) lorsque le propriétaire d’une maison, en sa qualité de capitaliste, a non seulement le droit mais le devoir de tirer de sa maison, sans scrupules, les loyers les plus élevés. Dans une telle société, la crise du logement n’est pas un hasard, c’est une institution nécessaire; elle ne peut être éliminée ainsi que ses répercussions sur la santé, etc., que si l’ordre social tout entier dont elle découle est transformé de fond en comble».

7 - Toute solution bourgeoise de la question du logement échoue à cause de l’opposition entre la ville et la campagne. «Bien loin de pouvoir supprimer cette opposition, [la société capitaliste] la rend au contraire chaque jour plus aiguë». Prétendre résoudre la question du logement «en maintenant en vie les métropoles modernes est un contre sens. Mais les métropoles modernes ne seront éliminées que par l’abolition du mode de production capitaliste», avec l’appropriation par la classe laborieuse de tous les moyens de subsistance et de travail.

 

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Il est utile de consacrer une petite note particulière aux chefs-d’œuvre de l’administration publique italienne fasciste et para-fasciste sur le blocage des loyers et la reconstruction des logements, ainsi qu’aux attitudes bassement démagogiques des mouvements qui prétendent représenter la classe ouvrière et ses grandes traditions, alors qu’ils la couvrent de honte.

Nous avons vu et nous voyons tous les jours des spéculations charlatanesques et électorales se rattacher aux occupations, parfois tragiques, des usines et des terres. Nous n’avons pas encore vu mettre en pratique l’invasion et l’occupation des logements.

La raison en est, entre autre, que ce ne serait plus les fantômes des féodaux, plus seulement les superaffairistes ­bourgeois, mais les trop nombreux démagogues arrivistes et dirigeants, des deux côtés du rideau de fer, qui verraient perturbés leurs trains de vie de vendus.

 


 

(1)     Giuliano était un célèbre bandit sicilien qui tenait en échec les forces de police.

 


 

 

Note sur le problème de la construction en Italie

 

Comme tous les régimes, le tout-puissant fascisme italien super­étatique a réagi à l’approche et au déclenchement de la guerre en utilisant tous les moyens à sa disposition pour bloquer la hausse générale des prix et la baisse correspondante de la valeur de l’argent. Peu importe ici que l’augmentation générale des prix et l’inflation monétaire répondaient à l’intérêt de la classe des entrepreneurs, de son État et de son gouvernement, et que seules des raisons de politique sociale conservatrice et démagogique aient inspiré l’attirail législatif autoritaire de freinage de la hausse des prix.

Les lois sur le blocage des prix lancées en 1940 portaient sur tout: produits de la terre et de l’industrie, salaires, traitements et rémunérations, contrats de l’Etat en cours pour des travaux et des fournitures avec les entreprises les plus diverses.

Parmi les plus intéressantes de ces mesures, il y avait celles concernant le blocage des loyers immobiliers, aussi bien ruraux qu’urbains. Le premier des cas est le plus compliqué: le locataire de la terre cultivable ne loue pas seulement un lieu sur lequel il acquiert le droit de pénétrer et de se prélasser comme dans un jardin des délices, mais un véritable instrument de production auquel il applique son travail ou celui de ses ouvriers salariés afin d’en tirer des fruits et des produits réalisables en argent sur le marché. Nous avons parlé ailleurs de la grossière confusion entre la portée sociale et politique de la lutte pour réduire les loyers agricoles, et en apparence le très féroce «revenu patronal agricole», selon que le bénéficiaire de la diminution du loyer est un travailleur parcellaire, un gros colon bourgeois, ou carrément un patron capitaliste d’une industrie agricole exploitant des journaliers ou des travailleurs à qui il sous-loue ses terres.

Le cas de l’immeuble ou plus exactement de la maison d’habitation urbaine permet en raison de sa simplicité de démonter de façon irréfutable certaines thèses économiques fondamentales du marxisme.

Il constitue le seul cas où le blocage a effectivement réussi. Avant de se demander si ce succès correspond aux intérêts de la classe laborieuse comme il semble à première vue et comme le prétend la propagande vulgaire, il faut noter qu’il démontre, par la limitation relative du secteur, en même temps que la justesse des concepts marxistes, l’inconsistance et l’insuffisance des capacités de contrôle et de planification de l’État moderne dans le domaine économique, même quand cet État apparaît politiquement et policièrement extrêmement solide.

