Dialogue avec les Morts
( Le XXe Congrès du parti Communiste Russe )
( «Dialogue avec les Morts» a été publié dans notre journal de l'époque «Il programma comunista», numéros 5, 6, 7, 8, 9, 10, 13, de 1956. Il sera aussi publié au complet aux éditions «il programma comunista» en 1956, avec quelques compléments: «Repli et déclin de la révolution bolchévique / L’opposition mensongère entre les formes sociales de Russie et d’Occident / Le système socialiste à la Fiat?» )
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Sommaire
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--Présentation de la réédition de «Dialogue avec les Morts»►--Dialogue avec les Morts:
●--Troisième journée: Après-midi
●--Troisième journée: Fin d’après-midi
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--Complément au Dialogue avec les Mortsa) Repli et déclin de la révolution bolchévique
b) L’opposition mensongère entre les formes sociales de Russie et d’Occident / Le système socialiste à la Fiat?
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--«Dialogue avec Staline»: Sommaire - Synthèse
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Compléments au «Dialogue avec les Morts»
La Russie dans la grande révolution et dans la société contemporaine
(Les deux textes présentés ci-dessous, Première et Deuxième séance, sont tirés du compte rendu de la réunion interfédérale de Turin du 19-20 mai 1956, paru dans «Il programma comunista» n° 12 du 5-12 juin 1956 et n° 13 du 15-29 juin 56, sous de titre général de «Russia nella grande rivoluzione e nella società contemporanea»)
Deuxième séance
L’opposition mensongère entre les formes sociales de Russie et d’Occident / Le système socialiste à la Fiat
Nous passerons outre aux exigences de l’équilibre entre les différentes parties d’un discours bien construit. Ce qui suit répète en effet sous une autre forme le contenu de la «Soirée» de la Troisième Journée du présent Dialogue. Nous nous contentons de rectifier quelques chiffres arithmétiquement non rigoureux et de les mettre en accord entre eux. La répétition, le bis in idem n’a pas d’importance; c’est même un avantage. Dans notre réunion de mai 1956 à Turin, nous avons repris certains points de ce Dialogue sur la demande des lecteurs du périodique dans lequel il est paru, suivant de près dans son bruyant développement ce que des imbéciles ont appelé la crise du communisme, alors que c’est celle de l’anticommunisme.
Il ne s’agit pas ici d’une œuvre d’auteur, mais d’un travail impersonnel, que nous n’appellerons pas «collégial» pour ne pas nous servir, même tant soit peu, de la terminologie des pharisiens de notre époque. Nous pouvons donc violer sans hésitations les normes de la Rhétorique, qui fut une discipline scientifique en des temps plus dignes, mais qui n’est plus qu’une pratique malsaine, à laquelle la classe dominante en agonie s’adonne dans les temples, tel celui de Rome qui portait en épigraphe à son fronton ce titre expressif: «l’Egout».
Que l’ombre de Cicéron nous pardonne, lui dont on fait traduire aux bacheliers ce passage solennel: «Hoc in omnibus item partibus orationes evenit, ut utilitatem et prope necessitatem suavitas quaedam et Iepos consequatur». Ce qui pourrait se traduire ainsi: «Celui-ci (c’est-à-dire le lien entre la valeur décorative d’une œuvre et son adaptation à des buts pratiques, à sa fonctionnalité dirait-on aujourd’hui, dont il avait été question plus haut) existe également pour les diverses parties d’un discours de sorte que de l’efficacité et du caractère presque nécessaire de sa construction résulte une certaine élégance agréable et savoureuse».
Ici, nous sommes de robustes ouvriers qui battons sur des clous que nous n’avons pas nous-mêmes forgés. Nous pouvons donc violer les «modules» esthétiques qui règlent les rapports des différentes parties du discours, mais non pas renoncer à revenir sur le principal point: celui de la nature capitaliste de la société russe. Allons, camarades, enfonçons ce clou-là!
12. LE RYTHME DE L’INDUSTRIALISATION
Le centre de la question réside dans l’affirmation suivante des Russes: ce qui démontre que le système soviétique est différent du système capitaliste et de plus lui est supérieur, c’est que, en Russie, la production industrielle augmente toujours d’année en année, et chaque fois d’un pourcentage plus grand par rapport au produit total de l’année précédente que dans aucun pays du monde et à aucune autre époque de l’histoire.
Nous avons démontré ce qui suit: 1) Il est faux que ces rythmes élevés soient propres à la Russie. 2) Il est faux qu’on n’y ait jamais assisté dans l’histoire avant aujourd’hui. 3) Même si la Russie connaissait le rythme maximum, et un rythme supérieur à celui de tout autre cas historique, il est faux que cela prouverait qu’elle n’est pas capitaliste. Mais ceux à qui nous avons fait cette démonstration sont bien trop affairés pour répondre, et il n’y a d’ailleurs rien à répondre à cela.
Les faits et les chiffres une fois rétablis, la conclusion est certaine: la structure économique et sociale de la Russie est purement capitaliste.
Dans la partie finale de ce Dialogue, nous nous sommes appuyés sur la froide statistique pour tirer cette ardente conclusion: c’est justement parce que le capitalisme anglais, le premier du inonde, le capitalisme-modèle, a présenté les mêmes phénomènes que ceux qui se manifestent aujourd’hui en Russie et qui ont été exaltés avec la même conviction à l’époque où Staline était un demi-dieu et à celle où il n’est plus que la moitié d’un homme; c’est justement à cause d’eux qu’en 1866 Karl Marx lança son impétueux assaut historique à l’ivresse satanique de la bourgeoisie et du chancelier de Sa Majesté le Capital, le sieur William Ewart Gladstone, précurseur des maîtres actuels du Kremlin.
De son vieil et principal ennemi, Marx écrit ce qui suit dans la note 185/a du Premier Volume du Capital: «Menacés de se voir soumis à la législation sur les fabriques et de «perdre la liberté» d’exploiter sans limites les femmes et les enfants, les capitalistes ont trouvé dans le ministre libéral anglais Gladstone un serviteur de bonne volonté».
