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Londres: la Grenfell Tower a été complètement réduite en cendres. Merci à la spéculation immobilière!

 

 

Dans la nuit du 14 juin, peu avant une heure du matin un incendie éclate dans ce gratte-ciel de 24 étages; en quelques minutes le feu animé d´une vitesse prodigieuse embrase toute la Grenfell Tower. A quelques jours de distance on dénombrait des dizaines de blessés, 79 morts et des disparus ­– et il est probable que le nombre final atteindra les cent morts.

L'immeuble haut de plus de 67 mètres, avec 120 appartements et où habitaient plus de 600 personnes était un immeuble HLM, une de ces ruches humaines typiques des villes du capitalisme. Il était situé dans le quartier de North Kensington, mais au milieu d'immeubles beaucoup plus modernes, plus riches et esthétiquement plus élégants. Il était considéré comme une anomalie dans ce quartier huppé, non seulement à cause de son style "brut de décoffrage" (1), mais surtout parce qu'il était habité par des familles à bas revenu comme tous les immeubles HLM.

Il n'a pas fallu longtemps pour comprendre que l'incendie et surtout la rapidité de sa propagation en hauteur étaient dues aux travaux de rénovation réalisés récemment pour rendre le bâtiment plus esthétique, et pour lesquels on a utilisé des matériaux hautement combustibles! La Grenfell Tower devait être mise au goût du jour avec une "amélioration de son aspect extérieur"; derrière le choix d'augmenter le nombre de logements, de diminuer les sorties de secours, d'utiliser des matériaux de mauvaise qualité et peu sûrs, écrit l'Huffingtonpost (2), se trouve l'idéologie dominante (le "néolibéralisme") qui a façonné le développement spatial et démographique de la ville de Londres depuis la fin des années 70, dont les champions de ce néolibéralisme étaient Reagan aux USA et Margaret Thatcher en Grande Bretagne.

Cette "stratégie" politique avait pour objectif de diminuer le rôle économique du secteur public et donc de l'Etat (synthétisée dans la fameuse formule: "Rolling back the frontiers of the State", faire reculer les frontières de l'Etat): l'Etat devait promouvoir au maximum la privatisation des secteurs économiques où après la guerre des quantités énormes de capitaux avaient été investis pour faire redémarrer l'activité industrielle et économique du pays; ces secteurs étaient devenus des sources potentielles importantes de profit pour les capitaux privés, surtout après la grande crise économique de 1974-75, quand les administrations publiques se tournèrent vers le privé pour rétablir leurs comptes, en accordant des avantages substantiels aux investisseurs; et le secteur immobilier avec tous ses spéculateurs fut l'un des plus privilégiés. Pour rester à Londres, l'un des exemples les plus gigantesques de spéculation immobilière a été celui de l'aménagement des Docklands; sous le gouvernement Thatcher, cette vaste zone portuaire fut rasée pour construire des gratte-ciels de verre et d'acier de la City; les vieilles usines furent remplacées par de scintillants édifices de la finance internationale, véritable symbole du changement caractéristique de l'impérialisme, passant de l'économie matérielle à l'économie financière.

En vertu de cette politique, toute une série de facilités furent accordées aux entreprises privées et en particulier la gestion de l'immobilier public, à l'enseigne du moindre coût et du profit maximum!

La Grenfell Tower n'est pas la seule dans son cas. A Londres il y en a des dizaines, beaucoup ayant été "rénovée" de la même façon, avec les mêmes matériaux combustibles: il suffit d'un court-circuit dans un appartement comme cela a été le cas chez le chauffeur de taxi éthiopien qui habitait au quatrième étage de la Grenfell Tower, pour déclencher un bûcher infernal. Le capital a ainsi obtenu deux résultats: les habitants de la tour qui n'ont pas été brûlés vifs, ont été par force relogés ailleurs, probablement condamnés pour le reste de leur vie à la précarité, et à la place du HLM on construira un autre édifice de la spéculation immobilière et financière!

De la part des "autorités" il y a eu après une aussi épouvantable catastrophe les habituelles promesses d'enquête et d'ouverture de poursuite contre les "responsables" de la tragédie. Mais ce sont ces mêmes autorités qui depuis des décennies ont oeuvré pour maximiser les profits capitalistes, ce sont elles qui ont donné toutes les autorisations pour les travaux de restructuration qui ont été à la base de l'incendie! Ce sont elles qui se plient aux énormes intérêts des grands groupes financiers qui déterminent les choix y compris des quartiers et des immeubles à "rénover" parce qu'ils ne satisfont plus le vorace cannibalisme du capitalisme.

Dans la société bourgeoise, fondée sur l'exploitation du travail salarié grâce à laquelle la classe dominante extorque la plus-value transformée ensuite en profit et rente, une organisation économique et sociale à "mesure humaine" est impossible: la seule mesure est le profit capitaliste. C'est la recherche effrénée de ce profit qui conduit le capitalisme à être nécessairement "verticaliste", aussi bien sur terre, sur mer que dans les airs (que l'on songe aux gigantesques navires de croisière et porte-containers, ou aux mastodontes volants avec des envergures de près de cent mètres), à recourir nécessairement à la vitesse et au gigantisme.