Dans les domaines agricole et industriel, ce qui importe, comme nous sommes en train de le démontrer dans ces notes, c’est moins le titre pompeux de propriétaire des lieux et des installations, que le contrôle et la possession des produits. A l’inverse, l’habitation louée ne produit aucun bien mobilier portable ou vendable, elle n’offre que son utilité, son service, son usage comme abri et lieu de séjour.

L’État peut imposer qu’un produit quelconque, pour fixer les idées disons un chapeau, ne soit pas vendu à plus de cent lires - et c’est déjà là une défaite «théorique» de l’économie capitaliste. Mais en raison de sa nature historique et sociale, l’État actuel ne peut pas imposer de vendre à cent lires un, deux, mille chapeaux, si le producteur propriétaire de ces chapeaux ne veut pas les porter sur le marché. L’État, dira-t-on, peut recenser et réquisitionner tous les chapeaux où qu’ils se trouvent. Mais dans la pratique la difficulté est de dénicher les chapeaux, et si l’on veut les emporter, de les payer tous, même à cent lires. C’est la raison pour laquelle se produit le fait économique suivant connu de tous: dès que le prix des chapeaux est bloqué, taxé et fixé d’autorité, ils disparaissent de la circulation et ne sont plus vendus que sous le manteau à un prix plus élevé, ne serait-ce que pour couvrir le risque d’amende ou de prison couru par le vendeur.

L’acheteur subit donc le marché noir s’il veut sortir coiffé d’un chapeau. Aujourd’hui les têtes qui se promènent sans chapeau sont nombreuses, et nombreuses sont celles qui se promènent totalement vides, particulièrement celles des spécialistes en économie politique; mais ce sont les estomacs qui ne peuvent pas faire un tour en restant vides parce qu’alors les jambes ne le portent plus: voilà pourquoi rien ne peut empêcher la hausse des prix, ceux des chapeaux comme ceux de tous les aliments et biens de première nécessité.

Or, la maison est fournie par le propriétaire au locataire non pas pierre par pierre, mais toute entière dès que le contrat est en cours: même le propriétaire ne peut plus y mettre les pieds sans la permission du locataire. Alors que dans tous les autres secteurs du marché celui qui vend est l’arbitre du prix, puisqu’il peut toujours dire impassible: si le prix ne vous convient pas laissez-moi la marchandise, dans le cas des logements, l’arbitre est, une fois qu’il est entré, celui qui achète et qui paye. En règle générale, si le locataire ne paye plus les loyers après le premier ou les premiers versements réglés lors du contrat ou s’il ne paye que partiellement, le propriétaire doit recourir à une longue et coûteuse procédure légale d’expulsion et il ne récupère que rarement ses loyers impayés.

Habituellement, c’est l’acheteur qui doit céder ou courir pleurnicher auprès de l’État pour qu’il oblige à vendre. Dans le cas des habitations, c’est le vendeur du service qui n’a d’autre alternative que d’en appeler à l’État quand il n’est pas payé.

L’État fait donc le bravache: locataires, opposez-vous à toute demande d’augmentation de loyers, payez l’ancien loyer et pas un sou de plus jusqu’à la fin de la guerre, et je me garderai bien d’envoyer mes policiers pour vous chasser de vos logements. Alors que le capitalisme industriel, commercial et financier sortait ses griffes de tigres, le terrible État, tout démocratique, populaire et national qu’il soit, se vantait à bon compte d’avoir rogné les ongles de la timide chatte de la propriété urbaine. Il n’arriva pas à contrôler les loyers le moins du monde et il les bloquait si peu qu’une pauvre famille de chômeurs versait à un propriétaire milliardaire autant que ce qu’un grand établissement industriel payait d’aventure pour occuper la seule petite maison que possédait une famille de petits-bourgeois amaigris par la faim.

Comme nous l’avons rappelé, ce qui a triomphé ce n’est pas la moderne orientation dirigiste et planificatrice des pouvoirs publics en faveur de l’intérêt général, mais l’article traditionnel qui résume toute la sagesse de la jurisprudence bourgeoise: «article cinq, qui a en mains a raison».

Cette mesure qui était sortie sans effort du cerveau de Mussolini, a été héritée, défendue et agitée comme un élément de succès facile, surtout électoral, par les socialistes et les communistes d’aujourd’hui. Cela n’a pas empêché l’État capitaliste et les chefs prolétariens d’hier et d’aujourd’hui d’assister avec la même impuissance et indifférence à la hausse vertigineuse de tous les prix et à la dégradation progressive du niveau de vie du travailleur pendant et après la guerre que la somme économisée sur les loyers était très loin de pouvoir compenser.