Vanter les merveilles d’une production industrielle en plein essor prouve historiquement non que l’on soit socialiste, mais que l’on sert avec dévouement le capitalisme; le changement de lieux - Londres ou Moscou - et de dates - 1856 ou 1956 - ne change rien à l’affaire!
13. DANTESQUE VISION D’AVENIR DE L’ENFER BOURGEOIS
Le lecteur a pu consulter le tableau groupant les chiffres publiés dans Programma Comunista, 1956, n° 13. Rappelons qu’ils sont de source exclusivement russe, et donnons un seul avertissement: en général, nous n’avons pas reproduit les indices annuels des tableaux dont nous sommes partis, mais seulement les augmentations relatives. Par exemple dans le tableau que l’on trouve au début du rapport Kroutchev, l’indice de la production industrielle russe est fixé à 100 pour 1929. Nous trouvons, pour 1946, 466 et 2.049 pour 1955. Nous ne rapportons pas ces chiffres, nous contentant de donner l’augmentation de la production au cours de ces neuf ans, soit 340 % (en d’autres termes, en 1955, on a produit 4,4 fois le produit de 1946) et d’en déduire l’augmentation annuelle moyenne, qui est de 18 % (ce qui n’empêche pas, répétons-le pour la millième fois, que neuf fois dix-huit fasse 162 et non pas 340).
La méthode employée pour élaborer ce simple tableau n’a nul besoin d’être défendue par un brevet déposé au nom d’un imbécile quelconque. Nous avons simplement distingué, du point de vue chronologique, des périodes caractéristiques, surtout, dans le but de montrer qu’outre le fait (et non pas la loi) du développement inégal, elles prouvent le caractère international du processus découvert par le marxisme.
Avec ce système parfaitement clair, nous avons débarrassé le terrain des petits jeux auxquels Moscou et ses services annexes se livrent avec rage, entremêlant les différentes périodes. Par exemple: la production russe est vingt fois supérieure à celle de 1929, tandis que la production américaine l’est seulement 2,34 fois. Si l’on se réfère à 1913, le rapport est de 36 pour la Russie, et seulement de 3,5 pour l’Amérique. La différence n’est pas trop grande. Mais si l’on part des époques de plus grandes dépressions, de 1920, pour la Russie, l’augmentation est encore plus spectaculaire: 160 fois (!) en 35 ans. De 1932, pour l’Amérique, on a également un fort bond: 4,4 fois en 23 ans seulement (de 54 à 234).
Dans le tableau de Kroutchev (cf. le bulletin supprimé depuis, «Pour une paix durable», 1956, n° 7), nous trouvons un autre sommet de la production américaine: 215, en 1943 (c’est-à-dire en pleine guerre, quand on produisait là-bas des armes pour les faire employer par les prolétaires russes) chiffre qui, rapproché de celui de 1932, donne une augmentation de 4 fois en 11 ans seulement. Pendant le même laps de temps, la Russie passe de 185 à 573. Voilà les rapports inversés: Russie: 3,1; Amérique: 4.
Enfin, à consulter seulement le tout récent tableau de Kroutchev, pour la période de 1937 à 1943, on trouve que la production russe passe de 428 à 573, soit 1,33 fois plus en six ans, tandis qu’on a, pour les Etats-Unis, respectivement 103 et 215, soit 2,1 fois plus, rapport bien supérieur au russe. La thèse à sensation se renverse!
Les jeux malhonnêtes, dont nous nous sommes débarrassés en établissant notre tableau, fondé tout entier sur des données de source russe, sont le propre de tout ce qui émane officiellement des centres politiques, qu’ils soient de l’Est ou de l’Ouest. Voilà tout.
14. LOIS DE L’ACCUMULATION
Dans les indications placées au bas de notre tableau, on trouvera les conclusions que peut normalement en tirer le lecteur qui le consulte avec un œil sur la carte du monde et un autre sur les 60-70 années d’histoire qui ont passé sur les carcasses vigoureuses ou fragiles de la génération qui est sur le point de disparaître.
De telles correspondances répètent, en d’autres termes, la loi générale de l’accumulation capitaliste que le marxisme a établie au début de tout le cycle.
Cette loi simple a été dénaturée par la plupart de ceux qui l’invoquent, et elle l’a été de façon particulièrement monstrueuse par Staline dans son écrit économique de vieillesse Les Problèmes économiques du Socialisme en U.R.S.S., nullement rectifié par le XXème Congrès qui, tout au contraire, a marqué une nouvelle déviation par rapport à la ligne de Marx. Cette loi peut être formulée de la façon suivante: la production capitaliste accroit la «richesse» sous forme d’une masse toujours plus grande de marchandises à cause de l’augmentation continue de la production. Mais cette augmentation donne non pas la mesure des avantages que la société en retire (si l’on n’entend pas par société la seule classe minoritaire), mais celle de l’accroissement des risques de ruine et de misère. La course à l’accumulation s’accompagne d’une concentration de la richesse dans «un nombre toujours plus réduit de mains» et, à la fin, (Marx) dans une seule main qui n’est plus celle d’un homme (Russie). Les ex-possesseurs d’une fraction de la richesse vont grossir l’armée du travail, c’est-à-dire de ceux qui vivent seulement en vendant leur force de travail si et quand ils travaillent, et qui (avec le temps) améliorent leur sort si et quand ils travaillent. Voilà dans quel sens la misère est croissante en régime capitaliste.
L’allure de l’accumulation comporte des avances et des reculs. Par suite soit des crises de surproduction, soit des guerres sanglantes de concurrence mercantile (impérialisme), elle se transforme en recul, avec d’immenses destructions de produits et d’instruments de travail.
Le secret de cette marche de l’accumulation sur laquelle se sont successivement excités les Gladstone et les Staline-Kroutchev, est le suivant. Rythme positif: le capital se concentre et, du fait que de nouvelles masses ont été expropriées (artisans, paysans, petits entrepreneurs), la misère croît en même temps que la richesse (Marx parle de «Die Masse des Elends», littéralement la «masse de la misère»). Voyons maintenant le rythme négatif: la diminution de la production signifie chômage; la crise commerciale entraîne la faillite des entreprises les plus faibles et la chute des revenus les plus bas: tous dévorent leurs ultimes réserves. La richesse n’augmente pas, elle baisse. Grâce au capitalisme, dans un cas comme dans l’autre, la misère grandit partout et toujours!
