Back

Prises de position - Prese di posizione - Toma de posición - Statements                


 

En Irak aussi des milliers de jeunes manifestent depuis plus d’un mois dans les rues contre le chômage, le coût de la vie, l’absence de services publics, et entre autres contre la corruption endémique au niveau politique et gouvernemental.

Les jeunes manifestent, les forces de l’ordre bourgeois tirent.

 

 

Les manifestations contre les gouvernements au Soudan, en Algérie, en Egypte, en Jordanie et au Liban ont touché également l’Irak, surtout dans la capitale Bagdad et dans les villes des provinces méridionales du pays à Bassorah (Basra), Nassiriya (Dhi Qar), Al Amara (Maysan), Nadjaf,  etc. Malgré la présence des grandes compagnies pétrolières, le sud du pays connait en effet un chômage élevé, et un fort exode rural en raison de la baisse du niveau des deux grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate.

Dans certaines villes comme Nassiriya, Amara et Nadjaf, les manifestants ont incendié des immeubles officiels. Des heurts très violents se sont produits presque partout. Commencées pacifiquement mais décidées à pénétrer dans les immeubles officiels pour clamer leur colère, les manifestations se sont heurtées aux forces de répression gouvernementales et à des milices « inconnues » qui ont systématiquement tiré sur la foule. A l’issue des 4 premiers jours on comptait déjà officiellement 72 morts, plus de 3000 blessés, plus de 500 arrestations (1) : les manifestations contre le gouvernement d’Abdel  Abdel Mahdi ont été dès le début réprimées par une violence qui ne laisse aucun doute sur la volonté politique de briser dans le sang le mouvement de protestation. Au 31 octobre il y avait pas moins de 250 morts et 8000 blessés. A Kerbala, ville sainte de l’islam chiite, les milices armées chiites ont commis le 29 octobre une véritable tuerie : 18 morts (2). Mais les rues et les places, de Bassorah à Bagdad continuent à se remplir de révoltés.

Tous les reportages des médias, journaux ou télévisions, signalent la différence avec le mouvement de 2011, dit du « printemps arabe ». Alors, le mouvement, parti de Tunisie qui toucha l’Egypte avant de se diffuser à presque tous les pays arabes avait un objectif principal : faire tomber le dictateur en poste (Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Egypte). Ce mouvement de révolte, fondé sur des conditions d’extrême pauvreté de la grande masse de la population, croyait qu’avec la chute du tyran et l’ouverture d’une ère démocratique, les problèmes sociaux qui pourraient être résolus.

Mais le vrai pouvoir ne résidait pas entre les mains du tyran et de son clan, mais dans la classe dominante bourgeoise (dont il faisait sans aucun doute partie) ; cette dernière, avec ses parrains impérialistes euro-américains, jugea que la défénestration d’un Ben Ali ou d’un Moubarak pouvait déboucher sur la consolidation de son pouvoir grâce à l’illusion démocratique : alimentée par tout un appareil électoral et parlementaire, celle-ci pourrait calmer les masses et restaurer la paix sociale. Mais l’armée, la seule force organisée et centralisée pour la défense des intérêts bourgeois, continue à jouer un rôle décisif dans les pays où le capitalisme est faiblement développé – comme l’Egypte de Al Sissi l’a encore amplement démontré.

Les illusions démocratiques se sont peu à peu dissipées face à la pratique de capitalismes qui, pour être à la hauteur de leurs relations avec les impérialismes dominants, ne pouvaient que recourir aux mêmes armes que celles des tyrans déchus : répression, emprisonnements, assassinats ciblés, enlèvements et disparitions d’opposants politiques, etc. Les diverses organisations confessionnelles (sunnites ou chiites, divisées selon des intérêts particuliers  au point de se faire la guerre) ont joué leur double rôle habituel, de pacification des esprits et  de soutien à des factions bourgeoises particulières ; elles ont été et sont les instigatrices de l’imposition violente d’un fondamentalisme islamique dans le but de contrôler des territoires, des richesses et des groupes humains à exploiter. Les bourgeois se battent continuellement entre eux pour défendre leurs intérêts particuliers, que ce soit sous le treillis du militaire, l’habit religieux, le costume-cravate du parlementaire  ou le blouson de l’entrepreneur moderne ; mais ils s’unissent toujours contre les prolétaires chaque fois que ces derniers commencent à se mobiliser pour leurs intérêts de classe.

Les mouvements de révolte actuels ne sont pas différents du point de vue des illusions démocratiques, particulièrement tenaces, mais du point de vue de leur composition et de leurs attitudes fondamentales. C’est particulièrement vrai en Irak. Ce sont des mouvements qui ne se font pas diriger par des partis d’opposition existants, qui tendent à échapper à l’influence des religieux (voir le Liban) et qui n’ont plus confiance dans l’armée.

