Back

Prises de position - Prese di posizione - Toma de posición - Statements                


 

Iran

Arrestations, tortures, assassinats, disparitions et enterrements secrets: le régime confessionnel fondamentaliste utilise le talon de fer pour rester debout

 

 

Par vagues, les manifestations et la lutte contre le régime des ayatollahs ont caractérisé les deux dernières décennies, c’est-à-dire la période au cours de laquelle la poussée d’un capitalisme relativement jeune pour se développer à un rythme accéléré a encore aiguisé les contradictions d’un pays qui s’efforce de sortir des traditions confessionnelles avec lesquelles la nouvelle bourgeoisie iranienne s’est affirmée face au vieux régime du Shah, grâce aux grandes manifestations et aux grèves ouvrières prolongées contre le Shah. Un capitalisme qui, en se développant, ne pouvait que faire grossir de plus en plus la masse des travailleurs salariés, le prolétariat, dont l’exploitation intensive produit toute la richesse.

D’autre part, le développement du capitalisme ne pouvait se faire qu’en suivant l’intensification du commerce international, donc aussi en adoptant les moyens de communication les plus modernes (radio, TV, internet) et d’éducation nécessaire pour développer non seulement le commerce, mais aussi la production industrielle dans tous les secteurs (pétrochimie, sidérurgie, automobile, métallurgie, mécanique, textile) et, en particulier, dans l’ingénierie et le nucléaire.

Quelques chiffres peuvent donner une idée de ce qu’est l’Iran d’aujourd’hui, soumise aux sanctions assez lourdes des USA et de ses alliés occidentaux. 75 % de la population vit dans les villes, mais 30 % de la population vit encore de l’agriculture sur un territoire cultivé à 10 % seulement (principalement pistaches et coton, dont elle est exportatrice mondiale, ainsi que céréales, orge, tabac, betteraves, canne à sucre), et de l’élevage (bovins, ovins et caprins), par ailleurs sur une terre encore caractérisée par un morcellement considérable de la propriété foncière. La population active (chiffres 2021) est de 26,5 millions (la main-d’œuvre féminine n’en représentant que 17%), soit 32% de l’ensemble de la population, et le chômage, en 2019, n’était pas moins que de 20% (plus de 5 millions de personnes). La crise économique et sociale, comme dans tous les pays, frappe principalement les classes laborieuses et pauvres (l’inflation, semble-t-il, a atteint 50 %) et le climat de plus en plus oppressif instauré par le régime confessionnel, d’abord par Khomeini ensuite par Khamenei, frappe directement les jeunes générations et les femmes en particulier. La plupart des activités productives sont contrôlées par les fondations religieuses («bonyad») et l’armée des «pasdaran» («gardiens de la révolution»), il est donc inévitable que ce soient les femmes qui subissent l’oppression la plus dure et la plus violente, surtout si elles se rebellent, comme cela s’est produit à partir de septembre dernier.

Tandis que les jeunes femmes iraniennes et les travailleurs qui se sont mis en grève par solidarité  montrent au monde que l’oppression sociale qui caractérise non seulement l’Iran mais toutes les sociétés modernes, démocratiques, totalitaires, confessionnelles ou pas, se battent en se rebellant sans crainte des conséquences, les prolétaires de l’opulent Occident européen regardent en spectateurs comme si ce qui se passe là-bas ne les concernait pas. Ils regardent leur propre nombril, leurs propres intérêts immédiats étroits, comme s’il y avait des murs infranchissables séparant leur vie de celle des prolétaires des pays de la périphérie de l’impérialisme. Comme si chaque bourgeoisie occidentale n’était pas aussi responsable des conditions d’existence des prolétaires de tous les autres pays du monde; un monde que les bourgeoisies impérialistes se sont partagé pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’elles essaient maintenant de se repartager - en se faisant la guerre entre elles et pas seulement en Ukraine - d’une manière différente de celle établie au cours des décennies précédentes.