Que cette politique de blocage des loyers, ou leur abolition par la transformation du locataire en petit propriétaire, soit radicalement non socialiste, nous l’avons démontré en nous appuyant sur le texte classique de Engels qui ridiculisait - en en tirant de magnifiques leçons marxistes d’économie - l’analogie entre le rapport de locataire à propriétaire et le rapport d’ouvrier à patron d’usine. Le travailleur échange sa force de travail contre de l’argent; le locataire échange son argent contre le logement, pour son usage à tempérament. Il n’est donc pas un producteur exploité mais un consommateur, et même un consommateur privilégié puisqu’il a en mains le bien de consommation, alors qu’en règle générale c’est le vendeur qui l’a entre les mains.

Cependant l’agitateur de quatre sous déclare: pour ce qui est du travailleur, nous (Mussolini et moi), nous lui avons évité que le logement cher s’ajoute au pain cher, au chapeau cher et aux chaussures chères, il est donc moins exploité.

Mais une brève analyse montre que le poids social sur la classe travailleuse, sur laquelle tout pèse et ne peut pas ne pas peser, n’est en rien diminué par la stupide, tordue et fallacieuse législation italienne sur les loyers, signée par les gardes des sceaux Grandi, Togliatti ou Grassi.

Après la réduction de la rente patronale, c’est la contribution à des fins sociales, servant à entretenir la dotation immobilière, résultat du travail des générations qui a été largement amputée. Le dommage qui en est résulté est plus important que les ravages causés en Italie par les bombardements durant la guerre. En Italie, le patrimoine immobilier, surtout d’habitations, est d’un âge moyen très ancien et les frais d’entretien sont donc très élevés; cesser cet entretien accélère la dégradation. Cela devrait être compensé par une quantité de nouvelles constructions; mais sous le capitalisme ces constructions cessent totalement parce que les bas loyers empêchent la rémunération suffisante du capital investi, sans parler des conséquences générales de la crise économique de guerre.

Le stock de logements à disposition de la population italienne a donc non seulement diminué en chiffres absolus, alors qu’il devrait augmenter pour des raisons démographiques, de réduction de la surpopulation et de bonification, mais le rythme de cette diminution a été accéléré par la politique de blocage des loyers.

 Le nombre des logements diminuant alors qu’augmente le nombre des habitants, cela signifie que la surpopulation qui était déjà une des pires d’Europe, s’est accrue surtout aux dépens des classes pauvres entassées dans des immeubles anciens et malsains, qui paient moins cher leur logement, mais qui en consomment encore moins et qui parfois en manquent complètement.

Comme il s’est créé un fort déséquilibre entre les maisons à loyer bloqué et les maisons à loyer libre, il se passe que les rares constructions nouvelles peuvent se louer à n’importe quel prix: aux coûts actuels, le capital refuse toutes les constructions qui ne peuvent pas rapporter plus de 2 mille lires par pièce et par mois au minimum; puisqu’un revenu net de 20 mille lires annuelles ne rémunère qu’à 5% un capital de 400 mille lires, qui ne suffit pas à construire un appartement. En définitive toutes les lois spéciales vont bénéficier aux logements des classes riches, tandis qu’elles ne conviennent pas pour les pauvres. L’apparence selon laquelle le prolétariat dépenserait une partie moindre de son revenu pour la masse des logements qu’il occupait, laisse la place à la réalité où les travailleurs continuant à vivre dans des taudis, payent de mille façons, depuis les prix élevés jusqu’aux impôts, les logements construits pour les bourgeois.

En France, alors que de 1914 à 1948, tous les indices économiques ont été multipliés par deux cents, celui des loyers a été multiplié par sept! La classe ouvrière paie aujourd’hui pour son logement 4% de son salaire, et l’on se propose d’amener ce pourcentage à 12%, ce qui n’empêche pas que le capital immobilier ne rapporte qu’un cinquième du capital normal: en conséquence l’Etat doit payer les quatre cinquièmes des logements ouvriers. Aujourd’hui il se passe que le travailleur paye cher le logement des autres, plutôt que de payer à un prix moyen un logement construit «à ses propres frais»! Cette absurde inégalité économique est une des nombreuses absurdités du régime capitaliste; c’est un facteur supplémentaire dans le poids que l’anarchie économique fait peser sur les travailleurs, et non pas une preuve que, même dans un domaine très réduit, l’Etat moderne veuille, puisse et sache faire œuvre de «justice» et même tout simplement d’atténuation des différences sociales.