L’enthousiasme pour les périodes de croissance de la production ne convient donc, quels que soient le lieu et l’époque, qu’aux seuls amis et serviteurs du Capital.
Si l’on fait abstraction des crises générales cycliques du marché et de leurs effets, ainsi que des guerres mondiales, la loi de la progression géométrique de la production chère à Staline et à Boulganine (mais qui, quand on passe du domaine industriel à celui de l’agriculture, se tord comme une vipère entre leurs mains, de même que jadis entre celles de Bentham-Gladstone !) conduirait à une montagne de marchandises inconsommables tellement fabuleuse que seule sa loi interne de baisse historique du taux moyen du profit évite au capitalisme de sauter.
Pour l’économie marxiste, le taux du profit est proportionnel à celui de l’accumulation. Nous appelons profit la part du produit total restant au capitaliste, qu’elle soit destinée à la consommation de la classe dominante ou à de nouveaux investissements de capital. Il est clair que c’est la seconde destination qui prévaut tout au long de l’évolution. Le taux du profit est chez Marx le rapport de cette part patronale à la totalité du produit (pour nous: capital; pour les bourgeois: chiffre d’affaires) et non pas à la valeur réelle ou nominale des instruments de production (installations de l’entreprise productrice) que les bourgeois confondent tantôt avec le patrimoine, tantôt avec le capital de l’entreprise lui-même. Dans les sociétés anonymes, ce capital s’exprime dans l’ensemble des actions, qui, pourtant, donnent des chiffres différents selon que l’on considère leur valeur nominale d’émission ou celle qui est cotée en Bourse.
De toutes façons, le profit retiré par une entreprise et la partie qui en est distribuée varie comme le produit annuel défalqué de tous les frais (chez Marx: le capital variable et constant.)
La loi générale du ralentissement historique de la croissance productive est donc en principe l’expression d’une autre loi fondamentale: la tendance à la baisse du taux moyen du profit que, par une erreur énorme. Staline et Fils croient remplacée par une loi du profit maximum. Il est vrai qu’ils ont prétendu lire cette stupidité dans l’histoire léniniste de l’impérialisme, du surprofit et du profit de monopole; mais la bourde est encore plus énorme, car dans cette théorie de Lénine, aucun des théorèmes de l’économie de Mars ne peut paraître ébranlé ou même seulement tant soit peu touché à quiconque est à jeun et dans tout son bon sens.
Ces économistes, qu’ils ne sont ni l’un ni l’autre, n’ont pas su lire dans Marx comment, loin de trouver son salut dans l’éternité d’une Libre Concurrence angélique, le Capitalisme est condamné à tomber sous les coups de la divinité vengeresse du Monopole. C’est là un processus que, dans la science économique, la seule loi du profit ne permet pas de découvrir: il faut pour cela lui ajouter la Théorie de la Rente.
15. EN PARCOURANT LE TABLEAU
Les indications données à propos du tableau n’ont pas besoin d’un commentaire plus ample; un tableau est un instrument dont chacun peut se servir.
Dans le nôtre ne figurent évidemment pas les chiffres concernant les premiers pas des capitalismes les plus vieux, le capitalisme anglais surtout. Ce dernier n’apparaît dans notre tableau qu’à un moment où son rythme d’accumulation est déjà lent (environ 3 %) et même inférieur à celui de tous ses concurrents. Les guerres n’ont pas renversé ce rythme: c’est ici l’occasion de nous désespérer une nouvelle fois de l’invulnérabilité militaire de cette île. Si nous croyions aux si en histoire, nous dirions que le fait que Bonaparte ait misé une mauvaise carte nous coûte un siècle de socialisme!
La première guerre a ruiné tous les belligérants européens, même la France victorieuse; mais ceux d’Outre-Mer font mieux que l’Angleterre: au lieu de rester stationnaires, ils avancent à un rythme modéré, mais positif: Amérique, Japon.
Saturé de richesse et de puissance, le capitalisme anglais, lui, dort pendant 17 ans sur les lauriers du temps de Gladstone. Vers 1860, Marx calculait des augmentations de 7-8 % et même plus, c’est-à-dire des indices égaux à ceux qui caractérisent l’entrée en scène de la France et de l’Allemagne vers la fin du siècle. Mais nous avons montré comment, plus tôt encore, dans les années 1830-1860, les rythmes étaient plus élevés en Grande-Bretagne même, égalant ceux que les Etats-Unis, le Japon et la Russie atteindront à la fin du siècle.
Les Etats-Unis ont traversé la seconde guerre avec un avantage encore marqué, et ils ont conservé celui-ci même au cours de la présente phase de reconstruction, avec un rythme plus bas cependant qu’au début du XXème siècle.
L’Angleterre, elle, a connu un léger fléchissement pendant ce second conflit dont elle s’est tirée avec moins de gloire et elle réagit dans la phase actuelle par une accélération relative de la production dont le rythme rejoint, ou presque, celui des Etats-Unis.
La France, une nouvelle fois victorieuse, mais durement éprouvée, a connu une diminution de la production pendant la guerre, mais aussi une reprise exceptionnelle par la suite, tout comme dans la reconstruction de 1920.
Dotée d’un équipement modèle, la puissante Allemagne a subi un chute vertigineuse au cours des deux guerres, mais elle est remontée d’autant plus audacieusement. Dans ce second après-guerre, elle bat tout le monde, la Russie y compris avec 22,2 % d’augmentation annuelle moyenne contre 18 à cette dernière. Mais il y a plus: en 1955, la Russie en est à 12 et se contente d’atteindre 11,5 % avec son nouveau plan quinquennal. En 1955, l’Allemagne atteint au contraire son rythme maximum, plus de 23 %. Aujourd’hui, l’Allemagne de Bonn industrialise à une vitesse double de celle de la Russie. Dans la production agraire, elle va quatre fois plus vite, pour être modeste. Eh bien, où est le socialisme? Ni chez l’une, ni chez l’autre mais il viendra d’abord en Allemagne!