La politique sociale du régime iranien a en partie essayé de ressembler à celle des pays occidentaux, bien qu’avec des ressources financières beaucoup plus limitées. Périodiquement, les présidents successifs de la république ont tenté de garder sous contrôle les tensions sociales en baissant les prix des produits de première nécessité et en soupoudrant des subventions pour les couches les plus pauvres de la population. Mais ces moyens, comme nous le savons, ne sont jamais décisifs, et lorsque l’économie se bloque, avec des millions de personnes au chômage et une inflation qui érode rapidement le pouvoir d’achat des masses, les tensions qui couvent constamment sous les cendres éclatent. Le phénomène le plus récent est la rébellion contre le climat d’oppression sociale, notamment des femmes et des jeunes femmes, qui ont été rejointes par les jeunes hommes, à commencer par les étudiants universitaires.

Le 13 septembre dernier, comme tout le monde le sait maintenant, Mahsa Jina Amini, une jeune femme kurde de 22 ans, a été arrêtée pour avoir enfreint une mesure concernant le port du voile imposé aux femmes. De l’arrestation au passage à tabac et au meurtre, trois jours se sont écoulés. Le fait qu’elle soit kurde a probablement eu un poids négatif supplémentaire, car la population kurde en général est systématiquement opprimée et pas seulement par les Iraniens, mais aussi par les Turcs, les Irakiens et les Syriens. Cet épisode a été la mèche qui a mis le feu à l’Iran; à partir de septembre, et encore aujourd’hui, bien que dans une phase de décroissance, les manifestations de protestation n’ont jamais cessé, et ce n’est pas une coïncidence si le cœur de ces manifestations a toujours été les femmes, en particulier les jeunes. Les manifestations ont concerné plus de 160 villes et il y a eu plus de 20 000 arrestations jusqu’à présent et plus de 500 victimes au cours des manifestations (et parmi la police, semble-t-il, pas plus de 62). Les condamnations à mort déjà exécutées, de ce que nous pouvons en savoir, ont frappé 10 des manifestants arrêtés (1). Le régime confessionnel a répondu à ces protestations par une répression extrêmement dure, face à laquelle est apparu le courage des jeunes femmes qui, en toute conscience qu’elles risquaient d’être arrêtées, battues et tuées, ont continué à exprimer un esprit de rébellion irrésistible. Et c’est de cet esprit rebelle que le régime de Téhéran a peur, car il peut être très contagieux et surtout impliquer la classe ouvrière.

Après l’assassinat de Mahsa Amini, le 13 octobre, on a appris que les forces de sécurité avaient fait une descente dans le lycée pour filles «Shahed» d’Ardabil, fréquenté principalement par des Azéris, une autre minorité ethnique de religion sunnite, détestée par les Iraniens de religion chiite, parce qu’un groupe d’étudiantes avait refusé de chanter l’hymne à l’Ayatollah. Suite au passage à tabac par les forces de sécurité, Asra Panahi, 16 ans, est décédée, tandis que de nombreuses autres étudiantes blessées ont fini à l’hôpital (2). Le régime répond par une violence extrême contre les masses sans défense, au point de condamner à mort même les handicapés, les femmes enceintes et les mineurs (3), peu importe s’ils mettent le feu à un pneu de voiture, à une photo de Khomeiny ou au voile (le «hijab», qui couvre les cheveux, le front, les oreilles, la nuque et tombe sur les épaules), ou s’ils se coupent publiquement les cheveux.

