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Prises
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Depuis le 6 août, en s’enfonçant sur le territoire russe, probablement sous commandement anglo-américain occulte, et en prenant l’armée russe par surprise, la « contre-offensive » ukrainienne disruptive avec la ligne de front dans le Donbass a changé de direction. L’Ukraine de Zelensky a reçu le consentement de l’Union européenne et de tous ses médias exaltés par cette incursion, alors même qu’elle continue d’envoyer à la boucherie des milliers de soldats immolés au nom de la démocratie occidentale et de ses intérêts impérialistes ; sous prétexte de lutter contre un nazisme ressuscité aux portes de Moscou, contre l’oppression des russophones du Donbass par les régimes ukrainiens pro-occidentaux et, bien sûr, contre le projet euro-américain de soumettre la Grande Russie à la domination occidentale par des pressions politiques et militaires à ses frontières, l’impérialisme russe en envoyant ses propres soldats à l’abattoir en Ukraine n’est lui aussi pas en reste : après la Finlande, les Pays baltes et la Pologne, tous embarqués dans le train de l’OTAN, il ne manquait plus à l’Occident euro-américain que l’Ukraine pour compléter le front est-européen sous les murs de Moscou. Evidemment, la Russie n’est pas restée en spectatrice.
Contre ces manœuvres occidentales, la guerre de la Russie, reportée depuis des années compte tenu des grands marchandages économiques établis avec l’Union européenne, liés surtout aux fournitures de gaz et de pétrole (l’Allemagne et l’Italie étant les plus gros acheteurs), et compte tenu alors de la possibilité de jouer ses propres cartes politiques en forçant l’orientation des gouvernements ukrainiens en sa faveur, est une guerre qui, tôt ou tard, ne pouvait qu’éclater : il fallait répondre à la guerre économique, politique et militaire que l’OTAN et les Etats-Unis en particulier ont menée depuis l’effondrement de l’URSS. En réalité, cette guerre n’a pas commencé en février 2022, mais lorsque le gouvernement pro-russe de Ianoukovytch a été renversé en 2014 et remplacé par le gouvernement pro-occidental de Porochenko, qui d’ailleurs n’a eu aucun problème avec le soutien parti néo-nazi Svoboda et l’incorporation dans la Garde nationale du fameux bataillon Azov, dont la foi dans le nazisme n’a jamais été cachée. Nous n’avons pas été et ne sommes pas impressionnés par la présence de personnages liés au nazisme dans un gouvernement démocratique, car nous avons toujours su que l’idéologie nazie (ou fasciste, c’est la même chose) n’est qu’une partie de l’idéologie bourgeoise correspondant à l’évolution de son pouvoir de la phase démocratique-libérale à la phase centralisatrice et monopolistique, donc impérialiste, pour laquelle historiquement le fascisme italien d’abord et le nazisme allemand ensuite ont donné beaucoup d’exemples de cette nécessité toute bourgeoise de compacter le pouvoir politique pour élargir et renforcer le contrôle, en particulier sur le prolétariat, dont le mouvement de classe a toujours été la véritable bête noire de la bourgeoisie. La tendance à la centralisation et au totalitarisme politique est une nécessité objective du pouvoir bourgeois, même du point de vue de la gestion des crises économiques que le capitalisme, au cours de son développement, n’a jamais réussi à résoudre. Au contraire, il les a rendues toujours plus aiguës et dévastatrices, au point de déboucher sur des guerres impérialistes mondiales. Cette tendance s’accompagne du besoin de toute bourgeoisie d’affaiblir politiquement et socialement le prolétariat et son mouvement, éventuellement en agissant de manière préventive en réduisant sa poussée de classe ou en le détournant du terrain de la lutte pour la défense de ses intérêts de classe vers le terrain de la collaboration interclassiste cimenté par le nationalisme le plus extrême utilisé comme carburant de la cohésion sociale si appréciée.
Nous avons déjà traité des raisons nationales et internationales de la guerre russo-ukrainienne dans plusieurs articles, rassemblés dans la première brochure consacrée à cette guerre (1). Voyons maintenant comment cette guerre a pris un caractère mondial bien que déguisée en guerre locale.