L’effet de la seconde guerre sur le Japon a été inverse de celui de la première (-12,5 contre + 7,0). La chute a été aussi précipitée qu’en Allemagne. La reprise actuelle est inférieure à la reprise allemande, mais égale à la russe; avec la même différence qu’entre ces deux dernières, c’est-à-dire qu’elle s’accentue dans les dernières années et que cela continuera. En Russie, au contraire, le rythme d’augmentation s’abaisse: il s’abaisse, comme notre tableau l’indique, c’est-à-dire comme les dirigeants russes le disent, par rapport à 1920, année où le pays commença à sortir du précipice où le premier conflit impérialiste et la guerre civile terrible, quoique victorieuse, l’avait jeté (-20 contre +34). Le plus grand rythme de diminution de la production que l’on constate pour les deux guerres est un -12: pendant le premier conflit, la Russie tomba à -20, c’est-à-dire qu’en dix ans, la production passa de 100 à 12,5, soit à un huitième de ce qu’elle était.
16. LES CRISES SONT PIRES QUE LES GUERRES
Notre tableau comporte une chute verticale de la production plus impressionnante que celles des guerres. Elle est relative au vendredi noir américain de 1929 qui provoqua un recul catastrophique de la production de 1930 à 1932 avec tout un cortège de faillites, de fermetures d’entreprises et de chômage général.
La crise eut son effet maximum aux Etats-Unis et donna le seul indice négatif de production de leur histoire. Mais quel indice: une moyenne annuelle de -18,4%! Quelle en est l’explication? Pour nous, elle est claire: le seul pays qui, non seulement a vaincu dans la guerre, mais a continué à développer l’appareil industriel de production est condamné par la loi de Dante-Marx à tomber dans le cercle le plus profond de l’Enfer. Qu’il en soit ainsi!
L’Allemagne qui avait déjà subi une chute pendant la guerre, est durement touchée par la crise et voit sa production diminuer au rythme rapide de 13,8 %. En France, elle tombe également, mais seulement au rythme de 11,6 %. La Grande-Bretagne, étroitement liée à l’époque à l’économie américaine (beaucoup plus qu’aujourd’hui) ne résiste qu’à peine un peu mieux. Toutefois, entre la crise de 1930 à 1932 et la guerre, il y a une nouvelle reprise générale. Les Etats-Unis remontent avec un vigoureux 11 % annuel positif. La Grande-Bretagne, sortant d’un sommeil économique de près de vingt ans par pléthore de richesses, les talonne avec 10 %, comme si Gladstone s’était soulevé anxieusement hors de sa tombe. La France, après tant d’épreuves, réagit au contraire assez peu. L’Allemagne fait un nouveau miracle et remonte (nous sommes à l’époque d’Hitler et d’un capitalisme d’Etat qui rappelle la structure russe) avec 13,4 %.
Mais quel est l’effet de la crise américaine hors d’Europe? Le Japon en accuse les coups en restant pendant trois ans sur les mêmes positions. Puis il remédie à cette situation pendant les bonnes années avec une reprise rapide: 12%. Appliquons l’augmentation totale de 75 à la période de huit années qui va de 1929 à 1937: la cadence de l’augmentation moyenne est d’un peu moins de 7% par an, ce qui concorde parfaitement avec la loi historique de la décroissance horizontale. Au cours de ces derniers dix-huit ans, les indices japonais, qui diminuent tout d’abord pour remonter ensuite, varient selon Kroutchev de 169 à 239, soit une augmentation totale de 41 %. Le rythme annuel moyen est plus bas: 2 %. L’impressionnante reprise du Japon ne dément pas la loi du ralentissement. La reprise allemande non plus: de 114 à 213 en dix-huit ans, cela donne 87 %, mais annuellement pas plus de 3,5 % environ. La Russie elle-même qui, de 1937 à 1955, passe de 429 à 2049, soit 370 %, à un rythme annuel de 9 % seulement, tandis qu’en remontant dans le passe, nous trouvons 20; 22,8 et 34 %. La loi générale subsiste en plein.
17. OBJECTIONS DE LA CONTRE-THESE
Considérant ce substantiel 34 % russe, l’adversaire pourrait nous objecter que c’est bien là l’indice le plus élevé du tableau. Comment le fait s’explique-t-il?
Tout d’abord, nous avons à faire au plus jeune des capitalismes concurrents, et ce premier élément concorde donc pleinement avec le processus général. En outre, l’indice de 34 fait immédiatement suite à la dégringolade la plus spectaculaire de tout le tableau: 20 % par an, pour les raisons énoncées plus haut. Et si, comme nous l’avons fait pour d’autres cas, nous additionnons les deux périodes successives, pour en former une de seize années allant de 1913 à 1929, les indices passent, selon nos données, de 72 à 126, ou bien de 100 à 175. 75 % d’augmentation en seize ans; cela n’est pas énorme: cela correspond à une augmentation moyenne annuelle de 4% environ; on a donc le ralentissement normal du rythme par rapport aux données précédentes du capitalisme tsariste. Le chiffre élevé de 34 % dérive du niveau extrêmement bas de 1920. En effet, le nouveau capitalisme est tout à fait dans l’enfance. Le capitalisme tsariste s’était éteint en 1920: une chute de 87 %, c’est-à-dire, en sept ans, une réduction de la production à un huitième de ce qu’elle était, nous ne la trouvons nulle part ailleurs dans notre tableau. Malgré leur écrasement dans la seconde guerre mondiale, l’Allemagne et le Japon avaient pourtant maintenu, après neuf ans, leur production à 30 et 31% et ils gardaient le pied à l’étrier pour la reprise.
Mais on peut nous faire une autre objection; comme nous ne sommes payés par personne, nous ne la passerons certainement pas sous silence. C’est que la Russie a traversé la crise mondiale de 1929-32 comme une salamandre. Elle n’a pas fait comme le Japon qui s’est contenté de rester au même indice pendant ces trois ans, mais elle a continué sa progression à un rythme très soutenu: 22,8%. Cet indice est égal aux meilleurs que nous connaissions, et même aux cas exceptionnels. Il est seulement plus bas que le 34 % (dont nous discutons le caractère de «record») de la période de 1920-29, qui correspond à une reprise mondiale, sauf pour l’Angleterre.