Le développement incessant des villes, reliées entre elles par des réseaux de routes et autoroutes, est la démonstration d'une consommation irrationnelle et dommageable du sol, enlevant à l'agriculture toujours plus de terres en faveur d'une urbanisation désastreuse qui contraint les individus à s'entasser dans des environnements toujours moins accueillants, moins sains et moins naturels. Tout ce qui réduit l'espace de l'homme [l'espace de vie dans tous les sens] est capitalisme! (3).

Le capitalisme est l'économie du gaspillage du point de vue des besoins des êtres humains: la démesure productive et la concurrence acharnée conduisent aussi au gigantisme du gaspillage; il suffit de penser à l'énorme production de produits inutiles ou même nocifs pour la vie ou la santé. Mais le capitalisme a aussi sa conception du gaspillage: faire travailler les prolétaires dans des environnements sains, hygiéniques, plaisants, sans dangers et pour un temps limité (par exemple une ou deux heures par jour) serait, pour les capitalistes, un énorme gaspillage. Il leur faut au contraire "faire des économies" en augmentant au maximum la productivité du travail, et ne pas investir pour rendre humaines les conditions de vie et de travail; les investissements doivent servir à augmenter les profits, à combattre la concurrence, à sauver les parts de marché, et aussi à défendre le système capitaliste dans son ensemble par des forces politiques, sociales, religieuses et armées. De la même façon que les usines sont restées des bagnes où les prolétaires sont soumis à des conditions de déshumanisation, les logements, surtout "sociaux", connaissent en général des conditions de sécurité et de salubrité très déficientes, causes de tragédies annoncées.

Combien de fois les habitants de ces immeubles ont-ils dénoncé les dangers qu'ils présentent, comme ce fut le cas à la Grenfell Tower? A chaque fois les "responsables", les "Autorités" n'ont donné aucune suite à ces dénonciations... sinon quand se matérialisait une nouvelle possibilité de profit, ou quand finalement la tragédie avait lieu! Et en outre ce sont ces travaux de rénovation aui ont provoquée la catastrophe!

Dans la société capitaliste toute activité productive est mercantile, elle est soumise à la loi du marché qui ne se réduit pas la banale loi de l'offre et de la demande, mais à la loi de la concurrence la plus acharnée selon laquelle le travail n'est pas une partie harmonieuse de la vie humaine, mais son contraire auquel elle s'oppose tant au niveau individuel que social. Le capitalisme ne peut apporter de solution pour renverser ce rapport: la solution se trouve dans le renversement du capitalisme, la destruction de ce mode de production et de son organisation sociale qui produit continuellement les contradictions et les antagonismes sociaux d'une société divisée en classes.

Il est particulièrement répugnant que les autorités et le gouvernement qui ont lancé, soutenu, défendu et appliqué la politique "néo-libérale" appellent maintenant les habitants de Londres à s'unir autour des survivants et du gouvernement... pour que ces tragédies n'aient plus lieu!!! Il y en aura d'autres, en Grande-Bretagne ou dans d'autres pays européens, aux Etats-Unis ou en Asie, parce que les lois du capitalisme sont les mêmes partout; pour ce qui est des tragédies qui frappent surtout les prolétaires, il n'y a pas de frontières qui tiennent!

Ce n'est pas en changeant les matériaux de revêtement extérieur des immeubles que l'insécurité disparaîtra pour les masses prolétariennes. Les économies capitalistes sur la structure, sur les matériaux de construction, sur la composition du ciment, etc., demandées par les spéculateurs immobiliers et les banques qui prêtent les capitaux pour maximiser les profits, causeront inévitablement demain la mort de dizaines ou de centaines de vies humaines!

Sans doute après la catastrophe les autorités se sont mises soudainement à contrôler d'autres immeubles et à évacuer les habitants de ceux "découverts" comme dangereux. Mais au bout d'un mois, d'un semestre ou d'une année, tout sera oublié: le capital ne regarde pas en arrière, il cache et oublie ses méfaits et continue sa course folle pour maintenir sa puissance et son mode de production. Mais la vie de Sa Majesté le Capital n'est pas "à coût zéro": elle est coûteuse en morts, blessés, en licenciés, marginalisés, en saccage de l'environnement, en empoisonnements invisibles, en catastrophes qui sont dites "naturelles" ou dues à la "fatalité", alors qu'elles sont dues au capitalisme lui-même.

D'une telle société putréfiée et dégénérée peut-il naître une société différente où règne l'harmonie entre la vie sociale et l'activité productive, où l'espace l'emporte sur le ciment, où l'antagonisme social sera jeté avec le capitalisme à la poubelle de l'histoire? Peut-il naître de cette société toute entière orientée vers la satisfaction des exigences du capital et de ses spéculations, une société qui mette au centre la satisfaction des besoins de l'être humain comme individu social, une société organisée non seulement rationnellement – et donc sans gaspillage de terre, d'eau, d'air, de produits d'hommes – mais capable d'établir avec la nature un rapport tel qu'elle peut en avoir un contrôle sinon complet du moins suffisant pour maintenir dans la durée un rapport harmonieux entre elle et les besoins humains.