Les classes dominantes bourgeoises de chaque pays répondent en premier lieu à des intérêts certes de classe et nationaux, mais depuis que le capitalisme est entré dans sa phase impérialiste – le stade le plus élevé et final de son développement, comme l’affirmait Lénine en appliquant le marxisme –, elles entrent inévitablement en conflit les unes avec les autres au niveau international ; leurs intérêts nationaux se mêlent de plus en plus à leurs intérêts internationaux : si, dans les phases antérieures du développement du capitalisme, les intérêts nationaux des États les plus développés et les plus forts tendaient à s’étendre en faisant du marché mondial leur terrain de chasse, dans la phase impérialiste – c’est-à-dire dans la phase où règne le capitalisme monopoliste avec une forte concentration non seulement de la production et de la distribution, mais surtout de la finance – les territoires économiques, dont chaque pôle impérialiste est avide, de territoires séparés entre les continents et entre les pays, tendent à devenir un grand territoire économique mondial. Ainsi, les intérêts nationaux de chaque État ne se heurtent pas seulement aux intérêts nationaux d’autres États dans des territoires même éloignés de leur propre « nation », comme c’était le cas approximativement jusqu’à la Première Guerre mondiale, mais ils sont de plus en plus imbriqués dans les intérêts internationaux des capitalismes les plus puissants. Face à une production démente de marchandises à la recherche de débouchés sur n’importe quel marché, le besoin capitaliste d’écraser les capitalismes plus faibles, de soumettre les économies « nationales » aux besoins de l’économie « mondiale », c’est-à-dire aux intérêts des pôles impérialistes dominants, émerge avec une virulence croissante. A tous les niveaux, la concurrence – économique, politique, diplomatique, militaire – tend à se déplacer continuellement des segments de marché nationaux vers des quadrants multinationaux, continentaux et donc mondiaux.
Le même développement technologique de la production capitaliste nécessite également des quantités toujours plus importantes de matières premières que les pays capitalistes les plus développés ne possèdent que rarement dans leur propre territoire ou leurs aires de domination. Dans une partie des pays, certaines matières premières peuvent être présentes en abondance et l’industrie extractive peut être techniquement développée pour les mettre à la disposition de l’appareil industriel national, mais d’autres peuvent manquer et leur accaparement pousse les impérialismes les plus forts à s’affronter de plus en plus durement et, pour des raisons purement impérialistes, à utiliser tous les moyens à leur disposition – capitaux, protection politique, accords commerciaux, force militaire – naturellement au détriment de tous les autres pays concurrents, pour les empêcher d’en avoir une disponibilité exclusive. Au fil des siècles, la chasse aux matières premières indispensables à la production a conduit chaque capitalisme national à ouvrir de nouvelles voies de communication et à développer le colonialisme le plus aveugle et le plus féroce, pillant les territoires et massacrant les populations. Une attitude qui n’a jamais été abandonnée, même si, à la suite des luttes anticoloniales tenaces qui ont marqué les XIXe et XXe siècles, les grandes puissances coloniales ont dû entamer une « décolonisation » qui, en réalité, alors que le système capitaliste mondial restait en place, a pris de nouvelles formes, les formes impérialistes, lorsque l’occupation militaire, avec ses répressions et ses massacres, n’est pas suffisante ou s’avère trop coûteuse pour garantir ce que l’impérialisme colonisateur attend. Elles interviennent alors avec l’investissement de capitaux qui, au fil du temps, deviennent le principal vecteur de toute activité colonisatrice des pôles impérialistes les plus puissants. Capitaux et forces armées, tels sont les deux piliers de la domination impérialiste sur le monde. Certes, dans certains cas – comme les grands producteurs de pétrole, de gaz naturel ou de céréales – ces pays détiennent une carte décisive à jouer sur le marché international au profit de leur propre capitalisme, mais elle n’est que provisoirement décisive car l’enchevêtrement financier qui lie tous les pays aux performances des bourses et la capacité financière, économique, sociale et politique de chaque pays à résister aux chocs inévitables des crises périodiques du capitalisme, décide véritablement des rapports de force entre les pays impérialistes les plus puissants.