Les nouvelles générations irakiennes qui descendent dans la rue n’ont pas connu l’époque de Saddam Hussein et de sa répression systématique ; les jeunes ont moins peur des conséquences de leurs actes ; si l’on veut ils sont plus « inconscients », mais grâce à cette « inconscience » ils affrontent à mains nues la répression, rendant encore plus évidente la brutalité des dirigeants et de l’Etat. Ils ne se battent pas au non des principes du Coran ou pour porter leurs leaders au parlement, mais pour abattre le régime en place ; ils n’occupent pas les immeubles officiels, ils y mettent le feu. C’est une véritable révolte élémentaire, expression d’une colère profonde, née des conditions de vie désastreuses et de la perspective d’un avenir encore pire, mais qui peut être canalisée dans différentes directions. L’une d’elles est celle d’une « démocratie de base » nourrie par la revendication de la chute du gouvernement d’Abdel Mahdi, responsable de tant de morts et de blessés ; il n’existe aucune revendication politique au-delà du départ du gouvernement, ce qui ne peut qu’ouvrit la voie à quelque personnage « issu du peuple » pour assurer la relève de la garde.  C’est là la véritable faiblesse de ce mouvement de protestation et de révolte, en ce sens politiquement populaire, même si les prolétaires y participent sans aucun doute.

Deux ans après la défaite de Daech et 16 ans après l’invasion américaine, quelle est la situation économique et politique irakienne ?

Désastreuse, selon tous les spécialistes bourgeois. C’est un pays riche en gaz et en pétrole (quatrième producteur mondial de pétrole, deuxième dans l’OPEP après l’Arabie Saoudite) et corrompu (au douzième rang des pays les plus corrompus selon Transparency International) (3) ; la richesse s’accumule  à un pôle de la société, alors que la pauvreté s’étend sur la majorité de la population : un habitant sur 5 vit sous le seuil de pauvreté et le chômage des jeunes tourne autour de 25% selon les données officielles qui, comme chacun sait, ne donnent qu’une image déformée de la réalité. Les manifestations qui se succèdent depuis plus d’un mois sont la démonstration évidente de l’exploitation et de la misère des masses. Les jeunes représentent une partie importante de la population ; il ne faut pas s’étonner que ce soient eux qui constituent la majorité des manifestants : ils sont les premiers frappés par l’exploitation et le chômage. Ils n’ont aucune confiance dans les autorités, dans les capitalistes, dans les élites politiques et culturelles qui n’ont rien à leur proposer. Ils expriment leur colère, ils font preuve de courage, ils versent leur sang pour secouer les consciences de ceux qui détiennent le pouvoir économique, politique, militaire.

La révolte devait éclater tôt ou tard ; mais ce qui a surpris les bourgeois arabes et les impérialistes, c’est sa durée et le fait que jusqu’ici elle ait échappé au contrôle des organisations politiques ou religieuses, avec lesquelles il y a toujours la possibilité d’arriver à des compromis, même après de durs affrontements.

Mais les revendications de démission du gouvernement, les revendications de démocratie, d’élections, de changement de personnel politique dans l’espoir que cela permettra une amélioration du sort des prolétaires et des masses déshéritées, ne peuvent que se fracasser sur  la réalité du capitalisme irakien et international. Trop nombreux sont les intérêts qui opposent entre elles les diverses fractions bourgeoises, masqués derrière les rivalités religieuses, les divisions régionales ou ethniques, pour que puisse se mettre en place durablement un régime bourgeois pacifique et consensuel.

Mais ce n’est pas tout. L’Irak constitue un point stratégique sur la carte moyen-orientale, non seulement à cause de ses réserves pétrolières et gazières, mais aussi en raison de sa position géographique. Avec la Syrie elle constitue une sorte de « ventre mou » entre les puissances régionales (Turquie, Iran , Arabie Saoudite) qui s’emploient à y accroître leurs influences opposées ; et comme l’ont démontré les guerres du Golfe et les continuelles guerres intestines, les impérialismes les plus puissants du monde y sont également à l’œuvre – des plus vieux comme la France et la Grande-Bretagne, aux Etats Unis et à la Russie, sans oublier la Chine qui est devenue un des principaux partenaires économiques de l’Irak. Les intérêts rivaux des factions bourgeoises locales, des puissances régionales s’entrecroisent avec ceux des impérialismes, provoquant une instabilité permanente dans la région et une insécurité dramatique pour les populations.