Après avoir constitué sur tous les plans un grand progrès historique par rapport aux sociétés précédentes, le capitalisme, société divisée en classes et notamment en une classe dominante et une classe dominée, est entré dans une phase de conservation et de réaction. Comme toutes les sociétés humaines, la société caitaliste suit une trajectoire historique déterminée par les particularités de son développement économique, trajectoire qui reste indéchiffrable par les théories bourgeoises, pétries de préjugés de toutes sortes, mais qui est bien claire pour le marxisme, seule théorie scientifique de l'histoire humaine. La lutte entre les deux principales classes de la société, le prolétariat et la bourgeoisie, est décisive car pour réaliser le saut qualitatif du passage de la société bourgeoise à la société sans classes, à la société communiste, il faut d'abord abattre l'obstacle essentiel: le pouvoir politique bourgeois, son Etat. Ce n'est qu'après avoir renversé cet obstacle et pas dans un seul pays, que le nouveau pouvoir prolétarien pourra donner le coup d'envoi à la transformation économique de la société; transformation qui pourra avoir lieu à l'échelle internationale en s'appuyant sur le fait que le prolétariat est une classe internationale qui a les mêmes intérêts partout dans le monde.

Sans doute il n'y a pas de lien direct entre la tragédie de la Grenfell Tower et la révolution prolétarienne qui devra abattre le pouvoir bourgeois. Mais la question doit être envisagée d'une façon non pas contingente, par épisodes séparés, à la façon dont raisonnent les bourgeois; la perspective marxiste est internationale et historique et elle considère tous les aspects comme les conséquences d'un unique mode de production, sans négliger bien sûr les degrés différents du développement économique, social et politique des différents pays. Il est indiscutable que le mécanisme qui guide les choix des capitalistes est le même dans tous les pays, et il doit être affronté et combattu avec des armes théoriques, politiques et pratiques capables qui ne se laissent pas égarer par des particularités nationales, culturelles, religieuses ou localistes.

Ce n'est que lorsque les prolétaires commenceront à regarder au delà du mesquin horizon individuel et petit bourgeois dans lequel ils sont confinés; ce n'est que lorsqu'ils commenceront à se reconnaître comme frères de classe, comme membres d'une classe qui a une tâche historique à accomplir, donc quand ils commenceront à lutter non seulement pour résister à la détérioration continue de leurs conditions, mais aussi pour son amélioration; ce n'est que lorsqu'ils se reconnaîtront comme une force sociale capable de se hisser au même niveau politique et pratique que la classe dominante et qu'ils auront compris que la solidarité de classe est la vraie force unifiante pour surmonter la concurrence entre eux et mettre en échec les attaques de la bourgeoisie; c'est seulement alors qu'ils réussiront à réagir aux conditions qui leur sont imposées et à voir dans chaque tragédie qui les frappe la responsabilité de la domination bourgeoise, en temps de paix comme en temps de guerre.

Le terrorisme permanent avec lequel le pouvoir économique et politique bourgeois intimide et musèle le prolétariat dans tous les pays se manifeste dans l'exploitation quotidienne de la force de travail, à travers les tracasseries, le harcèlement ou la répression des institutions étatiques, à travers le racisme des riches bourgeois envers les prolétaires et une population de pauvres toujours plus composée de prolétaires venant de toutes les parties du monde. Aux accidents du travail s'ajoutent les accidents dans les transports, automobiles, ferroviaires, maritimes ou aériens, dues à la frénésie capitaliste de profit, et s'ajoutent les catastrophes comme celles des immeubles d'habitation; pour me pas parler des guerres que les puissances impérialistes déchaînent continuellement sur la planète, provoquant l'exode de masses déshéritées allant de pays en pays à la recherche d'un endroit où survivre.

C'est seulement dans la lutte de classe que le prolétariat retrouvera la riposte à sa condition d'esclave salarié, qu'il soit esclave dans un pays frappé par la guerre ou dans un riche pays impérialiste dominant.

Parti Communiste International

 


 

(1) Il s'agit d'un style dont l'architecte franco-suisse Le Corbusier fut le représentant et qui utilisait le béton brut pour les habitations populaires.

(2) Cf. www.huffingtonpost.it/michele-grimaldi/lincemdio-della-grenfelle-tower-e-gli-effeti-collaterali-del-ne_a_22488458/

(3) Voir l'article "Espace contre ciment" qui critique le fameux architecte suisse Le Corbusier. Cf. Amadeo Bordiga, "Espèce humaine et croûte terrestre", Ed. Payot, p. 150

 

 

Parti Communiste International

23 juin 2017

www.pcint.org

 

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