Tôt ou tard, les guerres commerciales, les guerres de concurrence, les guerres diplomatiques, les guerres économiques et financières débouchent sur des guerres armées qui remettent en cause les rapports de force existants. Les puissances dominatrices mondiales d’avant sont dépassées par de nouvelles puissances qui les relèguent au second ou au troisième rang, n’étant plus les acteurs principaux de l’économie mondiale. C’est ce qui est arrivé à l’Angleterre, l’ancien maître du monde, qui a été remplacée, avec la France, par les États-Unis et la Russie après la Seconde Guerre mondiale, tandis qu’aujourd’hui, les nouveaux « maîtres » de 1945 doivent traiter avec la Chine, qui a toutes les cartes en main pour remettre en cause la domination américaine pluri-décennale sur le monde. Cela ne signifie pas que les anciennes puissances capitalistes et coloniales aient perdu leurs ambitions impérialistes, se soumettant pacifiquement aux super-impérialistes de Washington ou de Pékin. Cela ne signifie pas non plus que les guerres qui ont ponctué les huit décennies écoulées depuis la fin du deuxième massacre mondial aient été menées sous la direction des pôles impérialistes les plus puissants, comme si ceux-ci étaient réellement capables de manœuvrer les mouvements de chaque bourgeoisie nationale en fonction de leurs propres intérêts exclusifs. Comme le disaient Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste de 1848 : « Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées. » : la classe dominante bourgeoise est comme l’apprenti sorcier, prisonnière des puissances de l’enfer – c’est-à-dire des moyens de production et d’échange capitalistes – qu’elle ne peut plus dominer, mais qui la domine.
Après pas moins de deux guerres impérialistes mondiales, ce qui se passe n’importe où dans le monde se répercute automatiquement sur les tables des grandes chancelleries impérialistes et, bien sûr, surtout sur celles de Washington, Pékin, Moscou, Londres, Paris, Berlin, Tokyo, pour citer les capitales des centres impérialistes les plus importants en ce qui concerne les zones que nous appelions autrefois « zones de tempête », mais qui deviennent de plus en plus des zones « d’ouragans », pour des raisons économiques, évidemment.
Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste de l’histoire, de l’économie et de la politique pour savoir que dans tout conflit, c’est la loi du plus fort qui prévaut. La force de toute classe bourgeoise est déterminée par un certain nombre de facteurs : économiques, sociaux, politiques, idéologiques et militaires. Plus le capitalisme est développé économiquement, plus sa classe salariée est également développée numériquement ou techniquement et liée au collaborationnisme interclassiste, et plus la domination politique et sociale de la classe bourgeoise nationale est forte. Donc, elle peut affronter les autres bourgeoisies à partir d’une position de force qui lui permet d’établir des alliances qui renforcent ses ambitions sur l’arène mondiale. Bien que les lois fondamentales du mode de production capitaliste n’ont jamais changé, les rapports de force entre les différents capitalismes ont assurément changé, toutefois ils se sont imposés à travers les guerres inévitables que les différentes bourgeoisies ne pouvaient que déclencher, compte tenu de la poussée inéluctable d’un développement toujours plus accéléré de l’économie capitaliste et de la nécessité pour chacune d’entre elles de conquérir des territoires économiques et donc des marchés, tant pour écouler leurs marchandises que pour s’emparer des matières premières nécessaires à leur production et des voies de communication permettant d’assurer leur commerce. Tout au long du travail d’accouchement, séculaire et contradictoire, de la nouvelle société capitaliste, le développement de certains pays s’est heurté au manque de développement des pays dominés, accentuant de plus en plus l’effet de ciseau entre les quelques pays extrêmement développés sur le plan capitaliste, et donc prêts à passer à la phase impérialiste, et les autres pays. Le développement inégal du capitalisme, dont Marx parlait déjà, n’a pas diminué avec le temps, bien que de nombreux pays, autrefois particulièrement arriérés, aient néanmoins atteint un certain développement qui les a violemment entraînés dans le marché mondial. Le ciseau ne s’est pas refermé, il s’est au contraire toujours plus ouvert. Quand on parle de développement du capitalisme, on ne parle pas seulement du développement indispensable de l’industrie au détriment des formes de production artisanales, voire précapitalistes ; on parle aussi du développement industriel de l’agriculture et des transports et, bien sûr, du développement du capitalisme financier ; dans ces domaines-là, très peu de pays ont une bonne indépendance industrielle, alimentaire et financière. Si l’on a beaucoup de fer ou de pétrole et peu de nourriture pour nourrir la population, et en particulier le prolétariat dont on extrait la plus-value, on ne résistera pas longtemps face à des concurrents qui, eux, parviennent à nourrir leurs prolétaires à l’intérieur et leurs soldats à l’extérieur. Certes, si un pays dispose de beaucoup de capitaux, il peut acheter non seulement du fer mais aussi des aliments aux pays qui les produisent pour le marché, mais le capital lui-même ne constitue pas une force toujours invariable, car sa force est tirée de l’économie productive réelle et des rapports de force établis internationalement sur le plan économique, politique et militaire.