Ce phénomène d’«indifférence à la crise» suffit-il pour que l’on puisse parler d’une économie de caractère non-capitaliste en Russie?
En 1929, aucun canal de communication ne reliait le capitalisme soviétique naissant au capitalisme et au marché international. Ils ne seront rétablis de façon appréciable que dix ans plus tard avec la guerre de 1939.
Ceci explique le fait que la crise ne se soit pas communiquée à la Russie qui était dans une phase de grave sous-production (un vingtième de la production actuelle, un dixième, et même moins, de la production par tête d’habitant des pays capitalistes de l’époque). Une crise de surproduction ne pouvait donc ni apparaître à l’intérieur de la Russie, ni y entrer de l’extérieur. La tragédie se déroula tout entière hors de ses frontières. Pour expliquer ce fait, il n’est nullement nécessaire d’admettre à son avantage une hypothétique différence de structure interne du système économique russe. Le mérite de cette affirmation originale dans l’histoire moderne, revient à Joseph Staline!
Entre 1926 et 1939, la clef de la politique russe, que la force de l’histoire dicte au «dictateur», est celle du rideau de fer. Le vieux monde occidental peut bien se réjouir que ce rideau de fer empêche les flammes de la révolution de passer: la Russie qui vient de naître à une révolution capitaliste sans précédent dans l’histoire, se réjouira, elle, qu’il arrête les vagues de l’anarchie des capitalismes trop mûrs. Le vieux chef est mort en croyant que si le rideau était jamais levé un jour, l’incendie de la guerre gagnerait la Russie comme en 1939; il croyait peut-être aussi qu’un nouveau vendredi noir était proche et arriverait avant que le capitalisme allemand ne se soit à nouveau bardé d’acier, outre de dollars: alors, il aurait, lui, repris les armes pour ce «second coup» qu’il avait prophétisé en 1939 dans un éclair de génie, et il aurait saisi à la gorge cette Amérique qu’il avait regardée dans le blanc des yeux lors du drame de Yalta, qui serait maintenant en crise.
Depuis des décades, nous disons que le mythe de la Russie socialiste est souillé du sang des révolutionnaires et destiné à s’écrouler honteusement, comme cela arrive d’ailleurs aujourd’hui. Son culte a cédé la place à une position encore plus vile: la crise de l’Occident ne se produira plus, selon les théories de Mikoyan sur l’émulation et la coexistence.
Si la crise devait ne jamais éclater, eux et les Keynes, les Spengler et toute la science démente d’Amérique auraient remporté la victoire sur Marx, Lénine et nous, lointaine couvée du rouge Chantecler. Et nous n’aurions plus qu’à baisser la crête.
Mais si la crise éclate - et elle éclatera - ce n’est pas seulement le marxisme qui aura vaincu. On n’entendra plus le rire féroce de Staline retentir au milieu du fracas des premiers coups de canon, et les Kroutchev et Cie pourront bien se battre la coulpe selon leur mode honteuse, cela ne servira à rien! Le rideau de fer une fois transformé en toile d’araignée par l’émulation, la crise mercantile universelle mordra au cœur la jeune industrie russe. Voilà à quoi aura servi l’unification des marchés et la libre circulation du sang dans le corps du monstre capitaliste! Mais celui qui réalise cette unification, unifie aussi la Révolution qui pourrait bien trouver son heure mondiale après la crise du second entre-les-deux-guerres, et avant le troisième conflit.
18. PETIT TABLEAU POUR L’ITALIE
Notre tableau ne comprend pas l’Italie sur laquelle nous avons donné quelques chiffres au cours de notre Dialogue. Mais surtout, nous n’avons pas de chiffre russes antérieurs à 1929, et à propos des chiffres nationaux il y a trop de distinctions à faire, dont ce n’est pas ici la place. D’ailleurs, quel âge attribuer au capitalisme italien? A quelle horizontale le mettre? C’est, comme la Russie, un cas de capitalisme né deux fois. Nous ne sommes pas les premiers à comparer le capital au phénix de la légende arabe: Marx doit l’avoir déjà fait. En hommage aux grandes et fières républiques maritimes et commerciales de la côte et aux cités banquières de l’intérieur, pour ne pas parler des premières monarchies centralisées du Nord et du Sud, avec leurs lignages séculaires et leurs noms sonores: Frédéric de Souabe, Berengario, Arduino, Cesare Borgia, on pourrait placer ce pays en haut de l’échelle.
Puis sur tout cela est passé, plutôt qu’une vague profonde de féodalisme, la servitude politique nationale et provinciale; et le système bourgeois est réapparu comme une pâle importation politique de la France, d’abord au début du XIXème siècle, puis de l’Angleterre, un demi-siècle plus tard: un capitalisme aux nuances coloniales et passives, qui ne s’est hissé que tard et maladroitement à des velléités impériales, et qui, tombé aujourd’hui dans la servitude à l’égard de l’Amérique, se laisse aller à des attitudes de boutiquier moyen.
Passablement intriguant, le graphique historique de ce pays aux titres étincelants qui, si l’on remonte plus loin encore, connut les sommets du premier capitalisme esclavagiste, de la Grande Grèce à la Rome ploutocratique!
On ne nous accusera pas d’infatuation nationale si nous ne lui avons pas donné sa place dans les cercles de l’Enfer bourgeois, en attendant le nouveau Dante que l’oncle Engels, pourtant si indulgent, lui prophétisa un jour en hommage à ses gloires rouillées.
Cependant, il est question de l’Italie dans les tableaux de Kroutchev qui nous servent d’Evangiles dans cette recherche.
Entre 1929 et 1937, le monde bourgeois dégringola tout en bas de son maudit «toboggan». La production baissa pendant la crise de 1929-32 et elle remonta allégrement vers la guerre entre 1932 et 1937. Aux dires de Kroutchev, pendant cette période de huit ans, tandis que la Russie prenait son élan, quadruplant sa production au rythme d’environ 21 % par an, Satan-Capital, partout ailleurs, dormait. Et de même qu’il dormait en Amérique, il dormit en Italie: de 100 à 99. La France tomba même de 100 à 82, tandis que l’Allemagne passait de 100 à 114, la Grande-Bretagne de 100 à 124 et l’impétueux Japon de 100 à 169.