Mais ces protestations cachent, en réalité, bien plus. Depuis des années, la situation économique grave met à rude épreuve la survie des larges masses, à tel point que toute manifestation de protestation, de la rébellion contre les mesures religieuses strictes à l’enfermement de la plupart des femmes entre les quatre murs de la maison, en passant par le contrôle asphyxiant des «pasdarans» et des «basiji» dans les rues, les écoles et les campus, a la caractéristique d’un virus qui se reproduit dans tous les autres secteurs de la société, des commerçants du bazar aux ouvriers des usines. Ce n’est pas un hasard si les manifestations ont d’abord explosé dans le Kurdistan iranien, dont provenait Mahsa Amini, pour se propager ensuite dans tout le pays, du nord au sud, touchant même Qom, le centre spirituel chiite, bastion de l’autorité morale et religieuse du régime islamique. Les revendications concernent les libertés individuelles, les droits civils, la liberté de réunion et d’organisation, et sont flanquées de revendications plus spécifiquement ouvrières concernant la liberté d’organiser des syndicats indépendants, ainsi que de revendications économiques classiques sur les salaires et les conditions de travail. Tout est remis en question, et lorsque dans les rues, des masses qui manifestent s’élèvent les cris de «mort au dictateur» adressés à l’Ayatollah Khamenei, et qui trouvent également une solidarité dans les grèves ouvrières, il est évident que le régime prenne ces cris comme prétexte pour accuser chaque protestation de déclencher une «guerre contre Dieu», et d’être au service des ennemis occidentaux.

Depuis l’instauration de la république islamique, l’Iran a été secoué à plusieurs reprises par de grands mouvements de protestation : en 1999, lorsque les étudiants universitaires de Téhéran se sont rebellés contre la fermeture du journal réformiste «Salaam» et l’assaut du campus par les Pasdarans, au cours duquel trois étudiants ont été tués; d’autres manifestations d’étudiants universitaires ont eu lieu en 2003 et 2006. En 2009, au moment des élections présidentielles, contre la fraude électorale qui a porté à la présidence l’ancien maire de Téhéran, Ahmadinejad, sous la direction suprême du leader Khamenei, ces manifestations se sont caractérisées par le mécontentement de la petite bourgeoisie qui espérait que ses intérêts seraient mieux protégés qu’avec le président réformateur Rohani. Entre décembre 2017 et juin 2018, en revanche, les protagonistes n’étaient pas seulement les étudiants et le petit peuple qui manifestaient contre la cherté de la vie, le régime asphyxiant de la prêtraille, le chômage des jeunes qui avait atteint 40 %, ainsi que pour les droits des femmes, mais aussi les grèves des travailleurs. Des grèves qui luttaient contre les conséquences de la crise économique qui avait frappé le pays, une crise aggravée par le tour de vis sur les salaires et les conditions de travail du gouvernement de Rohani suite aux dures sanctions américaines (et en cascade des alliés européens des USA). Ces sanctions avaient été décidées par Trump après avoir rompu l’accord sur le nucléaire avec Téhéran signé en 2015 par Obama (4). En 2019, d’autres mouvements de protestation ont éclaté, causés par l’augmentation exagérée des prix du carburant et auxquels de larges couches de commerçants ont participé. Le pouvoir des mollahs, qui repose non seulement sur l’influence religieuse historique mais aussi et surtout sur le pouvoir économique largement concentré entre leurs mains et la puissance militaire qui en découle, a toujours systématiquement répondu par une répression sévère. Combien de décennies un tel pouvoir qui confie le contrôle social à la répression systématique de toute contestation, peut-il perdurer ?

Des couches de plus en plus larges de la population, bourgeoisie et petite bourgeoisie urbaines, paysans, ouvriers, sont continuellement secouées tant par les effets de la crise économique et sociale que par les coups de la répression. Dans cette situation et étant donné les contacts avec le monde par le biais du commerce et de la communication, l’envie de se débarrasser des fioritures et des restrictions qu’un climat social fondamentaliste a imposés pendant des décennies émerge presque naturellement. Etant donné l’influence idéologique mondiale des concepts de démocratie transmis en permanence avec le «libre-échange», la libre «propriété privée» et la «liberté individuelle», c’est évident que les mouvements de protestation populaires revendiquent génériquement la liberté et se tournent vers réformisme - même dans les oripeaux religieux -, clé pour résoudre les problèmes sociaux.