Aujourd’hui encore, les États-Unis et la Russie sont deux superpuissances du point de vue de l’armement nucléaire ; tous deux sont capables de déployer une technologie avancée dans leurs armements respectifs et tous deux possèdent dans leur propre pays les matières premières fondamentales pour faire fonctionner leurs industries respectives et pour nourrir leurs propres populations qui, selon les chiffres actuels, sont de 147 millions pour la Russie et de 331 millions pour les États-Unis, ce qui signifie que les États-Unis peuvent théoriquement déployer une armée beaucoup plus importante que la Russie, mais qu’ils doivent nourrir plus du double de personnes que la Russie. Mais le rapport des forces entre eux ne se mesure pas seulement sur ces données de base, mais aussi sur le réseau d’intérêts économiques, sociaux, politiques, financiers et, bien sûr, militaires que ces deux puissances peuvent mettre en jeu internationalement. Deux puissances dont les territoires ne partagent pas de frontières communes et, pour l’une ou l’autre, ne peuvent pas être facilement envahies par la terre, et encore moins par la mer : l’Arctique à l’extrême nord et le Pacifique respectivement à l’est et à l’ouest des deux pays ne sont certes pas faciles à franchir ; de plus, dans le Pacifique, surgit une autre puissance, la Chine, de loin pas pro-américaine comme l’est la Grande-Bretagne, côté Atlantique. Il reste donc l’Europe, comme déjà en 1914 et 1939, où s’est joué le sort des deux précédentes guerres impérialistes mondiales et où, probablement, se jouera le sort d’une future troisième guerre mondiale, pour autant que le mouvement de classe et révolutionnaire du prolétariat en Europe, en Amérique ou en Chine ne se soulève pas contre celle-ci, dans un mouvement semblable à celui de 1917.
C’est pourquoi, après l’effondrement de l’URSS, et donc du condominium russo-américain sur l’Europe, l’avancée de l’OTAN, et donc des États-Unis, de l’Europe occidentale vers l’Europe orientale réunie, est devenue une manœuvre fondamentale dans la prochaine formation de guerre ; c’est pourquoi la Russie, dans la mesure où sa force économique, politique et militaire le lui permet après la débâcle de la Russie soviétique, ne lâchera pas sans combattre son emprise sur l’Ukraine. Comme nous l’avons déjà dit, la Russie – à part l’engagement sur de longues années et non temporaire des États-Unis et de l’Occident européen pour soustraire l’Ukraine à l’influence russe, comme ils l’ont fait avec tous les anciens pays satellites de l’URSS – n’a pas la force d’annexer l’ensemble de l’Ukraine ; elle ne peut aspirer qu’à diviser le pays en deux parties – comme elle a tenté de le faire en 1939, en accord avec l’Allemagne de Hitler, à l’égard de la Pologne, mais sans succès, et comme elle l’a fait avec la Corée lors de la guerre de 1950-51 – en plantant ses griffes en Crimée et dans le Donbass et en comptant sur l’amitié intéressée de la Chine de Xi Jinping, qui a tout intérêt – mais on ne sait pas pour combien de temps – à rivaliser avec les États-Unis, en leur montrant un front allié dont le noyau actuel est précisément la Chine et la Russie, avec l’appendice extrême-oriental de la Corée du Nord. Dans les projets actuels de Moscou, il y a au moins deux appendices européens : la Biélorussie, jusqu’à présent fermement aux côtés de la Russie, un morceau d’Ukraine et, pourquoi pas, la Transnistrie en territoire moldave.
