Les révolutions multiples
( «Le rivoluzioni multiple» furent
publié dans la brochure «Sul filo del tempo», Mai 1953 comme résumé du rapport
à la réunion de Gênes en 1953. Publié en français dans «Le Prolétaire», n. 164, janvier 1974 et dans
«Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste» aux «Éditions Prométhée», 1979)
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Introduction
du «prolétaire» n° 164, janvier 1974
Le rapport
sur les Révolutions multiples de la réunion
générale de Gênes d'avril1953, dont nous
publions ici le résumé, s'inscrit dans le cadre général du travail
mené par notre parti dans le second après-guerre pour restaurer dans leur intégralité
l'ensemble des positions originelles du marxisme, condition sine qua non,
en cette époque de défaite physique et de débandade théorique du mouvement prolétarien,
pour la préparation révolutionnaire en profondeur de l'immanquable reprise de classe.
Il
s'agissait de réfuter et de combattre non seulement les falsifications et la trahison
de l'opportunisme stalinien, mais aussi les déformations de multiples courants
qui ne réagissaient au réformisme classique et à sa variante stalinienne que
pour tomber dans un infantilisme faussement intransigeant et dans des révisions
du marxisme tout aussi dangereuses que celles qu’ils entendaient combattre. La
question nationale et coloniale était au nombre des domaines où il fallut
marquer le «périmètre» à l'intérieur duquel devait se développer
le travail théorique du parti, au point qu'elle constitua
un des points-clés de la scission d'où sortit notre parti en 1952. Le texte
que nous reproduisons ici en trace, dans une synthèse compacte,
les lignes directrices.
Le marxisme
établit les limites d'espace et de temps dans lesquelles la revendication nationale
a encore un rôle objectivement révolutionnaire et celles où elle a épuisé ce
rôle, pour définir tant les aires géo-historiques où toute alliance avec la
bourgeoisie est désormais exclue, que celles où le prolétariat a et aura encore à appuyer de façon autonome
la lutte armée contre les régimes archaïques et l'oppression impérialiste.
Cette précision est fondamentale pour mener la lutte contre l'impérialisme à
l'échelle internationale, et donc pour réaliser au moyen du parti mondial du
prolétariat, la soudure des révolutions nationales dans les colonies et semi-colonies,
et de la révolution prolétarienne dans les métropoles; cette perspective n'est
autre que celle de la révolution en permanence, qui ne peut résulter que
de la convergence internationale de luttes nées sur des terrains sociaux
et historiques différents se répercutant les unes sur les autres et qui fut proclamée
par l'Adresse à la Ligue des Communistes de mars 1850.
Les partis
staliniens ont inversé les termes de la politique mondiale du prolétariat
et de l'internationalisme prolétarien, tant par l'appui donné aux métropoles
dans la boucherie impérialiste au nom de la défense de la «patrie socialiste»,
de la liberté des peuples et de la démocratie, que par leur participation à
l'écrasement des révoltes des peuples de couleur dans les gouvernements de
l'après-guerre, que par l'emprisonnement du prolétariat naissant des colonies
dans les fronts bourgeois et petits-bourgeois et par le sabotage de la révolution
nationale «jusqu'au bout» à l'ordre du jour en Orient. Leur reniement était
allé bien au-delà de celui de la IIe Internationale, mais de même que Lénine
avait dû combattre les réactions indifférentistes qui, «en abusant de la notion
d'époque», niaient que dans la phase impérialiste le facteur national puisse
avoir encore dans certaines parties du monde un rôle révolutionnaire
et faisaient des luttes de Iibération nationale qui voyaient les
peuples coloniaux se dresser en armes contre l'impérialisme, de simples pions
dans le jeu des grandes puissances, en refusant par conséquent la participation
du prolétariat révolutionnaire à ces luttes, de même il était stérile pour nous
de prétendre conjurer l'opportunisme en niant les potentialités présentes et
futures des révoltes des peuples soumis au joug de l'impérialisme. En effet,
cette réaction infantile au réformisme relève d'une vision idéaliste qui
converge en fait involontairement avec le social-pacifisme et le
social-chauvinisme, sinon dans le soutien de l'ordre établi, du moins dans le
messianisme de grande nation qui condamne les peuples des colonies et des
semi-colonies à l'immobilité dans l'attente de la révolution prolétarienne dans
les métropoles.
Le marxisme intransigeant, lui, reconnaît, même là où l'intervention
autonome du prolétariat n'a pu ou ne peut encore se produire, même si ces révolutions
n'ont pu dépasser un horizon national et démocratique, la valeur authentiquement
révolutionnaire de bouleversements aussi gigantesques que ceux qui se
sont produits en Orient au cours des 60 dernières années, et qu'il serait vain
d'ignorer sous prétexte qu'ils n'ont pas conduit au socialisme. Les Révolutions
multiples contiennent l'affirmation la plus vigoureuse de la valeur révolutionnaire
même d'un «bloc des 4 classes» en Chine et
même du stalinisme en Russie. C'est là le courage de la vraie gauche
communiste.