De nombreux commentateurs des manifestations de ces derniers mois affirment qu’elles sont différentes de celles du passé car, bien que commencées en raison d’un événement spécifique, le meurtre brutal d’une jeune fille de 22 ans pour des motifs futiles, elles ont en fait rapidement impliqué toutes les couches de la population et le tout pays, ce qui ne s’était jamais produit auparavant. Cela dit, l’espoir des grands médias et de la grande majorité des intellectuels occidentaux est que ces mouvements de protestation, si étendus et impliquant une grande partie de la population, ressemblent aux mouvements qui, en 2011 en Tunisie, puis dans tous les pays arabes, ont fait tomber les grands dictateurs comme Bel Ali et Moubarak, ouvrant les portes du pays à la démocratie tant convoitée (5)... et aux capitaux occidentaux. Une démocratie qui, comme nous l’avions facilement prédit, n’a résolu aucun problème social car «la démocratie bourgeoise ne peut que reproposer la perspective d’un régime bourgeois qui modifie son comportement répressif en élargissant les espaces de «liberté» dans la vie quotidienne et en accordant quelques réformes sociales qui n’ébranlent en rien la production de profit capitaliste; la démocratie bourgeoise n’est rien d’autre que l’habillage parlementaire et électoraliste de la dictature de classe de la bourgeoisie. Elle est plus raffinée dans les vieux pays capitalistes, plus grossière dans les plus jeunes pays capitalistes, mais en fait elle ne peut jamais donner aux masses ouvrières une perspective autre que celle d’une plus grande exploitation, d’une plus grande misère, d’une plus grande faim et d’une plus grande répression» (6). Il suffit de voir ce qui s’est passé non seulement en Tunisie depuis la chute de Ben Ali, mais aussi en Égypte, où al-Sissi ne s’est pas montré meilleur que Moubarak, en Libye, avec sa fragmentation en trois ou quatre potentats locaux aussi répressifs et sanguinaires, sinon plus, que Kadhafi... ou au Liban, pays complètement détruit par des querelles de clans au service des différentes puissances régionales vendues à tel ou tel impérialisme, ou en Algérie, dont le régime bourgeois est plus solide mais pas moins exploiteur et répressif que les autres régimes bourgeois.

 

LE PROLÉTARIAT ET LES MOUVEMENTS DE PROTESTATION

 

L’une des caractéristiques de cette dernière vague de manifestations de protestation concerne les travailleurs et, en particulier, les travailleurs de l’énergie. Même s’ils sont mieux traités que les travailleurs des autres secteurs économiques, et s’ils ne sont pas organisés en syndicats nationaux indépendants, qui sont interdits (comme les partis politiques indépendants sont interdits par le pouvoir en place), en octobre, «les travailleurs de l’industrie pétrolière à Assaluyeh, dans la province de Busher» se sont mis en grève et dans les semaines suivantes, entre fin octobre et mi-novembre «les enseignants et les ouvriers ont commencé à organiser des sit-in et des grèves locales, à Téhéran, Ispahan, Abadan et autres localités du Kurdistan iranien» (7).

Les travailleurs se mettent à nouveau en grève, le 17 décembre, dans plusieurs villes, «dont Assaluyeh, Mahshahr, Ahvaz et Gachsaran», auxquels se sont unis «les pompiers du secteur pétrolier de l’île de Kharg, dans le golfe Persique» (8). Ce n’était pas une grève nationale au sens propre du terme, mais, par rapport aux grèves précédentes, elle était si large qu’une semaine plus tard, les comités d’organisation ont proposé une autre grève de trois jours (24, 25 et 26 décembre). Ces grèves, comme les précédentes, sont organisées par des comités locaux et des militants syndicaux en contact entre eux par le biais des médias sociaux et concernent généralement des travailleurs précaires, des travailleurs temporaires et des journaliers. Les prisonniers de la prison de Karaj se sont également révoltés après que l’un d’entre eux a été transféré dans le couloir de la mort en attendant d’être pendu. La protestation des travailleurs, bien que fragmentée et généralement déconnectée au niveau national, s’appuie sur des conditions économiques particulièrement difficiles. 90% des contrats sont à durée déterminée, de sorte que la précarité généralisée domine; en outre, les relations de travail sont arbitrées par des agences pour l’emploi contrôlées par l’État, tandis que le régime augmente également les salaires de la police et des forces armées de 20 % (9). Mais, ayant franchi le seuil de tolérance, la poussée d’en bas est telle que, malgré les différentes vagues de répression contre les grévistes qui ont eu lieu ces dernières années, il y a eu récemment des initiatives d’organisation de syndicats autonomes, comme dans le cas des chauffeurs de Sherkat-e Vahed à Téhéran ou de la sucrerie de Haft Tappeh dans le Kurdistan iranien (10). Et, étant donné le climat général de répression sociale, les grèves des travailleurs soulèvent également des protestations contre la répression des manifestations, des femmes et contre les exécutions.