La nouveauté de ces dernières semaines sur le front de la guerre russo-ukrainienne est la « contre-offensive » ukrainienne – apparemment confiée à ses meilleures troupes flanquées de mercenaires d’autres nations – qui se déroule non pas dans le Donbass, où les troupes de Zelensky continuent de perdre des vies et du terrain, mais sur le territoire russe, dans les régions voisines de Koursk et de Belgorod. D’après ce que soutiennent les différents médias internationaux, cette incursion aurait surpris à la fois Moscou – ce qui est probable étant donné que les défenses russes dans ces régions n’étaient pas particulièrement organisées – et les alliés les plus puissants de Zelensky (les États-Unis et le Royaume-Uni). Il est difficile de croire que le rassemblement de troupes et de chars ukrainiens à la frontière entre la région ukrainienne de Soumy et la région russe de Koursk, n’ait pas été secrètement convenu avec Washington et Londres et n’ait pas avant tout éveillé les soupçons des commandants militaires russes. Il n’en reste pas moins que dans ce territoire, difficilement franchissable compte tenu de sa morphologie, après les parties montagneuses, une étendue plate s’ouvre vers les villes de Soudja, nœud important des gazoducs qui acheminent le gaz russe vers l’Autriche et la Hongrie, « conquise » par les troupes ukrainiennes trois jours déjà après le début de l’incursion. Par ailleurs, il ne s’agit pas de la première incursion de l’armée ukrainienne dans ces régions : en mars dernier, des détachements ukrainiens armés y avaient déjà pénétré, restant dans la zone jusqu’au 7 avril avant de se retirer. Cette fois-ci, selon les propos de Zelensky, l’opération vise à établir une sorte de « zone tampon » aux mains des Ukrainiens, qui servira de monnaie d’échange lors de futures négociations avec Moscou ; il ne s’agirait donc pas tant d’une incursion que d’une opération militaire visant à occuper une partie du territoire russe. Dans la région se situe la centrale nucléaire de Koursk, l’une des trois plus grandes centrales nucléaires de Russie et l’un des principaux producteurs d’électricité du pays. En réalité, tout dépendra de la capacité de Kiev à soutenir une telle opération avec les forces dont elle dispose réellement et, surtout, de sa capacité à faire face à la réaction russe qui, bien entendu, ne se fera pas attendre. En fait, même s’il s’agit d’un succès « politique » temporaire, il a davantage les caractéristiques d’un pari visant certainement à remonter le moral des troupes ukrainiennes enlisées dans une longue guerre d’usure et à tenter de porter la guerre de façon permanente en Russie également. Les élucubrations journalistiques et les « experts militaires » occidentaux n’ont pas manqué pour attirer l’attention sur l’action stratégique de Scipion l’Africain, qui a finalement réussi à battre Hannibal et les Carthaginois non pas en Italie, mais sur leur propre sol et avec leurs propres « armes lourdes » (des éléphants à l’époque) ; une action stratégique qui a inspiré Zelensky, toujours selon les « experts » pro-américains, pour forcer les Russes à rappeler au moins une partie de leurs troupes du Donbass pour reconquérir les 1. 250 kilomètres carrés occupés par les Ukrainiens. Inutile de dire que Zelensky peut encore compter sur les dizaines de milliards de dollars supplémentaires que les États-Unis ont récemment approuvés, ainsi que sur des missiles capables de frapper la Russie à une distance de plus de 1 000 km, mais comme cela a été constamment répété, ni les États-Unis ni les États de l’UE ne sont disposés à faire la guerre à la Russie et à envoyer leurs propres troupes sur le front ukrainien.