Mussoloni, qui rêvait d’éclipser Pirgopolinice, fut le seul pacifiste sérieux que nous n’ayons jamais connu! Dans le fracas des années 1937-46, l’Italie ne descendit que de 99 à 72, une bagatelle, un indice négatif annuel d’à peine 3,5. Une «guerre en dentelles»!
De 1946 à 1955, c’est une marche triomphale. Tandis que sept ou huit misérables partis et vingt petits partis se lancent mutuellement à la face la ruine de la patrie dans leur hâte d’aller au pouvoir la ruiner eux-mêmes, les indices de l’euphorie bourgeoise, qui est donc aussi la leur, montent au galop. Dans toute cette période, la production passe de 72 à 194, ce qui représente une avance de 170 %, soit une moyenne annuelle de 12 % tout rond. Aujourd’hui, les concurrents se présentent dans l’ordre suivant: Allemagne, Japon, Russie, Italie, France, Etats-Unis, Angleterre.
Les données intermédiaires en Italie sont intéressantes. De 1946 à 1949, l’avance de la production est de 14,3 %! En 1949-50, on a un peu moins: 11,5. En 1950-52: 9,1 %; 1952-55: 9,5 %.
Mais peut-être y a-t-il eu recul après cela? Italie, sirène de la mer, souris donc, et ne tremble pas: le gouverneur de la Banque d’Italie, Menichella, nous a récemment informés (ce qui signifie que les chiffres de Kroutchev sont sérieux et qu’en les citant nous n’avons pas agi à la napolitaine: «s’ils m’ont dit une sottise à moi, moi, je vous en dis deux à vous!») que la production a augmenté en 1955 dans la même proportion qu’en 1954: 9,3 %
Il a ajouté quelque chose de remarquable: pendant cette même année 1955, la production agricole a augmenté de 6 %.
Avec un plan quinquennal (mais il y a le gel de 1956!), nous aurions 134 contre 100, chiffres auxquels n’importe quel Boulganine souscrirait.
Mais Menichella s’est vite mis à parler du plan Vanoni qui, plutôt que par indices de production, s’exprime en termes de revenu national et d’emploi de la main-d’œuvre. Nous comparerons les deux méthodes dans un travail de parti ultérieur sur l’économie d’Occident. De toutes façons, selon Vanoni, on doit avancer annuellement de 5 % (163 contre 100) pendant dix ans en ce qui concerne les investissements capitalistes et l’emploi de la main-d’œuvre. En 1955, le revenu national total a augmenté de 7,2 % (ce qui donne à l’Italie le premier rang en Europe après l’Allemagne qui est à 10) dont 78,8 % ont été consommés, 21,2 % investis en installations nouvelles, si l’on inclut la construction et 15,8 %, si on l’exclut. Avec ces marges, les installations fixes dans l’industrie à proprement parler ont pu augmenter de 6,9 % par an (1,9 % de plus que dans le plan Vanoni) et, si l’on inclut la construction, d’au moins 9,7 %.
La question de la construction est la question-clé de l’économie italienne moderne. La maison est-elle du capital fixe, ou un bien de consommation? Nous répondrons ailleurs à cette élégante question. Pour en revenir aux indices industriels du chiffre d’affaires des Staline et Kroutchev, un autre personnage, Fascetti, est venu nous fournir les données de l’augmentation pour les entreprises gérées par l’I.R.I. Spectaculaire: moyenne pour 1950-55: 6 % et pour la dernière année: 19 %.
Remettons à une autre fois la comparaison entre l’I.R.I. italien et le système soviétique en fait de dédain des profits: c’est la première année que son budget s’équilibre.
19. NOBLE TURIN
Dans notre rapport d’Asti, dont un passage fut lu à la dernière réunion de Turin, nous avions illustré la signification de Turin et de la FIAT dans l’histoire du mouvement et du communisme italiens. Il s’agissait d’une critique du courant de l’Ordine Nuovo de Gramsci, creuset de l’actuel opportunisme communiste en Italie. Qu’on nous permette de nous citer nous-mêmes: «A peine eurent-ils mis le nez au dehors des hangars bien rangés et étincelants de l’usine d’automobiles de Turin et pris contact avec les régions de plus faible concentration industrielle d’Italie, les zones agricoles et arriérées et les problèmes régionaux et paysans, que ces groupes versèrent dans les positions que les partis petits-bourgeois les plus falots défendaient déjà un demi-siècle plus tôt: ils ne s’occupèrent plus de révolutionner Turin, mais d’embourgeoiser l’Italie de façon à la rendre toute entière digne de porter la marque de fabrique turinoise, d’être administrée et gouvernée dans le style impeccable de Turin».
Revenons aujourd’hui sur ce style, qui est le style des mythes, des cultes.
Il est arrivé de graves mésaventures au mythe de Staline. Il est près d’arriver la même chose à celui des entreprises géantes et de l’hystérie motorisée: déjà, les miraculeuses chaînes de montage de la FIAT d’Outre-Atlantique, de la General Motors, qui roulaient jour et nuit, ont dû être arrêtées.
Pour l’instant, en Italie, on construit de nouvelles fabriques, un flot croissant d’automobiles se déverse sur les routes déjà encombrées et il arrive toujours plus souvent qu’elles se frayent un chemin sur les corps des piétons. Mais le mort se consacre lui-même au mythe de ce moderne Jaggernaut à pneus. On blasphème les anciens dieux, mais pas le progrès!
20. VALLETTA - BOULGANINE
Rappelons tout de suite les chiffres d’affaires pour les quatre années 1952-55, c’est-à-dire la valeur de la production pour chaque année. 1952: 200 milliards; 1953: 240 milliards, soit une augmentation de 20 % en un an; 1954: 275 milliards, 14,6 % d’augmentation; 1955: 310 milliards, augmentation de 12,7 %. En trois ans, 155 contre 100. Moyenne de l’augmentation annuelle: 15 %, c’est-à-dire bien plus que le 11,5 % russe. Valletta dépasse Kroutchev.