Les révolutions multiples
1. La position de la gauche communiste se distingue
nettement, non seulement de l'éclectisme tactique amateur de manœuvres, mais
aussi du simplisme grossier de ceux qui réduisent toute la lutte des classes au
binôme, toujours et partout répété, de deux classes conventionnelles qui
seraient les seules à agir. La stratégie du mouvement prolétarien moderne
s'ordonne selon des lignes précises et stables, valables pour toutes hypothèses
d'action future, qui doivent être appliquées aux différentes «aires»
géographiques composant le monde habité, et aux différents cycles historiques.
2. La première aire est celle de l'Angleterre. C'est de cette
aire classique que le marxisme a tiré pour la première fois l'irrévocable
théorie du cours de la révolution socialiste. Dès 1688 la révolution bourgeoise
supprimait le pouvoir féodal et extirpait rapidement les formes de production
féodales; dès 1840 il est possible de formuler la conception marxiste des
rapports de trois classes essentielles: propriété bourgeoise de la terre -
capital industriel, commercial, financier - prolétariat en lutte contre les
deux premières.
3. Dans l'aire de l'Europe occidentale (France, Allemagne,
Italie, autres pays mineurs), la lutte bourgeoise contre le féodalisme va de
1789 à 1871. Dans les différentes situations présentées par ce cours
historique, est à l'ordre du jour l'alliance du prolétariat avec les bourgeois
quand ceux-ci luttent les armes à la main pour renverser le pouvoir féodal,
alors même que sur le plan idéologique les partis ouvriers ont déjà refusé
toute confusion avec les apologies économiques et politiques de la société
bourgeoise.
4. En 1866, ayant liquidé, avec la victoire contre le sudisme
esclavagiste et rural, des formes capitalistes bâtardes, les Etats-Unis
d'Amérique rejoignent la situation de l'Europe occidentale. Depuis 1871, dans
toute l'aire euro-américaine, les marxistes radicaux refusent toute alliance et
tout bloc avec des partis bourgeois, sur quelque terrain que ce soit.
5. La situation d'avant 1871, dont nous parlons au point 3,
se prolonge en Russie et dans d'autres pays de l'Europe orientale jusqu'en
1917. Il s'y pose le problème que l'Allemagne avait déjà connu en 1848:
provoquer deux révolutions et donc lutter également pour les tâches de la
révolution capitaliste. Pour qu'on puisse passer directement à la deuxième
révolution, c'est-à-dire à la révolution prolétarienne, il fallait une
révolution politique en Occident. Celle-ci fit défaut, mais la classe
prolétarienne russe parvint cependant à conquérir seule le pouvoir politique,
qu'elle conserva quelques années.
6. Tandis que dans l'aire européenne de l'Orient on peut
aujourd'hui considérer la substitution du mode de production et d'échange
capitaliste au mode féodal comme achevée, dans l'aire asiatique la révolution
contre le féodalisme et contre des régimes encore plus anciens bat son plein;
elle est menée par un bloc révolutionnaire de classes bourgeoises,
petite-bourgeoises et travailleuses.
7. L'analyse que nous avons désormais amplement développée
montre que ces tentatives de révolution double ont abouti à des résultats
historiques divers: victoire partielle et victoire totale, défaite sur le
terrain insurrectionnel accompagnée d'une victoire sur le terrain
économico-social, et vice versa. La leçon des demi-révolutions et des
contre-révolutions est fondamentale pour le prolétariat. Deux exemples
classiques parmi tant d'autres: l'Allemagne d'après 1848: double défaite
insurrectionnelle des bourgeois et des prolétaires, victoire sociale de la
forme capitaliste et établissement graduel du pouvoir bourgeois; la Russie
d'après 1917: double victoire insurrectionnelle des bourgeois et des prolétaires
(février et octobre), défaite sociale de la forme socialiste, victoire sociale
de la forme capitaliste.
8. La Russie, du moins sa partie européenne, a aujourd'hui un
mécanisme de production et d'échange déjà pleinement capitaliste, dont la
fonction sociale se reflète politiquement dans un parti et un gouvernement qui
ont expérimenté toutes les stratégies possibles d'alliances avec des partis et
des Etats bourgeois de l'aire occidentale. Le système politique russe est un
ennemi direct du prolétariat et on ne peut concevoir aucune alliance avec lui,
bien que la victoire en Russie de la forme capitaliste de production soit un résultat
révolutionnaire.
9. Dans les pays d'Asie où domine encore l'économie locale agraire de type patriarcal et féodal, la lutte, y compris politique, des «quatre classes», est un facteur de victoire dans la lutte communiste internationale, même si elle aboutit dans l'immédiat à l'instauration de pouvoirs nationaux et bourgeois: tant par la formation de nouvelles aires où seront à l'ordre du jour les revendications socialistes, que par les coups que ces insurrections et ces révoltes portent à l'impérialisme euro-américain.
Particommuniste international
www.pcint.org
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