Dans les projets actuels des chancelleries occidentales, il n’y a pas d’autre option que de sacrifier les Ukrainiens à la cause de l’impérialisme atlantique. Les prolétaires ukrainiens et les prolétaires russes ne peuvent attendre de l’escalade de la guerre, qui s’est déroulée ces derniers mois, et que les impérialistes occidentaux ont la ferme intention de prolonger – tant que ce sont les Ukrainiens et les Russes qui se massacrent tour à tour –, un avantage pour leurs propres conditions sociales futures. Qui profitera d’un pays à moitié détruit par la guerre comme l’est déjà l’Ukraine, qui sera reconstruite un jour ou l’autre et qui s’endettera pour de nombreuses générations à venir ? Les impérialistes occidentaux certainement et, dans une moindre mesure, l’impérialisme russe. Quel a été l’effet des sanctions économiques, commerciales et financières qui étaient censées frapper l’économie russe et la mettre à genoux tôt ou tard ? En réalité, ces sanctions ont affecté et affectent en particulier les pays européens alliés des États-Unis, qui aujourd’hui, s’ils ne dépendent pas du pétrole et du gaz russes, sont dépendants du pétrole des pays arabes et du gaz naturel américain, dont les prix sont plus élevés. Des sanctions qui, comme ne pouvaient plus le cacher les journalistes embarqués eux-mêmes, n’ont pas mis à genoux la Russie qui, au contraire, a continué à fournir ses matières premières énergétiques à des clients tiers et a également recommencé à les fournir aux mêmes « ennemis » européens : preuve que les lois du capitalisme ne suivent pas les diktats des chancelleries impérialistes, mais que ce sont elles qui doivent suivre, bon gré mal gré, les diktats du capitalisme avec toutes ses contradictions que la guerre armée ne fait qu’exacerber.
Et c’est précisément sur l’aggravation des contradictions du capitalisme que se joue substantiellement le sort de la guerre impérialiste et de la reprise du mouvement de classe du prolétariat. Que les conditions générales s’accélèrent pour une guerre mondiale dans laquelle le monde sera divisé en deux blocs impérialistes adversaires déployant leur maximum de force économique et militaire, c’est un fait. Et ce n’est pas tant la question d’une guerre mondiale qui se déroule depuis un certain temps « en morceaux » – comme l’a dit le pape – puisque, de ce point de vue, les conditions de la troisième guerre mondiale ont déjà été créées pendant et après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En 1947, nous écrivions dans les Thèses de la Gauche : « Au lieu d'un monde de liberté, la guerre aura engendré un monde de plus grande oppression. Lorsque le fascisme, apport de la phase la plus récente de l'économie bourgeoise, eut lancé son défi politique et militaire aux pays où le mensonge libéral, quoiqu’historiquement dépassé pouvait encore circuler, le libéralisme agonisant n'eut plus que deux possibilités : ou adopter les méthodes du fascisme, ou subir la victoire des Etats fascistes. La guerre ne fut donc nullement un conflit entre deux idéologies ou deux conceptions de la vie sociale, mais la progression nécessaire de la nouvelle forme politique de la domination bourgeoise, encore plus totalitaire et autoritaire, encore plus résolue à tous les efforts contre la révolution. » (2). Le monde bourgeois des décennies suivantes, au-delà des bavardages sur la « démocratie retrouvée » grâce à la victoire « sur le fascisme », a prouvé qu’il en allait exactement comme notre parti l’avait prédit ; et il ne s’agissait pas d’une chanceuse prédiction « juste », mais d’une prédiction due à l’application correcte du marxisme.
Et le mouvement de classe du prolétariat, comment s’est-il comporté et comment aurait-il dû se comporter ? Il a été frappé par la contre-révolution stalinienne qui l’a complètement estropié en en faisant un succube de l’idéologie bourgeoise super-nationaliste tant dans la version démocratique que fasciste, facilitant ainsi l’application de la politique fasciste de collaboration de classe, en temps de paix comme en temps de guerre, et a été organisé et encadré, sur les deux fronts de guerre opposés, en soutien de l’impérialisme à l’intérieur, en se faisant passer, d’une part, comme la lutte contre les « ploutocraties » et leurs empires coloniaux et, d’autre part, pour la lutte pour la « liberté » et contre toutes les formes de « totalitarisme ». En réalité, les deux camps bellicistes n’étaient rien d’autre que deux blocs impérialistes qui se combattaient pour se partager le monde de manière totalitaire. Le prolétariat des deux fronts de guerre a été amené à s’attendre à un changement radical de la situation dans laquelle il était plongé « non pas de la guerre de classe, mais d’une issue donnée de la guerre des Etats » (3). Cela représentait déjà une victoire du monde bourgeois sur le prolétariat international que les conséquences dramatiques de la guerre elle-même auraient pu inciter à reprendre sa lutte de classe anti-bourgeoise et anticapitaliste.