FIAT bat DYNAMO 15 à 11!
Dans notre rapport d’Asti, nous n’avons pas utilisé les données de la FIAT pour discuter la définition d’un système industriel comme «socialisme» en fonction de la haute cadence de l’augmentation du produit, mais pour opposer la terminologie et le mode de calcul économique de Marx à ceux des bourgeois.
Le chiffre d’affaires de la FIAT est pour nous son «capital»: 310 milliards, aujourd’hui. Nous devons, comme à Asti, décomposer cette valeur en capital variable, capital constant et plus-value. En nous servant des chiffres fournis par Valletta sur le personnel et les investissements dans de nouvelles installations, nous avions obtenu les résultats suivants: Capital variable ou frais de personnel, 70 milliards; Capital constant ou matières premières et usure des machines, 110 milliards; Plus-value, 60 milliards. Capital total ou produit à la fin du cycle annuel: 240 milliards.
De la plus-value, 10 milliards seulement sont allés aux actionnaires, les 50 milliards restants ayant été consacrés à de nouvelles installations, comme l’annonça alors Valletta.
Pour la nouvelle année, les chiffres donnent des résultats analogues. Mais avant de les indiquer, rappelons combien notre langage diffère de celui des bourgeois. Le capital nominal de la FIAT, dont nous retraçâmes à Asti la longue histoire, passe aujourd’hui à 152 millions d’actions de 500 lires et s’élève à 76 milliards, contre 57 en 1953 et 36 en 1952. Il a augmenté de 58 % pendant la première année; il est resté le même pendant la seconde et il a augmenté de 33,3 % pendant la troisième. Le rythme moyen a été de 28 % par an. Mais le capital effectif dépend de la cotation des actions en bourse. Celle-ci, qui était de 660 en 1953, s’élève aujourd’hui à au moins 1.354 lires, toujours pour des actions nominales de 500. Le capital réel, même dans le langage courant, est donc passé de 75,5 milliards à 205 milliards. Augmentation de 272 % en deux ans ou de 65 % par an.
Si ces chiffres expriment le «crédit» effectif des actionnaires «contre» l’entreprise dont ils sont les «patrons», leurs dividendes annuels ou, au sens de l’économie officielle, le profit aurait dû augmenter dans la même proportion. Pas du tout! Les Valletta et Cie n’ont accordé aux actionnaires que 7,3 milliards en 1953 et 10,6 en 1955. Autrement dit, le profit d’actionnaire est tombé de 9,7 % à 5,1 %. Frénésie d’investissements productifs, loi de la baisse du taux de profit!
Mais toute la FIAT ne vaut aujourd’hui ni le capital nominal de 76 milliards, ni le capital réel de 205. A Asti, nous n’avons pas évalué à moins de mille milliards son patrimoine d’installations fixes et de machines ou, comme nous disons, nous marxistes, la valeur de ses moyens de production (qu’il ne faut pas confondre avec le capital constant dont nous avons parlé plus haut).
Valletta dit aujourd’hui qu’entre 1946 et 1955, 300 milliards ont été investis en nouvelles installations productives, et il a annoncé pour 1956 la construction de la prestigieuse usine «Mirafiori Sud». Le chiffre de 50 milliards vaut encore aujourd’hui comme rythme annuel. La FIAT d’aujourd’hui vaudrait donc à coup sûr 1.100 milliards, et peut-être plus, mais sûrement pas moins. Faites disparaître les actionnaires qui, avec leurs coupons, touchent moins d’un cinquième du capital réel, et vous passerez du «socialisme» de la FIAT au «socialisme» supérieur de l’I.R.I.
21. LA FORCE DE TRAVAIL MENACEE
Aujourd’hui, une chose est remarquable: le personnel n’a augmenté que de 5 %, passant de 71.000 à 74.000 unités - soit à peine 2,5 % par an! Et alors le capital variable sera passé de 70 à 80, même si l’on exagère les primes accordées au personnel que l’on couvre de louanges, parce qu’en un an, il n’a pas fait même une heure de grève (Ah, Turin-la-très-rouge!). En posant même 12 pour les actionnaires et 50 pour les investissements en nouvelles installations, notre calcul à la Marx pour 1955 nous donne: Capital variable, 80 milliards; Capital constant, 168 milliards; Plus-value, 62 milliards. Total: 310 milliards, comme on sait. La plus-value se divise en 12 de profit aux actionnaires et 50 de nouvelles installations; son taux total est de 62 contre 80, soit 78 %, au sens de Marx.
La composition organique du capital serait passée de 110/70 (c’est-à-dire 1,57) en 1953, à 168/80 (c’est-à-dire 2,10) en 1955. Elle est basse parce que la FIAT est une organisation verticale qui achète les matières premières brutes et les transforme plusieurs fois. Mais les chiffres de Valletta ne sont-ils pas truqués, si le capital constant qui formait les 46 % du produit en 1953, en constitue les 64 % en 1955? Commençons-nous à voir les bénéfices de l’automation? Une importante fraction de plus-value destinée aux nouvelles installations a pu être dissimulée: en effet, le chiffre de 1956 n’a pas été indiqué cette fois. Il n’en reste pas moins que le produit augmente de 30 % en deux ans, tandis que pendant le même temps la force de travail ne s’accroît que de 5 %.
C’est ici que l’âne se casse les pattes - nous dirions même: cet âne de Vanoni, si le pauvre homme n’était pas mort. Annuellement, nous avons dépassé certainement le 5 % de nouveaux investissements, mais, l’emploi de forces de travail restera loin en arrière, à 2,5 % seulement!
Toi, pauvre Italie du Sud, reste à zéro, mais admire l’aristocratie prolétarienne de Turin serrée autour de son Valletta! Valletta qui, peu après, accomplit le miracle soviétique de la réglementation des heures de travail hebdomadaires et, surclassant une nouvelle fois les Boulganine, les réduit successivement de 48 à 46, de 45 à 44 et de 42 à 40. Sans diminuer en rien les salaires, proclame-t-il; mais aussi sans augmenter en rien le nombre des travailleurs.