La législation italienne actuelle nous offre un autre chef-d’œuvre. Ne pourrait-on pas faire quelque part un festival annuel des lois des États du monde entier, comme on le fait à Venise pour les films? Nous faisons allusion aux lois Fanfani qui arrivent peut-être même à éclipser les décrets et les lois Gullo-Segni sur la réforme agraire.

Ces lois Fanfani déclarent qu’elles n’ont pas pour but la reconstruction immobilière ni la solution générale du problème du logement en Italie, mais qu’elles veulent remédier au problème du chômage.

L’idée n’est pas méprisable puisque l’étendue du problème du logement ridiculise les chiffres des sommes allouées par les différentes lois Tupini, Aldision et autres, et qu’il est certain que chaque construction nouvelle emploie des travailleurs. Les libérateurs qui lâchaient des bombes du haut de leurs forteresses volantes pouvaient dire avec la même logique: nous contribuons à résoudre le problème du chômage ouvrier.

Examinons cependant tout cet attirail par rapport aux besoins de la construction. En Italie, avant même les dommages dus à la guerre, sans rénover les maisons trop vieilles et malsaines, sans pouvoir faire descendre la moyenne d’entassement en deçà de 1,4 personnes par pièce habitée, on calculait qu’en raison de l’augmentation du nombre d’habitants et de la dégradation naturelle des immeubles, il aurait fallu construire chaque année 400 mille pièces nouvelles. Aujourd’hui, avec un apport minimum pour remédier aux dommages de guerre et au retard des constructions, et toujours sans la prétention de faire cesser l’entassement et d’améliorer les logements, et donc pour un maigre bénéfice des classes mal logées, il faudrait arriver au moins à 6000 mille pièces d’habitation par an. Coût: au moins 250 milliards par an.

Il y a un gros problème qui n’est pas encore entré dans la tête des planificateurs centraux, de leurs observatoires et laboratoires de science économique et statistique: il ne faut pas seulement des habitations, mais des constructions en tout genre, parce que celles-ci aussi sont sujettes au vieillissement, aux dommages de guerre et aux retards dans la rénovation. A chaque pièce d’habitation s’ajoutent en moyenne au moins deux autres pour y travailler, pour des pratiques diverses, commercer et se divertir, et ce bien qu’ils aient ouvert les maisons closes.

Avant-guerre, l’économiste public avait déjà conclu que pour les habitations l’État devait intervenir à fond perdu à hauteur de vingt pour cent; aujourd’hui il conclut qu’il doit intervenir au moins à hauteur de 60%. Mais pour les autres pièces d’habitation, qui seraient donc au nombre de 1.200.000 par an, on supposait autrefois qu’ils seraient financés par des investissements privés en dehors des aides publiques: aujourd’hui il n’en est pas ainsi, exceptée pour une minorité de maisons, et donc dans les budgets publics il faudrait de nouvelles sommes importantes.

Restons-en aux logements. Face aux 250 milliards nécessaires pour «ne pas reculer» que prévoient toutes les lois spéciales? Sur le papier, peut-être la dixième partie.

La loi Fanfani prévoit un investissement de 15 milliards annuels de la part de l’État ainsi qu’une contribution sur le volume des salaires, contribution payée aux deux tiers par les patrons et pour un tiers par les travailleurs. Sans vouloir ennuyer le lecteur avec des calculs, le plan pourrait alors parfaitement être rempli s’il l’on avait 15 autres milliards et donc 30 milliards en tout. Cela ne suffit pas pour construire cent mille pièces par an, la septième partie du minimum nécessaire. Le problème dépasse les possibilités du régime actuel. En pratique, il reste ensuite à voir quelle partie des 30 milliards, qui en substance sont payés par la classe laborieuse, fût-ce au sens large, s’en ira finir non pas dans la construction de logements mais en profits somptueux d’entrepreneurs, d’intermédiaires en tout genre et de margoulins de la finance et du bâtiment.

Regardons maintenant les chiffres du point de vue du problème du chômage. Le capitalisme et ses agents des bonzeries syndicales ont déjà dit au chômeur sans-réserve: Tu as faim? Tu veux manger? Eh bien, investis!.

Investis, crient bien en chœur l’E.C.A. (1) et le Cominform à l’État italien et à la classe ouvrière italienne. Quand le pauvre investit, le riche s’empiffre.