Les lois du capitalisme ont dirigé hier le régime de Saddam Hussein, ses alliés et ses ennemis ; elles dirigent le gouvernement actuel et elles s’imposeront demain à celui qui le remplacerait, à un Moqtada al Sadr – le dirigeant chiite du principal parti d’opposition parlementaire qui s’est mis lui aussi à demander la démission du premier ministre en pensant tirer profit du mouvement actuel pour prendre sa place. Rien ne changera fondamentalement ; l’économie continuera à avoir des hauts et des bas selon les oscillations de l’économie mondiale, le chômage et la misère continueront à torturer les masses laborieuses.

Il  existe pourtant une alternative, et elle concerne précisément la classe laborieuse, le prolétariat  dont l’exploitation systématique produit les profits capitalistes. Une classe qui doit non seulement lutter pour ses besoins immédiats, mais qui doit s’efforcer de trouver les moyens et les méthodes classistes d e lutte. En effet il ne suffit pas de lutter avec courage contre un ennemi surarmé et sans scrupules et il est dramatiquement illusoire de faire confiance à des forces et à des classes qui par nature ont des intérêts opposés à ceux prolétariens. Il s’agit d’utiliser ses forces propres forces, son courage, son sentiment de révolte contre le régime bourgeois qui réussit régulièrement à changer d’apparence, socialiste , religieuse ou autre, mais qui continue toujours la même politique répressive et anti-ouvrière, pour s’organiser de façon indépendante, classiste, pour la défense exclusive des ses intérêts de classe en  unifiant les prolétaires de toute catégorie et de toute croyance religieuse dans la lutte contre le capitalisme.

Pour y arriver les prolétaires doivent faire un saut qualitatif ; ils doivent rompre avec l’interclassisme qui les conduit à se sacrifier pour les intérêts des classes dominantes, nationales ou étrangères, et ne compter que sur leurs propres forces. Pour ne pas toujours retomber dans l’illusion de la rénovation du système bourgeois, il leur faut tirer les leçons de leurs luttes immédiates et reconnaitre comme des ennemis ceux qui s’y opposent.

Pour les jeunes et moins jeunes prolétaires d’Irak, comme pour les prolétaires de Syrie, du Liban, d’Egypte, du Soudan, d’Algérie, pour les prolétaires de tous les pays, l’alternative se pose de manière inexorable : ou ils luttent pour faire accéder au pouvoir des politiciens bourgeois, peut-être moins corrompus et moins corruptibles, mais toujours représentants d’intérêts capitalistes – et alors ils se condamnent à un vie de misère au service de leurs ennemis de classe ;  ou ils luttent pour eux-mêmes, pour leur classe, pour les intérêts du prolétariat qui représente historiquement l’avenir de la société humaine, et non pour la société bourgeoise !

Sur ce terrain les prolétaires, dépassant les manifestations de colère, justifiées mais immédiates, pourront accumuler des expériences pratiques, sociales et politiques nécessaires à  leur émancipation ; sur ce terrain naîtra le besoin d’être représentés politiquement comme classe, par delà les divisions ethniques, professionnelles, d’âge ou de sexe, le besoin d’un parti au programme politique totalement opposé à celui des partis bourgeois : un programme international et non national, un programme stipulant que la lutte prolétarienne doit briser tous les appareils de domination bourgeoise, en commençant par l’Etat.

Ce parti révolutionnaire et internationaliste ne pourra être que communiste, et il sera d’autant plus fort que la lutte prolétarienne avancera sur la voie classiste ; un parti conscient que la lutte prolétarienne se mène avant tout avant contre la bourgeoisie nationale, mais que cette lutte ne peut avoir d’avenir que dans le cadre d’une lutte internationale parce que les intérêts prolétariens de classe dépassent les frontières de tous les Etats bourgeois.

 

Contre toute communauté d’objectifs et d’intérêts entre bourgeois et prolétaires !

La répression bourgeoise se combat par l’organisation de classe !

La lutte prolétarienne doit prendre la voie de l’indépendance de classe !

Non au drapeau national, oui au drapeau rouge !

Pour la constitution du Parti Communiste International !

 


 

(1) Cfr. www.ilpost.it/2019/10/05/iraq-scontri-proteste/

(2) Cfr https://nena-news.it/iraq-la-repressione-non-ferma-i-giovani. Voir aussi: https:// www. lemonde.fr/ international/ article/ 2019/10/28 /sans-pays- pas-d-ecole-l a-jeunesse- irakienne- rejoint-le- mouvement- de-contestation_ 6017200_ 3210.html

(3) Cfr. www.ilpost.it/2019/10/25/sono-ricominciate-le-proteste-in-iraq/

 

 

Parti Communiste International

31 octobre 2019

www.pcint.org

 

Top

Retour prises de positions

Retour archives