Du point de vue des conditions de vie et de travail ouvrière, c’est l’histoire même des relations entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise qui nous apprend que, même dans un pays où leur organisation indépendante est interdite, les travailleurs parviennent tôt ou tard à s’organiser, et c’est le mouvement de lutte avec sa puissante pression qui peut obtenir un résultat positif, c’est-à-dire l’organisation syndicale à un niveau non seulement catégoriel mais aussi national. La bourgeoisie le sait aussi très bien et c’est la raison pour laquelle, surtout après la deuxième guerre impérialiste mondiale - à la suite des expériences du fascisme et du nazisme - elle a soutenu et financé la formation de syndicats collaborationnistes, de syndicats institutionnalisés dans l’État. La bourgeoisie sait que pour empêcher la force sociale prolétarienne de s’organiser de manière indépendante et de se placer sur le terrain de la lutte de classe ouverte avec ses propres objectifs révolutionnaires, les ouvriers doivent être organisés par la bourgeoisie elle-même, naturellement par des moyens et des méthodes qui correspondent à la défense de ses intérêts généraux. Les deux voies d’y parvenir sont généralement celles-ci: la voie démocratique et la voie ouvertement totalitaire (fasciste, militariste, fondamentaliste). Avec la voie démocratique, la bourgeoisie cherche à réaliser une collaboration interclassiste avec la participation active des masses ouvrières; les illusions de la démocratie (avec sa cohorte d’électoralisme, de parlementarisme, de liberté d’organisation et de réunion, etc.), en effet, conduisent les masses prolétariennes à imaginer que les moyens démocratiques leur permettront d’obtenir des améliorations de leurs conditions de vie et de travail sans avoir à lutter continuellement, mais par la loi, par le «dialogue entre les partenaires sociaux» et les «négociations». Avec la voie de la dictature ouverte, généralement établie par la voie démocratique et face à un fort mouvement de masse tendant à faire sauter les institutions existantes, la bourgeoisie, pour obtenir la coopération de la classe ouvrière - après l’avoir réprimée et emmêlé dans des mécanismes sociaux et politiques obligatoires favorables à la classe dirigeante - doit accorder des garanties économiques (les fameux amortisseurs sociaux). Il est évident que plus un pays est riche, puissant et dominant sur les marchés internationaux, plus il peut allouer de ressources pour satisfaire les besoins essentiels de la vie des larges masses, précisément grâce aux amortisseurs sociaux. Plus il est faible économiquement et dans les relations internationales par rapport à ses concurrents, moins il dispose de ressources, et a donc tendance à privilégier les travailleurs des secteurs économiques considérés comme stratégiques (énergie, armement, forces armées), d’ailleurs une pratique, mise en œuvre depuis longtemps dans les pays les plus riches. C’est ce qui se passe en Iran, en Égypte, en Turquie, en Algérie, au Maroc, au Brésil et dans des dizaines d’autres pays. Mais en ce qui concerne la répression des mouvements qui échappent au contrôle de la bourgeoisie dominante, l’État démocratique de droit et l’État dictatorial utilisent exactement les mêmes moyens et méthodes (forces de police, milices spécialement organisées, armée), ne différant que dans la justification de l’utilisation de ces moyens et méthodes : contre la subversion et le terrorisme dans le premier cas, contre l’attaque des puissances étrangères sur la souveraineté nationale dans le second cas, ou pour éliminer ceux qui sont en «guerre contre Dieu».