Fanfani, homme de génie, qui ne doit pas, croyons-nous, descendre de son homonyme du dictionnaire, et qui ne s’occupe pas du sens littéral, a une autre formule: tu as faim? Construis toi-même ta maison. La formule est si intelligente qu’elle conduit à une autre économie: la maison, nous la ferons sans cuisine.

Décrivons la société Fanfani, la Cité Obscure, où tout le monde est maçon. Un million d’habitants de Fanfania a besoin de 650 mille pièces d’habitation, suivant les indices italiens d’avant-guerre. Supposons qu’une maison dure 50 ans; c’est déjà un rythme moderne, dépassé seulement en Amérique et auquel aspire la France; nous, nous habitons dans des maisons qui sont vieilles de plusieurs siècles. Mais au rythme d’une maison sur cinquante par an nous retrouvons bien le programme italien de 600 mille pièces à l’année contre les 29 millions environ de pièces qui hébergent 45 millions d’Italiens.

Le million de fanfaniens construit donc chaque année 13 mille pièces. Combien de travailleurs faut-il? Si une pièce coûte 340 mille lires et la moitié pour la main-d’œuvre, c’est-à-dire 170 mille lires, nous pouvons compter en moyenne 200 journées de travail et l’emploi au maximum d’un travailleur par an. Donc sur ce million de personnes, il n’en travaille que 13 mille. Les 987 000 autres ne travaillent pas mais restent chez eux. Quant à manger, ils ne mangent pas et d’ailleurs personne ne mange en Fanfania.

Nous en concluons que les chantiers Fanfani, à plein rythme, c’est-à-dire après le premier cycle septennal, emploieront cent mille travailleurs pour construire cent mille pièces par an. Dans sa défense contre les dédommagements américains, Pella a révélé que la seule augmentation démographique jetait sur le marché chaque année 200 mille nouveaux travailleurs. Le plan Fanfani par conséquent ne résout donc ni la question du logement, ni la question du chômage.

Et le plus beau est que, alors qu’on se vante qu’en fin de compte il y aura des logements effectivement occupés par des ouvriers, le calcul conduit à un loyer si élevé qu’avec les salaires actuels aucun ouvrier ne pourra le payer.

Quant à ce qui est de ce sommet de l’ouvrier propriétaire de sa maison, mis à part le labyrinthe des dispositions pour réserver, assigner, répartir, hériter, changer si l’on change de travail et de lieu de résidence, etc., il apparaît que l’ouvrier devenu propriétaire devra payer une somme énorme pendant 25 ans. Elle correspond au coût de construction, majoré des dépenses générales de la gestion de l’Entreprise des logements Fanfani, diminué de l’équivalent de la contribution étatique de 1% par an, sous forme de mensualités, sans compter les taxes, les contributions et les dépenses de copropriétés. Provisoirement on a annoncé une mensualité de 1.100 lires, mais le calcul que nous omettrons par souci de brièveté, conduit à la prévision irréfutable d’au moins 1.500 lires par mois et par pièce, ce qui ferait donc pour une maison ouvrière très modeste, 5 ou 6 mille lires. D’après nos calculs, le travailleur (à l’exception des catégories privilégiées et spécialisées) avec un salaire net de moins de mille lires par jour, même avec le taux français de 12%, ne devrait ni ne pourrait pas dépenser mensuellement plus de trois mille lires pour son logement.

Il s’ensuivra donc que, puisque les maisons disponibles seront toujours en nombre insuffisant et que les ouvriers contribuables seront toujours en grand nombre, l’ouvrier priera le matin: Dieu de De Gasperi, fais moi gagner au loto, mais surtout pas aux tirage au sort des maisons Fanfani.

Si, comme pour le blocage, on tient compte que les dépenses étatiques sont à la charge de la classe active et non des riches, on voit que si ce plan entrait en vigueur, le travailleur obtiendrait peut-être sa maison, mais il l’aurait payée au moins le double de sa valeur de marché, en renoncements, sacrifices et diminutions de son salaire réel.

Voilà quels sont les miracles de l’intervention de l’État dans l’économie, identiques dans les formules mussolinienne, hitlérienne, rooseveltienne du passé comme dans les formules labouriste ou «soviétique» d’aujourd’hui.