Dans la guerre, le bloc impérialiste démocratique l’a emporté sur le bloc impérialiste fasciste : et comment s’est donc présenté le monde ? Relisons ce qu’affirme le parti dans l’article cité plus haut : « Cette victoire créera les bases d'une continuation de l'ère impérialisto-fasciste ; cette superstructure du capitalisme prévaudra dans tous les grands pays du monde, appuyée sur une constellation de grands Etats, maîtres des classes travailleuses des métropoles, des colonies et de tous les Etats mineurs de race blanche. » (4), une constellation dans laquelle la nouvelle Russie est entrée avec les plus grands mérites contre-révolutionnaires et dans laquelle, après une période de séparation, la France y entrera également, tandis que l’Allemagne, militairement occupée par les Alliés et divisée en deux, reviendra néanmoins jouer un rôle décisif dans les rapports de force économiques et politiques qui se développeront dans l’après-guerre, au point de devenir l’un des facteurs de la crise de l’emprise de l’impérialisme soviétique et l’un des facteurs décisifs de la politique européenne sur le marché international.
Cette constellation de grands États, adoptant – bien que masquée par des formes démocratiques désormais impuissantes – les méthodes totalitaires et centralisatrices que l’Allemagne nazie a été la première à mettre en œuvre avec succès en termes de performances techniques, politiques et militaires, a confirmé les prévisions marxistes sur le développement du capitalisme dans la phase impérialiste, dans laquelle précisément s’est accrue l’oppression par ces grands États des classes ouvrières dans leur propre pays et dans les autres, et ensuite par les États plus faibles. Dans le même temps, alors que les contrastes inter-impérialistes augmentaient inévitablement et que le danger d’affrontements armés à grande échelle s’accroissait, augmentait également l’activité des forces opportunistes qui continuaient à poursuivre, bien que sous des formes « nouvelles » et face à des situations « nouvelles », leur tâche de tromper, détourner, paralyser et vaincre le mouvement prolétarien dans ses tentatives de reprise de la lutte de classe. Mais, compte tenu de la quantité et de la qualité toujours croissantes des forces opportunistes que les pouvoirs bourgeois soutiennent, alimentent et organisent – surtout pour accroître toujours plus la concurrence entre les prolétaires et, en même temps, renforcer les conditions matérielles des couches supérieures du prolétariat afin de cimenter la collaboration de classe –, il est clair que la bourgeoisie au pouvoir dans n’importe quel pays, en particulier dans les grands Etats, sachant que les contradictions de son système économique conduiront les larges masses prolétariennes à se rebeller violemment comme par le passé, cherche à agir et agira par tous les moyens pour empêcher la reprise de la lutte de classe par le prolétariat.
Aujourd’hui plus qu’hier, en tant que classe antagoniste de la bourgeoisie et porteur d’une nouvelle société humaine basée sur l’élimination de la division en classes et donc du système économique capitaliste, le prolétariat apparaît non seulement impuissant mais historiquement perdu. A travers les grands Etats impérialistes, la bourgeoisie se présente comme puissante et invincible, capable de sortir des crises qui la frappent cycliquement en remettant en marche la grande machine à profit capitaliste. Elle apparaît ainsi en 1848, 1871, 1914, 1917 et après la seconde guerre mondiale face aux mouvements anticoloniaux ; mais elle est la première à douter de sa propre puissance. Même dans sa dernière phase impérialiste, les conflits et les crises qui ponctuent inexorablement le cours du développement capitaliste lui reposent sans cesse le grand problème : réussirai-je à maintenir mon prolétariat dans le cadre de la défense de mes intérêts politiques et économiques ? Parviendrai-je à séduire le prolétariat que j’opprime pour entrer dans une guerre de défense de mes intérêts politiques et économiques ? Parviendrai-je à empêcher le prolétariat de l’un quelconque des pays décisifs pour la préservation de la société de s’engager sur la voie de la lutte de classe et révolutionnaire ?