Dans notre prise de position du 25 septembre 2022 (11), nous avons écrit : «Le pouvoir bourgeois peut changer sa méthode de gestion sociale si les mobilisations de masse - comme ce fut le cas avec les fameux «printemps arabes» - sont si massives qu’elles mettent en danger son emprise; mais elle ne changera pas tant qu’elle n’aura pas fait l’expérience de toutes les formes de répression, même les plus sanglantes, à sa disposition et, de toute façon, elle aura toujours tendance à jeter du trône la figure qui n’a plus le charisme d’antan pour la remplacer par d’autres représentants, peut-être élus démocratiquement, de manière à effectuer une relève de la garde, afin de conserver le pouvoir politique, économique et social. L’Égypte de Moubarak d’abord, et d’Al Sissi ensuite, en est la preuve».

Quant à la masse prolétarienne, si elle poursuit ses luttes et ses grèves et les coordonne au niveau national, elle deviendra ouvertement la cible principale de la répression étatique car elle sera accusée de mettre en danger l’économie du pays et de favoriser les attaques étrangères contre sa «stabilité». A ce stade la lutte ouvrière, soit prendra la direction d’une organisation indépendante, en partant du terrain de la défense immédiate des conditions économiques et de la lutte elle-même, soit elle sera étouffée pour la énième fois en la canalisant dans les méandres des négociations locales et sectorielles, isolées et fragmentées après avoir peut-être permis à des catégories considérées précisément comme stratégiques - comme l’industrie pétrolière et gazière - de s’organiser selon des règles établies par la loi et de toute façon dans les limites classiques de la défense de l’économie nationale. Les prolétaires ne peuvent pas espérer que la classe dominante bourgeoise - qu’elle porte les habits religieux ou laïques - change complètement de registre. Déjà avec les grands mouvements de 1978-79, les manifestations de masse et les grèves générales qui ont fait tomber le pouvoir du Shah, l’Iran populaire et ouvrier croyait et espérait qu’à travers une bourgeoisie confessionnelle sa condition générale s’améliorerait et que le «bien-être» économique dérivé des grandes quantités de pétrole exportées pourrait être distribué à toutes les couches de la population. Le régime du Shah, certes occidentalisant, et en tout cas répressif, a été remplacé par le régime confessionnel de Khomeiny, d’abord, et de Khamenei, ensuite. Ce régime à peine enraciné, lançait déjà en 1980 ses meilleurs jeunes dans la guerre contre l’Irak, qui a duré huit longues années, pour défendre ses «frontières sacrées»; dans une guerre qui aurait d’ailleurs pu se terminer bien plus tôt, puisqu’en 1982 l’Irak s’était retiré des zones Shatt-al-’arab qu’il avait envahies, cessant unilatéralement le feu, mais que le régime khomeyniste maintenait en vie pour contre-attaquer en visant Bassora. Mais, en même temps, l’autre objectif était de faire plier son propre prolétariat qui après tant d’années de guerre était réduit à un état désastreux. Le régime de Saddam Hussein était belliciste, le régime de Khomeini était belliciste, et tous deux étaient parfaitement en phase avec la politique belliciste des États-Unis et de leurs alliés mutuels.

La perspective du prolétariat iranien est donc soit de classe, soit reste façonnée par les intérêts de la bourgeoisie dominante, qui se protège encore aujourd’hui derrière le confessionnalisme chiite mais qui pourrait, un jour, et en fonction des rapports de force internationaux et sous la pression de nouveaux grands mouvements de masse, tourner sa veste et même embrasser les symboles de la démocratie occidentale.