La planification économique est une chimère, une fanfanie universelle, non seulement tant que l’État est entre les mains de la classe capitaliste, mais tant qu’il y a dans le monde des États capitalistes puissants. Quel que soit l’endroit où elle est tentée, quel que soit celui qui tente de la réaliser, cette planification économique ne peut pas apporter satisfaction et bien-être à l’humanité; elle ne pourrait que renforcer le privilège, l’exploitation et le pillage, la «peine du travail» auquel sont soumis les populations.

 


 

(1)  L’E. C. A. (Ente Comunale Assistenza) gérait repas, dortoirs et de façon générale l’assistance aux pauvres.

 


 

 

Thèses relatives aux chapitres I – VI

 

1. Les révolutions de classe.

Dans les révolutions sociales une classe prend le pouvoir à celle qui le détenait auparavant lorsque le heurt entre les vieux rapports de propriété et les nouvelles forces productives pousse à la destruction des premiers.

2. La révolution bourgeoise.

Lorsque les découvertes techniques eurent imposées la production à grande échelle et l’industrie mécanique, la révolution bourgeoise abolit les privilèges des propriétaires féodaux sur le travail personnel des serfs ainsi que les liens corporatifs régissant le travail manuel; elle expropria dans une grande mesure les artisans et les petits paysans, les dépouillant de la possession de leurs lieux et de leurs outils de travail et des produits de leur métier, et les transforma, comme les serfs de la glèbe, en prolétaires salariés.

3. La révolution prolétarienne.

La classe des ouvriers salariés lutte contre la bourgeoisie pour abolir en même temps que la propriété privée de la terre et des installations productives, celle des produits de l’agriculture et de l’industrie, en supprimant les formes de la production par entreprise et de la distribution mercantile et monétaire.

4. La propriété de la terre agricole.

A la place de la gestion communale de la terre agricole et de sa répartition en circonscriptions féodales, la révolution bourgeoise a institué le libre commerce de la terre en faisant de celle-ci une propriété bourgeoise pouvant être acquise non pas par naissance mais au moyen d’argent de la même façon que les propriétés industrielles et commerciales.

Note. Le prétendu féodalisme du Mezzogiorno.

Le système bourgeois dans le domaine agraire est complètement en vigueur dans le Mezzogiorno comme dans toute l’Italie. La prétendue exigence d’une lutte contre les privilèges seigneuriaux et féodaux constitue une déviation totale de la lutte prolétarienne de classe contre le régime et l’État bourgeois de Rome.

5. Le droit immobilier bourgeois.

Après l’abolition des liens féodaux, le mécanisme juridique que la classe capitaliste a appliqué à l’acquisition et à la possession de la terre a été emprunté au droit romain. Il régit avec les mêmes normes formelles la petite propriété paysanne et la grande possession foncière bourgeoise.

Note. La réforme agraire en  Italie.

Les problèmes de l’agriculture italienne ne peuvent pas être résolus par des réformes juridiques de la répartition des titres de propriété, mais seulement par la lutte révolutionnaire pour abattre le pouvoir national de la bourgeoisie, pour éliminer la domination du capital sur l’agriculture et la parcellarisation de la terre, forme extrêmement misérable de l’exploitation de ceux qui y travaillent.

6. La propriété urbaine.

La propriété des terrains et des constructions urbaines obéit sous le régime capitaliste à un mécanisme de marché et de propriété privée.

La concentration des non possédants sur des espaces restreints est une condition de l’accumulation capitaliste; le manque d’habitations, l’entassement excessif dans ces habitations et leur prix élevé sont des caractéristiques de l’époque bourgeoise.

Ni l’accession du locataire individuel à la propriété de son logement, ni la suppression ou le blocage des loyers, ni même la transformation en domaine d’État des terrains et des bâtiments, ne constituent un programme répondant aux intérêts des travailleurs.

La révolution prolétarienne aura comme conséquence immédiate la redistribution de l’usage des logements, et comme objectif ultérieur la décongestion des grands centres par un changement radical des rapports entre la ville et la campagne.

Note. Le problème de la construction en Italie.

La politique de blocage des loyers et les plans pour remédier au chômage par la construction de logements, sont des mesures réformistes destinées à avorter, des manoeuvres démagogiques d’une bourgeoisie battue et vassale comme l’est la bourgeoisie italienne. Elles confirment la sujétion de l’administration publique au capitalisme et à ces exigences spéculatrices, et l’absurdité de tenter de mettre en oeuvre des planifications rationnelles dans le cadre d’économies mercantiles fondées sur le profit d’entreprise.

 

 

Parti communiste international

www.pcint.org

 

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