Si l’on considère les huit dernières décennies, depuis la fin de la deuxième boucherie impérialiste mondiale, la bourgeoisie a réussi, et comment ! Mais l’histoire des sociétés divisées en classes s’est déroulée et se déroule non pas en décennies mais en siècles, et le développement inégal du capitalisme confirme que même la lutte de classe du prolétariat se développe matériellement de manière inégale dans les différents pays. Toutefois, contrairement au développement de la lutte de classe de la bourgeoisie contre les classes féodales, la lutte de classe du prolétariat ne se fonde pas sur un mode de production supérieur déjà né et développé dans le cadre des relations bourgeoises de production, d’échange et de propriété, et n’est pas confinée à l’intérieur des frontières de l’État x ou y : il s’agit fondamentalement d’une lutte politique, visant à conquérir le pouvoir politique central de tous les États, tout en commençant son parcours révolutionnaire dans un ou quelques États. Le prolétariat est fondamentalement une classe internationale, et il le doit précisément à la bourgeoisie, qui, tout en fondant sa force dominante sur des territoires nationaux, ne pouvait et ne peut pas gérer le développement du capitalisme, dont elle est totalement dépendante, dans les limites nationales.
Certes, comme Marx et Engels l’ont déclaré dans le Manifeste de 1848, la lutte des prolétaires commence d’abord chez eux, contre leur propre bourgeoisie nationale, mais sa victoire ne sera jamais consolidée si la lutte révolutionnaire ne s’étend pas à d’autres États, donc si les prolétaires des autres pays ne suivent pas la même voie, en luttant d’abord contre leurs propres bourgeoisies nationales.
L’histoire des luttes de classes a déjà donné cette leçon. Il s’agit de la mettre en pratique et ce n’est certainement pas une simple question de volonté. Quelle est la leçon que notre parti a tirée de l’histoire des luttes de classes, quel est le bilan tiré de la deuxième guerre impérialiste mondiale ?
Revenons à l’article de 1947 déjà cité qui, en conclusion, déclare :
« Face à cette nouvelle forme du monde capitaliste, le mouvement prolétarien ne pourra réagir que s'il comprend qu'il ne faut pas regretter la fin de l'époque de tolérance libérale, d'indépendance et de souveraineté des petites nations. L'histoire n'offre qu'une seule voie pour éliminer toutes les exploitations, toutes les tyrannies et toutes les oppressions : l'action révolutionnaire, de classe, qui dans chaque pays, qu'il soit dominant ou dominé, dressât la classe travailleuse contre la bourgeoisie locale, en complète autonomie de pensée, d'organisation, d'attitude politique, d'action et de lutte ; l'action révolutionnaire qui regroupât les forces des travailleurs du monde entier dans un organisme unitaire dont l'action ne cessera pas avant le renversement complet des institutions capitalistes, se développant par-dessus les frontières, en temps de paix et en temps de guerre, dans des situations considérées comme normales ou comme exceptionnelles, prévues ou imprévues par les schémas philistins des traîtres opportunistes. » (5).
Notre perspective ne change pas et ne changera pas non plus pour les prolétaires ukrainiens ou russes, américains ou européens, chinois ou japonais, sud-américains ou africains. Nous, communistes révolutionnaires, continuons à travailler dans le sens de cette perspective, confiants que le prolétariat pourra se mettre en mouvement comme classe lorsque les contradictions sociales de plus en plus aiguës feront mûrir les conditions favorables à l’inévitable reprise de la lutte de classe.
(1) Voir Guerre russo-ukrainienne. La guerre russo-ukrainienne de son déclenchement à la «contre-offensive» de Kiev ; brochure « le prolétaire », n° 39 - Mai 2024. Voir https://www.pcint.org
(2) Voir Cours historique du mouvement prolétarien. Guerres et crises opportunistes, de la série des « Thèses de la gauche », paru dans la revue d’alors « Prometeo », n° 6, mars-avril 1947. Paru en français dans notre revue « programme communiste », n° 13, octobre-décembre 1960, p.48
(3) Ibid., p. 50
(4) Ibid., p. 50
(5) Ibid., p. 50
22 août 202
Parti Communiste International
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