La perspective prolétarienne de classe est fondée sur la défense des intérêts exclusifs des ouvriers, donc antagonistes aux intérêts bourgeois, tant sur le terrain immédiat que plus encore sur le terrain politique plus général. L’alternative à la domination bourgeoise, sous la froque religieuse ou laïque, ne peut jamais être la démocratie parlementaire, mais est et sera la voie de la lutte des classes, de la lutte qui vise la révolution prolétarienne. Aussi difficile et lointaine que cette voie puisse paraître aujourd’hui, elle est la seule qui puisse conduire le prolétariat à devenir le protagoniste de son propre avenir, de sa propre histoire. Le prolétariat est la force de travail salariée qui produit l’ensemble des richesses dans chaque pays; la bourgeoisie est la classe dominante actuelle qui s’approprie l’ensemble des richesses produites et peut continuer à le faire à condition de maintenir le prolétariat en esclavage salarié. C’est contre cet esclavage que les esclaves modernes, à savoir les prolétaires, en Iran comme dans tout autre pays, doivent lutter, en commençant par la lutte pour la défense économique, bien sûr, mais dans le but de l’étendre à tout le prolétariat du pays et aux prolétaires de tous les autres pays, afin de renverser le pouvoir bourgeois et de construire sur ses décombres la société nouvelle qui ne dépendra plus du capital, du marché, de l’argent, de la violence et de la dictature de l’impérialisme. 

 


 

(1) Cf. «www.ispionline.it//it/pubblicazione/5-grafici-capire-le-proteste-iran-36790» du 11 janvier 2023 et www.lifegate.it/condannati-morte-iran du 13 décembre 2022.

(2) Cf. «www. luce.lanazione.it/attualita/asra-panahi-16-anni-pestata-a-morte-non-canto-inno-ayatollah/»

(3) Cf. «Tgcom24», 5 et 26 janvier 2023.

(4) Cf. «www.ispionline.it/it/pubblicazione-iran-la-stanchezza-di-una-rivoluzione-19393» du 6 janvier 2018; «https://ricerca.repubblica/ archivio/ repubblica/ 1999/ 07/ 11/ iran-studenti-in-rivolta-dopo-il-venerdi.html» du 11/7/1999. Voir aussi «Le Moyen-Orient, arène des affrontements bourgeois et impérialistes» («le prolétaire», n° 528, avril-mai-juin 2018) et «Iran: la colère ouvrière défie la dictature sanguinaire des mollahs» («le prolétaire», n° 529, juin-juillet-août 2018)

 (5) À Sidi Bouzid, en Tunisie, le 17 décembre 2010, la police a saisi le chariot de fruits et légumes d’un jeune homme chômeur et «sans licence de vente ambulante». Désespéré, le jeune chômeur privé de l’unique moyen, bien que maigre, de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, s’immole par le feu devant le bâtiment du gouvernement. Il est mort le 5 janvier suivant. «C’est l’étincelle qui met le feu aux poudres», écrivions-nous dans la prise de position «Vive la révolte de la jeunesse prolétarienne!» du 11 janvier 2011 (www.pcint.org). Voir aussi «Rivolte nei paesi arabi e imperialismo», dans le Supplément à «il comunista», n° 119, avril 2011.

(6) Cf. «Tunisi, Algeri, Il Cairo...», «il comunista» n° 119, déc. 2010-janvier 2011.

(7) Cf. «www.rivistailmulino.it/ a/iran- la-rivoluzione- dei- lavoratori» du 8 décembre 2022.

(8) Cf. «www.radiondaurto.org/2022/12/17/iran-quarto-mese-di-rivolta-inizia-con-lo-sciopero-dei-lavoratori-dellindustria-petrolifera/»

(9) Cf. «www.operaicontro.it/2022/12/13/iran-la-forza-al-lavoro et www.operaicontro.it/ 2022/ 12/ 19/ iran-dalla-lotta-di-strada-agli-scioperi-operai/.»

(10) Cf. note (7).

(11) Cf. «Iran. Des manifestations pour le pain aux dures protestations après la mort d’une jeune fille de 22 ans, arrêtée, matraquée et tuée par la police religieuse parce qu’elle ne portait pas son voile «selon les règles»» («le prolétaire», n° 546, sept.-oct.-déc. 2022)

 

31 janvier 2023

 

Parti Communiste International

Il comunista - le prolétaire - el proletario - proletarian - programme communiste - el programa comunista - Communist Program

www.pcint.org

 

Top  -  Retour prises de positions  -  Retour archives