22. PLAN QUINQUENNAL POUR LA GRANDE FIAT
De notre petite salle de réunion de Turin est parti l’hommage aux mérites «socialistes» des Grands Administrateurs d’un beau Plan Quinquennal à la russe!
Le rythme des trois dernières années a été de 15,7 %, ce qui donne, pour cinq ans, une augmentation de 106 %. De l’indice 100, on devra passer à 206. Le chiffre d’affaires qui, en 1952, était de 200 milliards, devra s’élever à 412 milliards en 1957 et, si l’on veut, les 310 de 1955 devront se transformer en au moins 640 en 1960.
Les 250’000 engins motorisés produits en 1955 s’élèveront à 515’000; même si l’on ne veut pas tenir compte du fait qu’en un an ils sont passés de 190’132 à 250’299, c’est-à-dire ont augmenté de 30,5 % (mais pourquoi les ventes, elles, ne se sont-elles accrues que de 14 %? Les dépôts seraient-ils encombrés d’invendus comme ceux de la General Motors?).
Aux Etats-Unis, les automobiles produites en 1955 et restées invendues sont au nombre de 900’000. La General Motors a cinq marques: Chevrolet, Pontiac, Oldsmobile, Buick et Cadillac. Quatre années de travail Fiat!
Mais quel est le chiffre d’affaires de la G.M. pour 1955? 9 milliards et 925 millions de dollars, plus de 6’000 milliards de lires.
Vingt FIAT!
Le personnel? 577’000 unités. Huit FIAT.
La composition organique, la mécanisation, l’automation sont deux lois et demie celles de la FIAT.
Comment comptent-ils arrêter cette course folle?
1) 200’000 licenciés à Detroit.
2) Diminution de la demande d’acier de cinq millions de tonnes (et la grève des travailleurs de l’acier aux mains de traîtres!)
3) Le tiers de la publicité faite à la télévision est payée par les fabriques d’automobiles.
4) «Il suffit d’être employé depuis deux semaines seulement pour pouvoir entrer à pied dans un magasin et en sortir quelques minutes plus tard au volant d’une voiture flambant neuf, sans avoir versé même un seul dollar d’avance».
5) «Le Centre Technique de la G.M., a coûté 10 millions de dollars; c’est un monument élevé au «Progrès». Tandis que l’on planifie la mise au rancart d’un million d’autos neuves, celui-ci sort l’automobile à turbine -plans secrets - appelée «Firebird», l’Oiseau de Feu.
Est-il possible que l’équation historico-économique de ce Progrès ne révèle pas le moment crucial où se produira la catastrophe, la Révolution où arrivera le grand «Oiseau de Feu» social?
Pour en revenir à la FIAT, il ne nous intéresse pas pour l’instant d’établir à combien s’élèveront, selon le plan, les dividendes de 1960, le capital nominal et sa cotation en bourse. Et le mystère de l’automation en marche ne nous permet que de poser les questions suivantes: combien y aura-t-il d’ouvriers? Quelle sera leur rémunération? Et de combien d’heures sera la semaine de travail?
L’économie bourgeoise sait une seule chose: qu’ils auront tous la voiture, le frigo, la télévision et peut-être une liasse d’actions FIAT. (Et nous ferons les comptes une autre fois: nos petits-enfants les feront mieux que nous, d’ailleurs!)
En raison de la même perspective, l’économie de style soviétique sait (c’est bien clair), une autre chose: qu’à Turin on vit... en système socialiste, qu’à la FIAT, on produit avec... le système socialiste!
On pourrait même dire que c’est à la jeune et gigantesque industrie automobile italienne que revient le premier rang dans le monde soviétique. Quoi qu’il en soit par ailleurs de la mystérieuse date de naissance du capitalisme Italien, celle de l’automobile est très récente: le véhicule à moteur n’a guère plus d’un demi-siècle. La date de naissance de la FIAT est 1899. Son capital de constitution se montait alors à 800’000 lires, soit 300 millions d’aujourd’hui, ou un millième du capital actuel! Mille fois en 56 ans, cela représente une augmentation annuelle de 13 %, ce qui, pour une période aussi longue, signifie une nouvelle défaite russe en fait de rythmes: depuis 1899, la production russe n’a augmenté que de 400 fois environ, et non de 1.000.
La confrontation décisive est donc la suivante:
Plan quinquennal russe 1950-55: de 100 à 170, soit 12 % par an.
Réalisation: de 100 à 185, soit 13,1 %.
Plan quinquennal russe 1955-60: de 100 à 165, soit 11,5 %.
Plan quinquennal FIAT 1955-60: de 100 à 206, soit 15,7 %.
Gloire à la grande patrie... socialiste de l’industrie des voitures!
Et gloire à la patrie non moins grande du communisme italien dégénéré.
* * *
Accroissements totaux et moyens annuels de la production industrielle dans les pays typiques du développement historique du capitalisme. (Exprimés en % du produit annuel précédent)
- Tableau paru dans Il programma comunista n° 13, 1956, voir chapitre «Loi de l’accumulation» -
(1) Ligne A: accroissement durant la période
Ligne B: accroissement annuel moyen.
Le présent tableau a été élaboré uniquement à partir de données de source russe (Varga, Staline, Kroutchev). Les indices des deux premières périodes sont tirés de chiffres relatifs aux industries de base, fournis par Varga.
Des colonnes verticales il résulte, les Etats y étant disposés de haut en bas en fonction de l’âge de la forme industrielle, que le capitalisme a un taux d’accroissement moyen plus rapide lorsqu’il est plus jeune.
Des colonnes horizontales, il résulte qu’en phase normale le taux du rythme d’accroissement de chaque pays décroît avec le temps.
Des phases de guerre et de crise, il résulte que les capitalismes mûrs et vainqueurs résistent bien aux guerres (Impérialisme) et progressent même; mais ils sont plus sensibles aux crises.
Des phases d’après-guerre et d’après-crise, il résulte que la reprise est d’autant plus forte que le capitalisme est plus jeune et que la baisse de la production a été plus violente.
L’horizontale russe confirme tous les développements des autres formules capitalistes.
Parti Communiste International
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